L'Association des opérateurs télécoms alternatifs (AOTA) doit représenter la multitude de petits opérateurs commerciaux qui animent localement le marché des télécoms. Au-delà du lobbying, ses membres comptent s'organiser pour faciliter leur expansion et réduire leurs coûts, face à des mastodontes comme l'opérateur historique.
Les lobbies autour du très haut débit se multiplient. Le dernier en date s'appelle AOTA, pour Association des opérateurs télécoms alternatifs, formée le 21 mars. L'objectif affiché est de représenter les opérateurs de détail, notamment ceux spécialisés sur le marché entreprises, qui s'estiment lésés au sein des autres fédérations.
Les 22 membres actuels, comptant pour 70 millions d'euros de chiffre d'affaires et 450 emplois, veulent créer le chainon manquant entre la Firip (industriels des réseaux publics) et la FFDN (fournisseurs d'accès associatifs).
« Face aux défis réglementaires et à Orange, un opérateur puissant, on entendait souvent une même réponse : c'est bizarre, il n'y a que vous qui avez ce type de problèmes. Nous avons fait le tour de nos confrères et nous sommes rendus compte que, chacun dans notre coin, avons les mêmes soucis » nous affirme David Marciano, président de l'AOTA et vice-président de l'opérateur Adenis.
Les chantiers sont nombreux pour l'entité. Elle doit devenir un interlocuteur privilégié pour les acteurs publics (comme l'Arcep ou Bercy), notamment pour les consultations publiques, et aider ce maillage d'entreprises (souvent locales) à se coordonner. Elle compte ainsi mettre en place un système d'information commun, ainsi que des liens forts avec d'autres acteurs, ainsi qu'un site web public dans les prochaines semaines.
Du lobbying mais pas que
Pour le moment, l'association est gérée par les dirigeants des membres fondateurs, dont dix figurent au conseil d'administration. Au bureau s'affichent les sociétés Add On Multimedia, Adenis, Ergatel France, Fullsave et Netalis.
Un employé permanent est envisagé à plus long terme, en plus de consultation de spécialistes. Ces opérateurs commerciaux, indépendants, ont pour certains d'autres activités que la fourniture d'accès Internet, comme l'hébergement ou l'intégration. Leur point commun est tout de même d'au moins disposer de leur propre cœur de réseau, qui est un prérequis.
L'entité nous affirme avoir une dizaine d'autres entreprises en attente de signature. Parmi les membres actuels, « beaucoup se sont découverts » à la constitution de l'organisation, nous affirme encore David Marciano. Leur objectif premier est donc bien de présenter un front uni face aux institutions, que ce soit au niveau régional ou national.
L'association compte ainsi contribuer aux commissions de concertation régionale dédiées à l'aménagement numérique (CCRANT), répondre aux nombreuses consultations publiques lancées par l'Arcep et ses homologues, ainsi qu'aller au-devant de l'administration. Des membres doivent d'ailleurs faire le tour de certaines autorités et ministères dans les prochaines semaines.

Représenter des acteurs délaissés
Il faut dire que, jusqu'ici, lorsqu'il est question d'opérateurs, deux fédérations prennent généralement la parole. La première est la Fédération françaises des télécoms (FFT), qui représente certains des principaux FAI français, quand la seconde est la Firip, une fédération montée il y a quelques années, qui est devenue un acteur important du dialogue sur les réseaux publics (voir notre analyse). Le problème est que les opérateurs alternatifs ne se sentent représentés par aucun des deux, et ont peu de moyens à consacrer au lobbying par eux-mêmes.
Face à des entités comme l'Arcep, l'AOTA compte s'afficher comme un acteur de terrain, capable de proposer une vue des problèmes locaux, face à une régulation jugée parisianiste par l'association. « Ils ne savent pas gérer la diversité des opérateurs », plus de 2 100 au dernier recensement, juge Nicolas Guillaume, secrétaire de l'AOTA et président de Netalis.
Contacté, le régulateur n'a pas d'avis à donner pour le moment sur le nouveau lobby, même s'il est bien au courant de sa constitution.
L'épineux problème du marché entreprises
Le discours ciblé autour d'Orange n'est pas une surprise pour ces TPE et PME, dont beaucoup dépendent du marché télécoms pour entreprises, dominé par l'opérateur historique. Avec SFR, il est l'un des deux seuls à disposer d'une infrastructure nationale, en théorie accessible commercialement à la concurrence. Pourtant, comme le pointe l'Arcep elle-même, des verrous importants existent encore, notamment en zones très denses.

Il s'agit d'un problème pour l'autorité, qui voit deux acteurs disposer d'une force de frappe importante au niveau national, face à une multitude de petits opérateurs qui disposent au mieux de réseaux locaux. Ceux qui se voient comme « la variable d'ajustement du marché » veulent être entendus. « Nous avons des offres hyper locales, qui stimulent le marché dans ces zones, que nous ne savons pas répliquer ailleurs » analyse Nicolas Guillaume.
La solution prônée par le régulateur est l'arrivée d'un troisième opérateur d'infrastructure, censé dynamiser ce marché. S'il est rarement nommé, le candidat le plus probable est le consortium Kosc, intégrant OVH et ayant repris certains réseaux (dont celui de Completel). Orange a d'ailleurs affirmé être proche d'un contrat avec lui pour fournir des services aux petits opérateurs.
Fibre pour entreprises : des prix à protéger
L'AOTA affirme elle-même déjà parler à Kosc, qui serait plus flexible que les deux opérateurs historiques du secteur. Il devrait aider à répliquer nationalement des offres uniquement possibles aujourd'hui dans des zones limitées pour les petits acteurs, que seul Orange Business Services (OBS) serait capable de fournir sur l'ensemble du territoire.
Une autre question est celle des coûts. L'Arcep soutient à la fois la baisse des prix et la concurrence par les infrastructures, deux objectifs habituellement jugés contradictoires par les opérateurs. Sur le marché entreprises, la solution préférée est celle de la mutualisation du réseau fibre avec celui dédié au grand public (FTTH), alors qu'il s'agit encore aujourd'hui d'un produit de luxe, qui équiperait moins de 10 % des sociétés françaises.
Si l'AOTA se dit favorable à une baisse des coûts via un réseau mutualisé, elle affirme que « la particularité du marché entreprises, au-delà d'un prix et d'un débit, est que le client a besoin d'un accompagnement, qui a un coût. L'Arcep ne l'a pas encore entièrement compris ». L'association s'affiche donc vigilante sur la question des prix, qui ne doivent pas se calquer sur ceux du marché résidentiel.
Une coordination au-delà du lobbying
Malgré tout cela, les travaux les plus importants devraient être moins visibles. Certains des premiers chantiers envisagés comprennent un système d'information commun, pour que chaque opérateur local puisse partager sa connaissance du terrain avec les autres. « On a ajusté la cotisation pour avoir les moyens d'entamer un développement de système d'information pour partager nos ressources » nous indique David Marciano.
#AOTA, c'est qui ?
— AOTA (@AotaFr) 27 mars 2017
-> 22 opérateurs commerciaux déclarés auprès de l'@ARCEP et de nouveaux sont en train de nous rejoindre.
Si elles restent concurrentes, ces entreprises pourront s'épauler concrètement quand l'une d'elles veut aller sur l'un des réseaux où l'autre est présente, voire créer des opportunités commerciales pour leurs confrères. L'association compte aussi s'adresser aux équipementiers pour obtenir les mêmes prix pour l'ensemble de ses membres, calqué sur ceux obtenus par les plus gros d'entre eux. Chaque entreprise devra gérer ses propres relations commerciales, mais devra bénéficier de ce cadre pour voir ses coûts fondre.
AOTA doit, sans surprise, aussi servir de point d'ancrage pour les relations avec les opérateurs d'infrastructure, qui doivent disposer d'un interlocuteur unique. Elles constatent « un traitement à la tête du client par les réseaux publics, alors qu'ils ont une obligation de non-discrimination », même si aucun nom n'est cité.
« Quand nous voulons obtenir un devis ou nous implanter sur une plaque, certains opérateurs ont plus de difficultés à accéder au marché que d'autres. Un commercial contactera plutôt certains acteurs, par exemple » attaque David Marciano, qui demande une application stricte de la loi. Un soutien juridique devrait d'ailleurs être proposé par l'association.
Des liens forts avec la Firip
Si l'AOTA dit représenter des oubliés du débat sur les télécoms, coincés entre les géants de la FFT, les opérateurs d'infrastructure de la Firip ou encore les collectivités de l'Avicca, les ponts avec les industriels des réseaux publics sont nombreux. Des acteurs comme l'opérateur commercial Adista comptent parmi les figures de la fédération.
Contactée, la Firip déclare laisser la parole aux petits acteurs, même si les positions correspondent souvent bien plus à celles des opérateurs d'infrastructures qui constituent ses principaux membres. Entre les poseurs de réseaux et ceux qui vendent le service au client, un décalage existe. « Nous avons un sujet large, qui est l'Arcep, Orange, les réseaux publics, qui masque une forêt d'autres sujets structurants pour nous » poursuit Marciano.
Des ponts sont bien prévus entre les deux entités, par exemple sous la forme d'une adhésion croisée des deux organisations. Les opérateurs de l'AOTA restent pour partie dépendants des réseaux publics, avec des problématiques proches de celles de la Firip, même s'ils s'étendent concrètement au-delà. Il reste donc à voir si la nouvelle association arrive à se créer une place dans le paysage réglementaire, alors que le lobbying est déjà puissant dans le secteur.