Le 23 mars 2015, acteurs de la publicité et ayants droit signaient une charte de bonnes pratiques, dans l’enceinte du ministère de la Culture. Après des mois de retard, le rapport de synthèse 2015-2016 est enfin disponible. Un document rachitique qui dresse un bilan quantitatif très glorieux. Sans révéler d'épaisses informations.
Depuis cette date, six « comités de suivi » ont regroupé les différents signataires : l’ALPA, Interactive Advertising Bureau France, la SACEM, les producteurs de musiques (SCPP et SPPF), le Syndicat national de l’édition, le Syndicat des régies Internet, le Syndicat national du jeu vidéo, etc.
Follow the money
Au bout du fusil, les publicités affichées sur les sites considérés comme « illicites » car diffusant des contenus sans l’autorisation des ayants droit. L’approche « Follow the Money » consiste à assécher les ressources financières de ces sites pestiférés en leur coupant le robinet. Dans le cœur de cette charte, chaque signataire s’engage à « établir une liste d’adresses URL de sites internet en se référant aux informations fournies par les autorités compétentes ».
Cette liste noire est secrète, informelle, impossible en ce sens de l’obtenir via une procédure CADA. Cette logique de police privée est en tout cas simple : une fois un site qualifié de pirates, les efforts redoublent pour couper le flux publicitaire des régies signataires. L’expression « autorité compétente » est large : on y trouve associées les autorités administratives indépendantes (non la Hadopi qui n'est pas associée) outre les sites épinglés par des décisions de justice, mais aussi et surtout les agents assermentés par le ministère de la Culture, travaillant dans des groupements de défense comme l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle.
Quatre pages de généralités
Le rapport de synthèse 2015-2016 de ce comité de suivi est disponible depuis peu. Sans tambour ni trompette. Il faut dire que le bilan est pour le moins maigre puisqu’il se limite à… quatre pages remplies quasi intégralement de généralités. Le reste, 10 pages, est occupé par les annexes, le discours de la ministre de mars 2015, l’historique du comité, la longue liste des signataires et la copie de la charte…
Seul enseignement, on apprend qu’en 2013, « une campagne de vérification menée par l’ALPA sur 5 sites massivement pirates avait permis de déceler la présence de nombreux annonceurs classiques de secteurs aussi divers que la banque, l’assurance, la fourniture d’accès Internet ou la grande distribution et les marques automobiles ».
Or, six mois après la mise en route du Comité de suivi, « la totalité des publicités sur les sites massivement pirates étudiés étaient des publicités sans aucun lien avec les représentants français du secteur de la publicité (agences, régies ou annonceurs…) ». Et « si par mégarde une publicité venait à apparaître, elle est retirée par l’intermédiaire du secteur publicitaire responsable quelques jours seulement après son signalement par les ayants droit ».
Le rapport se poursuit par quelques envolées lyriques du type : « La tenue des Comités et les discussions entre les participants ont permis à chacun de prendre conscience des problématiques spécifiques à chaque acteur de la filière et ainsi d’être beaucoup plus vigilant sur le traçage et la diffusion de publicités digitales ».
Pour remplir péniblement les blancs, le ministère de la Culture a aussi rappelé qu’un deuxième comité a été mis sur pieds le 10 septembre 2015 avec les acteurs des solutions de paiement. La logique est la même : couper les ressources des sites mis à l’index par les organismes de défense.
La monnaie virtuelle, un système de paiement « moins rassurant »
Autosatisfaction totale, là encore : « il n’existe presque plus de moyens de paiement ‘classique’ sur les sites pirates repérés par les ayants droit, la plupart des sites massivement pirates ayant mis en place des systèmes de paiement moins rassurant pour l’internaute, telle que la monnaie virtuelle ». Moins rassurant, le bitcoin ?
La faible consistance de ce rapport - annuel devenu biannuel - peut s’expliquer de deux façons : ou bien le ministère n’a rien à dire, en raison d’un bilan qui tend vers le néant. Ou bien, ce bilan est plus glorieux, mais étouffé par le secret. Sans doute que les services d’Audrey Azoulay savent que le propre d’une liste noire et d’une justice privée est de mal s’accommoder avec de bruyants communiqués.