Bercy desserre les liens entre contrefaçon et terrorisme

Les suites du rapport de l'Unifab
Droit 4 min
Bercy desserre les liens entre contrefaçon et terrorisme
Crédits : Marc Rees

À l’occasion de l’examen de récents textes, plusieurs élus ont souhaité accentuer la répression de la contrefaçon, accusant celle-ci d’être source de financement du terrorisme. Une réforme jugée très inopportune par l’exécutif.

Dans le cadre du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, des députés avaient essayé de faire entrer le délit de contrefaçon en bande organisée « dans la liste des infractions susceptibles d’être commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Cette inclusion, certes rejetée, aurait eu pour effet de permettre de déployer des moyens nettement plus conséquents pour poursuivre les contrefacteurs.

Un autre amendement avait porté pour projet de punir cette bande organisée d’une peine de 30 ans de prison. Avec le motif suivant claironné par le député Hetzel : « La contrefaçon est utilisée aujourd’hui par les réseaux terroristes. La législation actuelle est peu dissuasive. Quand on regarde de près, les peines qui existent sont rarement appliquées ».

Une source d'inspiration unique

À chaque fois, des liens furent ainsi tissés entre contrefaçon et financement du terrorisme. Pas de surprise, la source d’inspiration de ces poussées parlementaires fut unique : l’Union des fabricants, un organisme où on retrouve Peugeot Citroën, Lacoste, Disney, Microsoft, LVMH, Orange, Nike, Vivendi, l’Association pour la lutte contre la piraterie audiovisuelle, la Société civile des producteurs de phonogrammes, etc.

Dans un rapport remis à Bercy début 2016, l’Unifab avait dénoncé un tel lien incestueux, citant en exemple ces 8 000 euros envoyés par l’un des frères Kouachi en Chine grâce à un commerce de chaussures de contrefaçon. Ou encore le fait qu’« Ibrahim et Salah Abdeslam résidaient dans la commune belge de Molenbeek réputée pour son contexte socio-sécuritaire particulièrement précaire », or, « Molenbeek est (...) le théâtre de nombreuses saisies de contrefaçons depuis quelques années », etc.

En juin 2016, un député était revenu lui aussi à la charge, rapport de l’Unifab sous le bras. Selon Jean-Michel Villaumé (PS), « le groupe État islamique recourt aux divers modes de financement et la contrefaçon notamment de vêtements, est une source de revenus non négligeable. Cette situation a été entre autres largement évoquée par la presse (L'Express, Le Point, Le Figaro, L'Obs) à l'occasion des attentats de 2015 ». Il a donc demandé au ministère du Budget et des comptes publics les mesures qu’il entendait prendre « notamment pour accroître l'arsenal pénal visant la répression de la contrefaçon, afin de lutter contre cette situation ».

Il existe d'autres sources de financement, selon Bercy

La réponse apportée par Bercy est à savourer. Elle réduit en poudre ces affirmations. D’un, avance Christian Eckert, le rapport de l’UNIFAB « est une étude basée sur des sources ouvertes ». Ce qui n’est peut-être pas suffisant pour bétonner une législation pénale.

Celui-ci ne s’arrête pas là : selon lui, « la connaissance du phénomène laisse à penser que les terroristes ont recours à un éventail de sources de financement (prêt à la consommation, revenus de trafics dont la contrefaçon, revente de biens personnels, …) y compris à un financement externe ». Plus globalement, « toutes les activités criminelles et tous les trafics (...) peuvent potentiellement financer le prosélytisme radical voire la mouvance terroriste ». En creux, il est trop simpliste de se focaliser sur la contrefaçon.

Et le dispositif de sanctions aussi complet que sévère

Enfin, le quantum des peines en vigueur est tout sauf neutre. En cas de contrefaçon en bande organisée, « la peine d'emprisonnement prévue par l'article 414 du code des douanes passe de 3 ans à 10 ans [d’emprisonnement] et l'amende (...) de 1 à 2 fois à jusqu'à 10 fois la valeur de l'objet de fraude ». Dans le Code de la propriété intellectuelle, même rigueur : « La loi a porté à 7 ans la peine d'emprisonnement et à 750 000 € l'amende prévue en cas d'atteinte à un droit de propriété intellectuelle » lorsque les faits sont commis là encore en bande organisée.

Ceci dit, le ministère considère le dispositif de sanctions de la contrefaçon comme « complet puisqu'il prévoit à la fois des peines d'emprisonnement et des peines d'amende ». Le cas d’une saisie de 6 415 sacs à main de contrefaçon valorisés à 30 millions d’euros est cité en exemple. Dans une telle situation, « la peine encourue pour cette infraction commise en bande organisée serait de 300 millions d'euros ».

Le dispositif n'est donc pas seulement complet, il est aussi « sévère », d’autant que d’autres dispositions permettent aux douanes d’intercepter des marchandises, notamment avec la collaboration contrainte des entreprises de fret. Bref, quoi qu’en disent les parlementaires fans de l’UNIFAB, « l'arsenal réglementaire est donc complet et permet de lutter efficacement contre la contrefaçon ».

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