La société de gestion collective vient d’adresser deux courriers, l’un à Marc Joulaud, eurodéputé, l’autre à François Fillon. Le premier est accusé de saper le droit d’auteur. Le second demande au candidat de remettre ses brebis sur le bon chemin, celui de la défense de la création.
« Un discours sur le droit d'auteur à rebours de tous les engagements et positions adoptés par les pouvoirs publics français depuis de nombreuses années, quelles que soient les majorités politiques en place ». Voilà en quelques mots exprimée la colère du numéro un de la SACD. Explication : Marc Joulaud est rapporteur au sein de la Commission de la culture au Parlement européen.
Un rapport qui dénonce l'insécurité juridique du chantier du droit d'auteur
A l'instar de la Commission sur le marché intérieur et les consommateurs, il a remis début février son projet d’avis sur la réforme de la directive sur le droit européen dans le marché unique numérique. Un document de 67 pages où celui-ci aussi, avance des propositions à étrangler les sociétés de gestion collective.
Quelques exemples : sur les nouvelles obligations pesant sur les intermédiaires techniques. La Commission européenne souhaite généraliser le filtrage, les mesures proactives de nettoyages, les systèmes de reconnaissance des contenus, le tout sous le sceau d’accords passés entre plateformes et sociétés de gestion collective.
Marc Joulaud voit dans le détail de ces propositions « une insécurité juridique et un effet potentiellement plus étendu ». La nature et le fondement de ces obligations ne sont à son goût « pas suffisamment clairs ». Il propose en tout cas que ces accords autorisent par défaut tous les contenus chargés par les utilisateurs.
Une nouvelle exception pour protéger les consommateurs aujourd'hui actifs
Les oreilles des sociétés de perception et de répartition n’ont pas fini de saigner à grandes eaux. Selon le même rapporteur, le texte en gestation ne protège pas assez « les pratiques légitimes des consommateurs », devenus dans l’environnement numériques des « actifs », par contraste avec ceux de la télévision en noir et blanc.
Pour cela, il aimerait – une hérésie dans le milieu culturel – que soit créée une nouvelle exception au droit d’auteur « protégeant l'utilisation de ces extraits, pour autant qu'ils répondent à certaines exigences » en termes de proportionnalité. Cette exception autoriserait dès lors « les utilisations légitimes d'extraits ou de citations d'œuvres ou d'autres objets protégés dans le contenu généré par l’utilisateur ». On frôle là l’hémorragie cérébrale chez les SPRD, et même la mort clinique à la lecture de l’amendement 11 !
Une exception de panorama revigorée
Cette autre disposition, toujours signée Joulaud, part du constat qu’aujourd’hui, « les outils numériques permettent aux citoyens de faire et de diffuser facilement des reproductions d'œuvres situées de manière permanente dans des lieux publics, telles que des sculptures ou des monuments, pour leur usage privé ou non commercial ». Le rapporteur pour avis l’affirme clairement : « ces pratiques ne portent pas préjudice aux titulaires de droits et sont largement acceptées dans l'ensemble de l'Union, mais ne sont pas toujours reconnues officiellement dans le droit national ».
En conséquence, il suggère d’instaurer une exception de panorama où les États membres seraient tenus d’autoriser « la reproduction, l'utilisation et la diffusion, à des fins non commerciales, d'œuvres situées en permanence dans des lieux publics ».
Le cercueil des SPRD se referme à l’article 11 du projet de directive. Cette disposition ébauche un droit voisin pour les éditeurs de presse. Une source de revenus assurés pour les sociétés du secteur qui pourraient butiner des fortunes sur les épaules des services numériques en ligne – dont les moteurs –pour la simple reprise des bouts de titres puisés sur les sites des journaux.
Seulement Marc Joulaud veut circonscrire ce mécanisme. Selon lui, il ne peut viser que les reprises par un tiers « à des fins commerciales ». A contrario, « les usages non commerciaux et privés ne [seront] pas couverts par cet article ». Avec cette dernière pelleté, sans doute a-t-il jugé trop cocasse que les SPRD puissent s'enrichir sur le dos de pratiques gratuites.
Une lettre de Pascal Rogard à Marc Joulaud
Pascal Rogard, directeur général de la SACD, a trempé sa plume dans l’acide pour exprimer sa « déception » et son « incompréhension ». Et pour cause, généralement la commission de la Culture est acquise aux intérêts de l’industrie culturelle : « nous n’avons d’ailleurs pas en mémoire d’autres exemples de rapports rédigés par un député français au sein d’une Commission Culture (…) qui se seraient livrés à une telle remise en cause du droit d’auteur ».
Dans sa lettre adressée à l’eurodéputé ce 27 février, Rogard fulmine, rougeoie, peste : c’est « à la continuité de la politique française que vous vous attaquez puisque, depuis de nombreuses années, quelles que soient les majorités en place, il y avait un engagement pérenne de soutenir le droit d’auteur et d’éviter son démantèlement ».
Un autre courrier adressé à François Fillon
Pour ceux qui tiennent les manettes du lobbying, perdre une telle courroie de transmission est en effet toujours très douloureux. Peut être pas très sûr de l'efficacité de sa missive, Rogard a doublé son courrier en s'adressant cette fois directement à François Fillon.
Pourquoi lui ? Car Marc Joulaud fut son assistant parlementaire, son remplaçant à la députation. Outre son portefeuille d’eurodéputé, Il est aussi maire de Sablé-Sur-Sarthe, le fief du candidat à la présidentielle… « Les prises de position de M.Joulaud relèvent de l’irresponsabilité » cafte le numéro un de la SACD à l’oreille du candidat.
SI Fillon a peut-être aujourd’hui d’autres préoccupations, l’auteur du courrier pense que la posture de ce protégé « risque d’affaiblir la position assumée par les pouvoirs publics français (…) et de créer une division dont bénéficieront ceux qui se livrent aujourd’hui à un lobbying intense en Europe pour éviter toute régulation et se défaire des règles sur le droit d’auteur ».
Le stratège de la SACD refuse ainsi de « croire que ces orientations (…) pourraient refléter la politique européenne en matière de culture que vous conduiriez à la tête de la France ces cinq prochaines années ». Aussi, il lui demande de reprendre la main sur ses brebis, voire de « clarifier les positions » de la droite française au sein du Parlement européen.