Après un départ tonitruant en début d'année avec deux forfaits agressifs, nous pouvions raisonnablement penser que Free Mobile n'allait pas modifier ses forfaits avant une certaine période. L'opérateur, onze mois seulement après son lancement, a toutefois surpris le secteur en améliorant d'une façon très nette son forfait à 2 € par mois. Une manière de redresser ses niveaux de recrutements, mais aussi d'affaiblir ses concurrents ?
Attaque et contre-attaque
Il y a une dizaine d'années, un certain Bouygues Télécom a dévoilé un forfait à la limite du révolutionnaire : 45 minutes de télécommunication pour 13 €, ou encore 1h30 pour 19 €. Sans SMS. Dix ans plus tard, en 2011, certains opérateurs lancèrent le forfait social, aussi appelé forfait RSA (rappelez-vous), offrant 40 minutes d'appel et 40 SMS pour 10 € par mois. En somme, en dix ans, l'évolution a été ridicule.
Free a ainsi profité de cet immobilisme pour lancer en janvier dernier un forfait à 2 € pour 1h de communication et 60 SMS. Un forfait qui s'est transformé cette semaine en 2h et SMS illimités. Le forfait de janvier dernier était une claque sévère aux forfaits RSA et aux offres prépayées, qui ont d'ailleurs perdu 1,5 million de clients en neuf mois. Son évolution est une gifle pour les forfaits équivalents proposés à 9,90 € chez certains concurrents (Red, La Poste, Sosh, Virgin, etc.) ainsi que d'autres forfaits, du type celui de Joe Mobile à 5 € (SMS/MMS illimités) ou encore celui de Red à 4,99 € (100 minutes et 100 SMS). Red de SFR a toutefois déjà réagi et modifié ses forfaits, pourtant très récents.
Bref, Free Mobile prouve que ses forfaits ne sont pas figés et qu'il sait réagir. Toutefois, cette évolution démontre aussi que l'opérateur avait besoin de se relancer face à une concurrence de plus en plus agressive. Il n'est ainsi pas impossible que Free ait constaté une chute de son nombre d'abonnés, que ce soit à 2 ou 19,99 €. Et si la gamme à 10 € par mois est toujours laissée vacante, Free oblige ses concurrents à réévaluer à nouveau leurs forfaits, et ainsi perdre de nouveau de la valeur.
Se renforcer (un peu), affaiblir (beaucoup)
Et c'est justement là l'une des conséquences majeures de la présence de Free Mobile, voire l'un de ses buts, pour ne pas dire son essence même. Bien entendu, pour le groupe Iliad, Free Mobile lui permet d'augmenter fortement son chiffre d'affaires et de recruter plus aisément des abonnés ADSL, les offres quadriplay des concurrents lui faisant de l'ombre en 2010 et 2011. En somme, l'opérateur se renforce, même si le déploiement de son réseau mobile et l'itinérance sont relativement coûteux. Mais plus que de renforcer Free Mobile, ces forfaits ont surtout pour effet de réduire fortement les marges de ses concurrents, de détruire la valeur de leurs forfaits, et donc de les affaiblir.
À l'instar d'un club sportif achetant à prix d'or un joueur qu'il n'utilisera pas (ou peu) pour éviter qu'un club concurrent ne le recrute et le fasse jouer en tant que titulaire, Free Mobile attire les abonnés concurrents. Un bon plan pour Free, et un très mauvais plan pour les autres opérateurs. Et surtout, ces derniers sont dès lors obligés de surpayer leurs joueurs afin qu'ils ne soient pas infidèles, et ne partent donc vers ce nouveau club qui décidément est à l'origine de bien des problèmes.
La difficulté pour Orange, SFR, Bouygues Télécom et tous les MVNO est donc principalement de conserver leurs clients plus que de recruter massivement, même si le secteur le permet encore. Une conservation qui a un prix non négligeable, et dont la facture n'est pas encore totalement payée du fait de la deuxième version du forfait de Free à 2 euros et de la nouvelle pression qu'elle implique.
Outre cette problématique, l'arrivée de Free force aussi ses concurrents à se réorganiser. Et nous ne parlons pas ici forcément de licenciements, mais d'une réorganisation globale, que ce soit dans l'élaboration des forfaits, leur nombre et leur présentation, ainsi bien sûr qu'une approche différente du client. Ce dernier se rend en effet bien compte qu'il était tout à fait possible de proposer des tarifs plus faibles à service égal. Et le discours de Xavier Niel a fait mouche dans bien des esprits, aux désespoirs des dirigeants d'Orange, Bouygues et SFR.
Une période sombre pour la concurrence.
L'histoire n'est pas un éternel recommencement, mais...
La concurrence se doit donc de réagir, et non pas uniquement d'un point de vue tarifaire. Or en 2002, rappelez-vous, l'arrivée de Free sur le marché ADSL avec un tarif inégalé de 29,99 € par mois (pour du 512 kbps) n'a pas été sans conséquences. Certains FAI français ont en effet réagi très tardivement ou d'une mauvaise manière à cette intrusion dans leur marché, menant la plupart d'entre eux six pieds sous terre.
Un tel scénario peut-il se répéter dix ans plus tard dans le secteur mobile ? Probablement pas, hormis du côté des MVNO. Tout d'abord, à cette époque, la France comptait de très nombreux acteurs, dont Wanadoo (Orange), Tiscali, AOL, Club-Internet, 9 Telecom, Oreka, Free, etc. Et hormis Wanadoo, tous étaient relativement faibles, ce qui n'est pas le cas d'Orange, SFR et Bouygues Télécom aujourd'hui, qui comptent entre 10 millions et 27 millions de clients chacun uniquement dans le mobile.
Ensuite, la plupart des FAI en 2002 ont commis l'irréparable erreur de croire que leurs clients seraient fidèles. Ils n'ont ainsi aligné leurs tarifs que sur le bas de gamme de l'époque (128/64 kbps), laissant leur forfait à 512/128 kbps à 45 €. Une différence de 15 € fatale pour les FAI les moins solides, obligés de fermer ou de se vendre à plus gros qu'eux. A contrario, les grands opérateurs, via leurs sous-marques Sosh, Red et B&You notamment, ont au moins tenté une contre-attaque, avec plus ou moins de succès. Si la réaction n'a pas forcément été parfaite ni rapide, elle a au moins eu le mérite d'exister, et de signaler aux clients que cette fois, ils ne resteront pas les bras croisés.
Enfin, contrairement à cette époque, les opérateurs ont aujourd'hui l'avantage d'avoir un réseau 3G plutôt bon, ce qui leur permet de pouvoir développer la 4G immédiatement. Ce bénéfice pourrait toutefois être de très courte durée, si Free arrive à couvrir totalement de nombreuses villes en 3G, et par conséquent en 4G, l'opérateur faisant d'une pierre deux coups.
L'affaiblissement de ses concurrents, contrairement au début des années 2000, ne devrait donc pas mener à leur mort ou à leur vente. Tout au plus, certains opérateurs tenteront des alliances ou s'offriront à des puissances étrangères, tout du moins à court terme.
Quant à l'intérêt même de cette dégradation de la concurrence, nous pouvons imaginer que l'argent perdu dans le mobile sera un investissement de moins dans le fixe, où Free réalise des marges importantes. Mais bien d'autres avantages pourraient être tirés de cette fragilité. Le futur répondra à cette question.