À l’initiative des élus LR, les parlementaires réunis au sein de la commission mixte paritaire ont rétabli le délit de consultation de site terroriste. Non sans adapter l’incrimination pour tenter de tenir compte de la récente censure constitutionnelle.
Le 10 février, le Conseil constitutionnel torpillait l’article 421-2-5-2 du Code pénal. Et pour cause, cette disposition sanctionnait celui qui consulte trop souvent un site gorgé de contenus faisant l’apologie du terrorisme. Les Sages de la rue de Montpensier remarquaient cependant que dans l'infraction, il n'est pas nécessaire de démontrer la moindre « volonté de commettre des actes terroristes ».
Ainsi, il était possible de sanctionner une simple consultation de 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende. Une superbe atteinte disproportionnée, non nécessaire, non adaptée à la liberté de communication a répondu le CC, qui a dans le même temps pris la peine de lister l'ensemble des infractions déjà prévues dans le Code pénal.
Le soulagement de la Quadrature du Net ou du Syndicat de la magistrature aura été cependant bref. Philippe Bas, président de la Commission des lois, avait prévenu quelques heures après cette censure, qu’il réinjecterait ce délit considéré comme « essentiel », en l’adaptant pour se conformer à la décision du Conseil Constitutionnel.
Passant de la parole aux actes, un amendement au projet de loi sur la sécurité publique a été déposé en toute dernière ligne droite, en Commission mixte paritaire (voir l'actualité de Public Sénat, et l'article 6 nonnies du projet). Une instance normalement chargée de trouver un arbitrage entre les sénateurs et les députés.
Les deux versions comparées
Pour mieux apprécier cette disposition, comparons les deux versions, celle censurée et celle nouvellement introduite dans le Code pénal.
- Article 421-2-5-2 (censuré)
Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.
Le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice.
- Article 421-2-5-2 (nouveau)
Le fait de consulter habituellement et sans motif légitime un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende lorsque cette consultation s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ce service.
Constitue notamment un motif légitime tel que défini au premier alinéa la consultation résultant de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisée afin de servir de preuve en justice ou le fait que cette consultation s'accompagne d'un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes.
Nous avons mis en gras les adjonctions significatives de la nouvelle incrimination. On reste sur la logique initiale : sanctionner la consultation habituelle, sauf que deux conditions ont été ajoutées à ses éléments constitutifs, l’une positive, l’autre négative.
Une condition positive : la manifestation de l’adhésion à l’idéologie
Il faudra d’abord que « la consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie » exprimée sur le site consulté habituellement.
L’expression est floue : dans son acception la plus simple, on peut envisager qu’un juge soit sensible à un simple « like » sur Facebook. Mais quid d’un partage sur Twitter de la page en cause ? Quid d’un commentaire plus ou moins neutre placé sur une zone ouverte du site litigieux ? De même quand faut-il que cet « accompagnement » soit constaté ? Concomitamment à la consultation... ou plus tard ? Bref, comment doit s’exprimer cette manifestation, qui ne semble pas nécessairement publique ?
On retrouve en tout cas assez facilement les sources d’inspiration des parlementaires LR. Le Conseil constitutionnel avait lancé quelques signaux dans sa décision : il avait jugé la première mouture comme inadaptée et disproportionnée au motif que « les dispositions contestées n'imposent pas que l'auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes ni même la preuve que cette consultation s'accompagne d'une manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ces services ». C'est ce dernier bout de phrase qui a été exploité par les élus LR.
Une condition négative : l’absence de motif légitime
Dans la première version, le législateur avait exclu la pénalisation de la consultation effectuée de « bonne foi ». Les neuf Sages avaient eu beau fouiller les travaux parlementaires, ils ne comprenaient pas ce concept, d’autant que la disposition initiale n’imposait « pas que l'auteur des faits soit animé d'une intention terroriste ».
Cette fois, une personne poursuivie pourra esquiver la peine par la démonstration d’un « motif légitime ». Le texte en cite quatre, mais la liste n’est pas limitative du fait de l’adverbe « notamment ». On retrouve les trois tiroirs de la disposition initiale : l’exercice du journalisme, la recherche scientifique, la preuve en justice. Désormais, a été ajoutée la démonstration que cette visite habituelle a été accompagnée « d'un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes. »
En clair, vous consultez plusieurs fois un ou des sites terroristes, vous signalez leur existence par exemple à la plateforme Pharos, et voilà l’abri du fait du « motif légitime ». Sauf que tout n’est pas simple lorsqu’on bascule dans la vraie vie : l’individu en cause devra prendre soin d’avoir signalé l’ensemble des sites litigieux au fil de ses consultations habituelles. Un seul oubli, et c’est la possible sanction.
Surtout, il devra pouvoir démontrer l'unité de personne entre celle qui a surfé et celle qui a dénoncé. Pas simple d’autant que le portail Internet-Signalement.gouv.fr ouvre aux internautes « la possibilité de rester anonyme » lorsqu’ils signalent la présence d’un contenu illicite.
Des autres infractions susceptibles d'être constituées
Le parapluie du motif légitime n’est pas bien costaud. Celui qui exprime une adhésion bruyante à telle idéologie, appelant à la commission d’actes terroristes, pourra certes échapper au délit de consultation habituelle, car il a docilement dénoncé ce site. Mais il pourra toujours être poursuivi sur le fondement de l’article 421-2-5 du Code pénal, lequel réprime de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende, le fait « de faire publiquement l'apologie de ces actes »
N’oublions pas enfin le délit d’entreprise terroriste individuelle. Celui qui consulte habituellement des sites terroristes et qui dans le même temps aura recherché d’une manière ou d’une autre « des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui » pourra être poursuivi pour acte de terrorisme. La démonstration de la consultation sera simplifiée pour les autorités puisque l’internaute aura pris soin de signaler ses habitudes de surf à Pharos.