Lescure fait un premier bilan, le statut des hébergeurs dans le collimateur

Lescure, oiseau de mauvaise augure?

Pierre Lescure et Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, ont présenté hier un premier bilan (PDF) de la mission sur l’acte 2 de l’exception culturelle dont est en charge l’ancien PDG de Canal+ depuis plus de trois mois. Si aucune proposition n'est officiellement actée, de grandes lignes semblent progressivement se dessiner. Le rapport final de ces travaux est attendu pour le 31 mars.

mission lescure filippetti

 

« La mission a aujourd’hui bien avancé », s’est tout d’abord réjoui la locataire de la Rue de Valois. Toutefois, pas question selon elle de donner d’éventuels « éléments définitifs » quant à la suite des événements, mais au moins de quoi faire un état des lieux de l’avancement de la mission Lescure. Pour rappel, la feuille de route présentée en juillet dernier par le gouvernement prévoyait que ses travaux se déroulent en trois temps :

  • de juillet à septembre : diagnostic de l'existant et mise à plat des questions
  • d'octobre à décembre : auditions et débats contradictoires
  • de janvier à mars 2013 : synthèse et propositions

Un premier état des lieux

« Cette équipe, elle a déjà soixante auditions au compteur ! » se félicite Pierre Lescure en présentant les personnes l’accompagnant dans sa tâche. Mais ces rencontres organisées avec différentes associations, entreprises ou personnalités devraient se poursuivre au-delà du mois de décembre, contrairement à ce qui avait été initialement annoncé. Une dizaine d’auditions aura en effet lieu jusqu'à la mi-janvier, en plus de celles programmées pour le mois de décembre.  « On va finir... On se croirait dans un tarif d’abonnement de Free... On va finir à 99 ! », ironise l’ancien PDG de Canal. 

 

En dépit de l’absence de deux acteurs notables, l’association de consommateurs UFC-Que Choisir et l’organisation citoyenne La Quadrature du Net, Pierre Lescure semble comblé par la richesse de ses auditions. « On reçoit même cet après-midi le Parti Pirate », s’est également réjouit l’ancien PDG de Canal+. « C’est l’une des première fois où l’on a un tel champ, à la fois d’analyse, de propositions, où l’on voit très bien les contradictions qu’il va nous falloir essayer d’éclairer, les dynamiques... ».

 

Bref, de la quantité et de la qualité, assure Lescure. Même le blog participatif brille de mille feux. « J’avoue que je suis assez surpris du nombre de contributions », explique l'ancien PDG de Canal. Toutefois, avec 11 492 visites depuis son ouverture fin septembre, les espoirs du meneur de la mission Acte 2 ne devaient en fait pas être très élevés. Qu’à cela ne tienne, les 248 commentaires laissés à travers les différents espaces de participation ont gagné la satisfaction de Lescure : « C’est pas une contribution à la Twitter. Il ne s’agit pas de faire un pied de nez ou de balancer 140 signes pour se moquer ou au contraire applaudir. Non, il s’agit d’apporter une contribution en matière d’usages, de suggestions, d’analyse. Il y a des centaines de contributions qui ont été proposées sur le blog participatif, et la fréquentation est tout à fait réjouissante ». Les twittos apprécieront.

 

Sur le contenu des auditions, Pierre Lescure a présenté ce qui ressortait de ces travaux d’après les trois grands chantiers qui l’occupent : le développement de l’offre légale, la rémunération des créateurs, et les droits de propriété intellectuelle.

Bilan de l'offre légale

Pierre Lescure l’a rappelé, le développement de l’offre légale, « c’est évident que c’est un chantier essentiel pour nous, puisque d’entrée, on disait bien que l’offre légale était le meilleur argument, le plus réjouissant, pour répondre au piratage ». Après plusieurs mois d’auditions, l’ancien PDG de Canal en arrive à la conclusion qu' « Aujourd’hui, l’offre légale mérite que nous travaillons », dans l’objectif « que l’appétit des usagers, quel que soit leur âge, soit satisfait ».

 

lescureSecteur par secteur, Lescure a donc fait le bilan. Sur la musique tout d’abord. « On peut considérer que l’offre musicale est déjà à bon niveau », indique Lescure, chiffres à l’appui : une quarantaine de plateformes existent, dont 7 proposent plus de 15 millions de titres. Toutefois, « on peut encore faire mieux », prévient le meneur de la mission Acte 2, expliquant qu’il faudrait par exemple travailler les politiques tarifaires.

 

Sur le cinéma et l’audiovisuel, l’offre est diversifiée, « mais ses prix, qui sont déjà élevés, ont plutôt tendance à augmenter », regrette-t-il. « Ça nous semble un très mauvais signe, en tout cas de ne pas répondre à la réalité de la demande ». Autre problème, les catalogues restent incomplets, notamment en raison du coût de numérisation. D’autre part, si la télévision de rattrapage s’est « considérablement enrichie », l’offre de vidéos à la demande continue quant à elle « à accuser du retard ». «Le manque de "fraîcheur" des films, sortis en salle depuis au moins 3 ans, est un frein important à l’intérêt du public », conclut la mission Acte 2.  

 

Sur le livre enfin, Pierre Lescure regrette que ce dernier « entre dans le numérique à reculons ». Seuls 90 000 titres sont disponibles pour 620 000 références, « on est trop loin du compte »

 

« Il nous faut pour cela essayer de renouveler les formes de l’action publique à l’heure du numérique », résume Pierre Lescure. Selon lui, depuis les années 80 « on a un peu bricolé, on a répondu à l’actualité. Aujourd’hui, il faut vraiment s’adapter ».

Hadopi et lutte contre le piratage

« Évidemment, on donnera la réponse à la question de l’avenir de la réponse graduée », lance en fin de conférence Pierre Lescure, tout sourire. Mais alors que la question de la Hadopi ne fut pas abordée durant ce bilan de mi-parcours, cette phrase en dit au moins long sur une chose : l’institution en tant telle ne semble plus du tout être sur la sellette. Interrogé cet été sur une éventuelle suppression de la Haute autorité, Pierre Lescure avait assuré que toutes les portes étaient encore ouvertes : « Oui, tout est possible » avait-il répondu.

 

La synthèse dévoilée hier par la mission Lescure se fait toutefois plus bavarde s’agissant de la réponse graduée, mais comporte peu de surprises. Il est ainsi rappelé que le dispositif mis en œuvre par la Hadopi « fait l’objet de nombreuses critiques », portant plus particulièrement sur la suspension de l’accès à Internet. « Une grande partie des ayants droit semble prête à accepter [la] suppression » de cette sanction « très critiquée » et « jugée attentatoire aux libertés », relèvent néanmoins les membres de la mission Acte 2. Ceci d’autant plus que l’efficacité du mécanisme reste « difficile à évaluer précisément ».

 

Pierre Lescure s’est néanmoins fait plus prometteur sur un chantier, celui de la lutte contre la contrefaçon commerciale : « Je peux vous dire d’ores et déjà - sans donner aucune réponse précise - que nos travaux seront beaucoup plus importants sur la lutte contre la contrefaçon et la façon dont se nourrissent les sites illégaux ». L’ancien PDG de Canal entend ainsi « suivre la trace de l’argent : à la fois lutter contre les sites illégaux en amont, et faire en sorte de tarir leurs sources de financement, ce sera beaucoup plus important encore que le réponse graduée».

 

Cette annonce fait directement écho aux requêtes de la ministre de la Culture, qui a demandé il y a un peu plus d’un mois à la mission Lescure de trouver des outils anti streaming et anti direct download. Plusieurs pistes se sont ainsi dégagées suite aux travaux de ces derniers mois, comme par exemple celle qui consisterait à « réduire la visibilité de l’offre illégale en agissant sur le référencement par les moteurs de recherche, le cas échéant avec le concours de la puissance publique ». Une idée plusieurs fois esquissée par les ayants droits, et sur laquelle planche déjà la Hadopi.

Le statut des hébergeurs dans le collimateur

Pierre Lescure a surtout insisté sur une de ses intentions, faire évoluer la législation relative aux hébergeurs. «Évidemment, il va falloir revenir sur la définition d’un certain nombre de statuts d’aujourd’hui, à commencer par celui d’hébergeur », a ainsi indiqué l’ancien PDG de Canal, avant de préciser sa pensée : « Il ne s’agit pas de dire "on va changer votre statut juste pour vous taxer", il s’agit simplement d’adapter la définition des statuts à la réalité d’aujourd’hui ». Et l’intéressé de s’expliquer : « Un hébergeur aujourd’hui ne peut plus revendiquer la même neutralité qu’au début de son activité. Ça ne veut pas dire qu’il est totalement devenu un éditeur, ça veut dire qu’il faut trouver les mots, les descriptions, et donc, la définition des statuts qui correspondent vraiment aux usages et aux développements d’aujourd’hui ».

 

lescure filippetti

En filigrane, Pierre Lescure considère qu’une nouvelle catégorie d’acteurs, intermédiaires, a émergé, et que celle-ci devrait se voir dotée d’un cadre juridique adapté. Aujourd’hui, un hébergeur comme YouTube ou Rapidshare n’est pas obligé de surveiller les informations qu'il transmet ou stocke. Il n’est responsable des contenus qu’il héberge que dans la mesure où après avoir eu connaissance que ceux-ci étaient manifestement illicites, il n’a pas agit promptement pour les retirer ou en rendre l'accès impossible. Or, de plus en plus d’hébergeurs deviennent selon lui des éditeurs, lorsqu’ils adoptent une démarche plus active, consistant par exemple à vendre des publicités ciblées à partir des informations personnelles des utilisateurs.

 

Ainsi, pour Lescure, « considérer le seul statut d’hébergeur comme une espèce de tuyau neutre est quelque chose qui ne correspond pas à la réalité ». Il poursuit : « Quand l’hébergeur possède un service aussi important que YouTube ou iTunes, et qu’il le possède à 100 %, et que YouTube ou iTunes me donne des conseils en me disant "tu aimes bien Mylène Farmer, tu vas aimer Barbara" (...), il commence à faire un boulot d’édition. On ne peut pas dire qu’il est totalement neutre ». L’ancien PDG de Canal l’assure : « Je pense que ça servira l’observation générale et l’intérêt général que de travailler sur ces définitions. Ça servira même l’intérêt des hébergeurs ».

Statut intermédiaire entre hébergeur et éditeur 

À terme, l’objectif pourrait être de conférer de nouvelles obligations à ces hébergeurs « intermédiaires ». Les travaux de la mission Acte 2 indiquent d’ailleurs qu’une piste serait de « mieux responsabiliser les hébergeurs en les obligeant à retirer promptement les contenus illicites et à prévenir leur réapparition, et en renforçant la coopération judiciaire internationale pour punir les sites récalcitrants ». La création d’un tel statut intermédiaire avait d’ailleurs été mis sur la table l’année dernière par deux sénateurs, Laurent Béteille et Richard Yung.

 

Seulement, une modification du statut des hébergeurs allant dans le sens d’une plus grande responsabilisation de ceux-ci ne serait pas sans conséquences. Si elle permettrait certes de répondre aux demandes de certains ayants droit, qui voudraient que les hébergeurs se débrouillent pour qu’un contenu déjà signalé n’apparaisse plus sur leurs plateformes, une obligation de « notice and stay down » (retirer et ne plus laisser revenir) a de fortes implications techniques et juridiques sur les hébergeurs. La liberté d’expression, protégée in fine par le statut actuel, en prendrait également pour son grade.

 

Pierre Lescure s’attaque ici à un chantier très compliqué, d’autant que la France est tenue de respecter le cadre législatif européen. Questionné sur une éventuelle incompatibilité avec le droit communautaire, l’ancien PDG de Canal tente de rassurer : « D’abord, l’Europe n’a pas forcément toujours raison, et elle peut être amenée à évoluer ». Selon lui, « il y a de plus en plus de partenaires qui pensent comme nous, et si le gouvernement et la ministre valident les conclusions qu’on apportera à cet égard, ça deviendra un enjeu qui sera discuté à Bruxelles ». La tâche s'annonce d'ores et déjà extrêmement rude.

Et sur la suite des événements ?

« Le premier chapitre sera fini fin décembre. Là va commencer, pour deux mois, deux mois et demi, un travail entre nous, où il s’agit de préparer les propositions à court, moyen et plus long terme, a assuré Pierre Lescure. Mais tout ça se fera en dialogue, le plus souvent possible contradictoire, afin d’avancer, avec tous les acteurs qui reviendront sur des chantiers, des propositions, des outils ». Un document provisoire devrait être rédigé d’ici au 15 mars, en vue de finaliser le rapport qui sera remis au gouvernement le 31 mars.

 

Aurélie Filippetti a toutefois précisé que certains dossiers n’attendront pas jusque là. C’est par exemple le cas du projet de loi sur la « Lex Google », qui sera transmis au Parlement si Google et les éditeurs de presse ne trouvent pas un accord d’ici la fin du mois ; mais également du dernier projet de Taxe sur les services de télévision (TST), dont les discussions se poursuivent à Bruxelles. Nous ne manquerons pas d’y revenir. 

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