Après de longs mois de préparation, Snap Inc, l'entreprise à l'origine de Snapchat, se lance enfin dans la dernière ligne droite avant son introduction en bourse. L'occasion pour nous de voir enfin si le modèle économique de ce réseau social fonctionne.
Snap inc. a donc publié la première version de son formulaire d'introduction en bourse, auprès de la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme américain des marchés financiers. Un épais document qui doit renseigner les futurs investisseurs sur les conditions de cette entrée sur les marchés, mais qui livre aussi une photographie détaillée de l'état de santé de l'entreprise.
Trois milliards de dollars, zéro droit de vote
Avec cette introduction en bourse, Snapchat espère lever un maximum de 3 milliards de dollars, pour un nombre d'actions qui n'a pas été communiqué pour le moment. Un manque normal à cette étape de la procédure. Mais ce n'est pas le détail le plus important dans cette opération.
Le capital de Snap inc. est divisé selon trois catégories d'actions : celles de classe A, n'offrant aucun droit de vote, celles de classe B, offrant un droit de vote chacune et celles de classe C, qui pèsent chacune pour dix voix. Seuls les dirigeants et fondateurs de l'entreprise disposent de telles actions.
Dans le cadre de son introduction en bourse, Snap inc. ne proposera à la vente que des actions de classe A. Ainsi, il sera impossible qu'une autre personne, morale ou physique, puisse prendre le contrôle de la société s'il ne fait qu'acheter les actions échangées sur les marchés boursiers.
Il s'agit d'une première aux États-Unis selon l'entreprise, et cela n'est pas sans générer une certaine inquiétude de son côté. Les investisseurs pourraient en effet bouder cette formule, souhaitant non seulement récolter des dividendes, mais aussi influencer les choix du réseau social.
Quelle valorisation pour Snap inc. ?
Le nombre d'actions et leur tarif d'introduction n'étant pour l'instant pas connu, la valorisation visée par Snap inc. lors de cette opération n'est pas encore connue. Elle devrait toutefois être très élevée si l'on se fie à celle observée lors des précédentes levées de fonds de l'entreprise.
Lors de la dernière en date (en mai 2016), Snap inc. avait levé 1,8 milliard de dollars, avec une valorisation comprise entre 17,8 et 22,7 milliards de dollars, chacun des investisseurs concernés ayant conclu un accord différent. L'entreprise ayant depuis poursuivi sa croissance à un rythme relativement soutenu, la note pourrait cette fois-ci excéder les 25 milliards de dollars.
Snap inc., l'historique d'une « camera company »
Maintenant que la valorisation est à peu près cernée, penchons-nous sur les chiffres publiées par l'entreprise dans son prospectus à destination de ses futurs actionnaires. Snap inc. se présente comme une société spécialisée dans la photographie et explique que son produit phare, l'application Snapchat, a été créée dans le but « de permettre aux gens de partager plus facilement des images ».
« Au départ, beaucoup de gens ont utilisé Snapchat d'abord pour envoyer des "selfies". Nous pensons que l'effacement par défaut des clichés a mis à l'aise nos utilisateurs, qui pouvaient donc envoyer des photos où ils n'étaient pas parfaits », philosophe ensuite l'entreprise avant d'embrayer sur une explication de texte sur les Stories. Selon elle, cette fonctionnalité « dont le succès n'était pas assuré » est devenue l'une des plus en vue sur l'application, puisqu'aujourd'hui 25 % de ses 158 millions d'utilisateurs quotidiens publient du contenu sur leur Story chaque jour.
Avant d'en arriver là, Snapchat a vu son nombre d'utilisateurs croître rapidement tout comme ses factures d'hébergement. « Nous nous sommes alors rendus compte que nous devions monétiser tout ceci », peut-on candidement lire dans le prospectus.
De l'abandon des Lens à l'essor de la publicité
Pour récolter un peu d'argent auprès de ses utilisateurs, Snapchat a d'abord tenté de leur proposer des filtres, facturés 99 centimes l'unité. Une initiative qui n'aura finalement tenu que deux petits mois. À l'époque, Snap inc. n'avait pas donné les raisons exactes qui l'ont poussé à abandonner ce service payant, qui selon ses dires rapportait plusieurs dizaines de milliers de dollars par jour.
Désormais, toute la lumière est faite sur le « pourquoi ». Dès le lancement de la fonctionnalité, celle-ci avait atteint une quantité importante d'utilisateurs, qui s'est rapidement réduite dès que l'option est devenue payante. En la rendant de nouveau gratuite, le taux d'utilisation est remonté en flèche et a connu lors des mois suivants une croissance soutenue. « Nous avons appris que demander aux utilisateurs de payer pour des outils de création était une mauvaise idée. Cela a introduit plus de friction dans l'expression de soi, ce qui est tout le contraire de ce que l'on voulait pour Snapchat », résume la start-up.
L'entreprise s'est alors tournée vers la publicité pour faire son beurre. Celle-ci prend plusieurs formes sur l'application. On trouve d'abord des filtres sponsorisés, qui peuvent être actifs partout ou bien seulement dans quelques zones géographiques précisément délimitées. Ainsi, une chaîne comme Starbucks peut proposer à ses clients des filtres exclusifs pour le selfie qui accompagnera leur capuccino.
La deuxième formule est plus classique. Il s'agit de glisser des publicités vidéo entre les différentes Stories que l'utilisateur consulte. La répartition entre le contenu et la publicité varie en fonction de l'utilisateur ayant publié la Story en question. Si c'est celle d'une marque ou une diffusion en direct, la fréquence des publicités est plus élevée. Inversement si l'on consulte celle d'un autre particulier, la pression des annonceurs sera plus faible.
Quoi qu'il en soit, Snap inc. assure avoir des résultats particulièrement flatteurs avec ses publicités. Selon l'entreprise, 60 % de ses publicités vidéo sont lues avec le son actif, une valeur très haute dans le domaine de la publicité sur mobile.
1,2 milliard de dollars de pertes depuis sa fondation
Est-ce que cette recette est la source de bénéfices colossaux ? La réponse est très clairement négative, pour l'instant. La croissance des revenus est belle et bien au rendez-vous pour Snap inc., mais le chemin vers la rentabilité est encore très long pour l'entreprise.
Sur l'ensemble de 2015, Snap inc. a réalisé un chiffre d'affaires de 58,6 millions de dollars, avec des pertes nettes qui se sont élevées à 372,9 millions de dollars, tandis que sa trésorerie a fondu de 328,8 millions de dollars sur cette période.
En 2016, les revenus ont heureusement augmenté très fortement pour atteindre 404 millions de dollars. Les pertes ont quant à elles continué de se creuser pour atteindre 514,6 millions de dollars, tout comme la trésorerie, avec 677,7 millions de dollars de cash qui se sont évaporés. À ce rythme-là, en l'absence d'introduction en bourse ou de nouveau tour de table, Snap inc. aurait pu brûler ses 987 millions de dollars de réserves en moins d'un an et demi. Depuis sa fondation, la société a cumulé 1,2 milliard de dollars de pertes nettes.
Il est à noter que la plupart des revenus de Snap inc. proviennent de ses utilisateurs nord-américains, une situation que l'on a déjà pu observer avec Facebook. Ainsi, sur ce marché au dernier trimestre chaque utilisateur a rapporté en moyenne 2,15 dollars. Un Européen lui ne rapportait que 28 cents, tandis que le chiffre baissait à 15 cents dans le reste du monde.
Revenu moyen par utilisateur de Snap inc. en fonction de son lieu de résidence
Les dépenses de Snap inc. augmentent elles aussi à bon train. Le spécialiste autoproclamé de la photo explique ainsi à la SEC que ses effectifs ont triplé en 2016 pour atteindre 1 859 employés. Les coûts en R&D ont quant à eux plus que doublés et atteint 183,7 millions de dollars.
Un point positif est toutefois à noter : Snap inc. dispose d'une ligne de crédit renouvelable depuis juillet 2016, lui permettant de disposer de 1,2 milliards de dollars de liquidités en cas de besoin, à un taux indexé sur celui du LIBOR + 0,75 %. Pour l'instant, la société n'a pas touché à un seul centime de cette réserve, qui pourra s'avérer utile dans le cadre d'une future opération d'acquisition.
Un gros contrat avec Google
Snap inc. a également profité de cette déclaration pour officialiser sa relation avec Google. Le réseau social explique qu'il s'est engagé à dépenser au minimum pour 400 millions de dollars par an de services cloud au géant de Mountain View, ce sur une durée s'étalant sur cinq ans, pour un total qui s'élève donc à 2 milliards.
L'entreprise peut toutefois compter sur un petit filet de sécurité. Si ses dépenses sont inférieures de 15 % au montant prévu, le total manquant est reporté sur le minimum à atteindre et ainsi de suite d'une année sur l'autre. Si lors d'une année, Snap inc. ne parvient pas à atteindre le montant minimal de dépenses, celui-ci devra toutefois être versé en intégralité à Google, qui s'est potentiellement assuré d'un gros client. Toutefois, l'accord conclu ne contient pas de clause d'exclusivité, et la société pourra aussi s'appuyer sur d'autres fournisseurs de services si elle le souhaite.
Un accord amiable à 157,5 millions de dollars sur une idée
Enfin, Snap inc. a révélé en détail l'accord qui a été signé en 2014 pour mettre fin aux poursuites engagés par Reggie Brown, qui se revendique comme l'un des cofondateurs de l'entreprise. Celui-ci aurait émis l'idée d'une application permettant d'envoyer des photos éphémères en présence de Bobby Murphy et d'Evan Spiegel, qui l'auraient prise à leur compte pour fonder l'entreprise.
Les termes de l'accord sont restés secrets jusqu'à aujourd'hui. Dans sa documentation aux investisseurs, Snap inc. explique avoir dû verser au total 157,5 millions de dollars à Reggie Brown pour que les poursuites cessent. Une somme finalement pas si élevée au regard des retombées attendues dans le cadre de l'introduction en bourse de la société.