Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) envisage de « dématérialiser » les pétitions que peuvent lui soumettre les citoyens. Nous avons pu discuter de ce projet avec Gérard Aschieri, qui a récemment co-signé un avis de l’institution sur le renforcement de l’engagement citoyen grâce au numérique.
Alors que Nathalie Kosciusko-Morizet proposait durant la primaire de la droite de remplacer le CESE par une « Chambre numérique des citoyens », sorte de plateforme où les internautes auraient pu déposer des propositions de loi, l’institution s’apprêterait-elle à opérer d’elle-même sa « révolution numérique » ?
Régulièrement critiquée pour sa faible utilité, cette assemblée au rôle purement consultatif a adopté le 10 janvier dernier un avis au travers duquel on apprend que « le CESE proposera de travailler à la mise en place d'une plateforme de pétition », un peu comme l’avait souhaité François Hollande courant 2016.
Une procédure cadenassée depuis plusieurs années
Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, cet organisme composé de représentants de la société civile (salariés, associations, artisans, etc.) a désormais pour rôle de recevoir des pétitions citoyennes, auxquelles il reste toutefois libre de choisir « les suites qu'il propose d'y donner ».
Sauf que pour être recevable, toute pétition doit remplir une série de conditions pour le moins rédhibitoires... Il faut qu’au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France, apportent leur signature au texte en question. Chacune d’entre elles doit avoir laissé ses noms et prénoms ainsi que son adresse postale complète, de même qu’une signature manuscrite. Le tout doit être envoyé au CESE par liasses de cent, contenues dans des cartons numérotés, etc.
Bref, on comprend ainsi pourquoi une seule pétition a réussi à terminer son chemin de croix ! C’était en 2013, à propos du mariage pour tous. Manque de chance pour ses initiateurs : le Conseil l’a jugée irrecevable, au motif qu’elle portait sur un projet de loi soumis au Parlement (la loi Taubira). Le bureau du CESE a néanmoins décidé de s’autosaisir sur « les évolutions contemporaines de la famille et leurs conséquences en matière de politiques publiques ».
« Dématérialiser » la saisine du CESE par voie de pétition
L’institution travaille donc sur un projet qui pourrait changer profondément l’utilisation de cet outil : une dématérialisation des pétitions, dont les signatures seraient recueillies directement depuis un site Internet officiel. « Il y a un appétit de consultation, il y a un appétit d'échange, et le numérique peut fortement contribuer à ça, sous certaines conditions (notamment en termes de protection des données, de vérification des signatures, etc.). C'est nous semble-t-il une réponse d'avenir à une aspiration de plus en plus forte de la société que d’être associée aux débats » nous explique Gérard Aschieri, co-auteur de l’avis intitulé « Réseaux sociaux numériques : comment renforcer l'engagement citoyen ? »
Débarrassés des problèmes matériels, financiers et organisationnels liés à l’envoi sur support papier des signatures, on imagine sans mal que les citoyens devraient être plus facilement séduits par ce nouvel outil. Chacun n’aurait qu’à se rendre sur la plateforme choisie par le CESE pour prendre connaissance des pétitions ouvertes ou en soumettre de nouvelles. Comme sur certains sites spécialisés, des compteurs pourraient permettre aux internautes de savoir quels textes sont sur le point d’atteindre le seuil fatidique de 500 000 signatures.
Des difficultés techniques et juridiques
« Pour l'instant, c'est encore à l'étude », temporise néanmoins Gérard Aschieri. « Il y a des difficultés d'ordre législatif, ainsi que des questions plus techniques et financières... Tout cela est en train d'être travaillé par le bureau du CESE. »
Si l’article 69 de la Constitution prévoit que le Conseil peut être saisi « par voie de pétition », la loi organique qui le complète précise effectivement que chaque pétition doit être « établie par écrit » (et non par d’autres canaux, notamment électronique). Autrement dit, on voit mal comment cette réforme pourrait voir le jour sans intervention du législateur.
Autre problématique : s’assurer que ce sont bien les citoyens qui apportent leur signature aux pétitions proposées, non un robot ou un usurpateur d’identité. Le CESE a cependant sa petite idée pour résoudre l’équation... « Le développement de FranceConnect, qui permet à un(e) usager(ère) d'accéder aux informations personnalisées de différents services publics, à partir d'un seul point d'entrée, tout en assurant la protection de leurs données, pourrait servir de point d'appui à ce travail », relève Gérard Aschieri dans son récent avis.
Pour l’heure, tout semble encore à l’état embryonnaire, même si FranceConnect est utilisé pour de plus en plus de services publics numériques : solde de points du permis de conduire, compte personnel d’activité, etc. « L'idée c'était de commencer à avancer des pistes au premier trimestre 2017. Mais je pense qu'on va attendre que les élections soient passées », nous confie cet agrégé de lettres à la retraite.
Gérard Aschieri demeure quoi qu’il en soit convaincu de l’intérêt d’une telle réforme : « Si le CESE est capable de prendre en compte des attentes qui s'expriment par des pétitions de ce type, ça ne fera que renforcer son poids, et donc renforcer l'efficacité de la démarche. Il peut y avoir un cercle vertueux aussi bien que vicieux, si les gens ont le sentiment que ça ne sert à rien... »
L’intéressé estime qu’il serait possible d’aller plus loin en couplant ce dispositif à une plateforme de consultations en ligne. « Ce n'est pas parce qu'il y a une pétition ou une consultation que les instances élues doivent abdiquer leur droit à décider ou à donner un avis », soutient-il. « Mais il y a une sorte d'appétit d'association à la prise de décision, pour que les débats ne se passent pas seulement entre représentants et que tout un chacun puisse s'exprimer. »
Tandis que certains craignent que ces initiatives alliant démocratie participative et numérique s’essoufflent rapidement, Gérard Aschieri prévient que les projets du CESE ne pourront être viables qu’à deux conditions. Premièrement, « que les gens puissent en voir les effets, c'est-à-dire que ce soit pris en compte sous une forme ou une autre ».
Deuxièmement, que la question de l’accessibilité ne soit pas oubliée : « Ça ne peut pas marcher si on ouvre très vite une plateforme de consultation, qu’on ne fait pas de publicité, et à partir de là qu’on dise qu'on a consulté. Il faut qu'il y ait de l'information, que l'ergonomie soit bonne, etc. Il faut aussi bien sur que l'accès à Internet soit largement répandu. »
La délicate question des seuils
Et pourquoi pas abaisser le seuil de 500 000 signatures ? « Il y a des cas où on y arrive sans trop de difficultés, quand il y a des grands sujets, de forts mouvements d'opinion » répond Gérard Aschieri. Lequel cite en exemple la pétition contre la loi Travail, qui comptabilise à ce jour plus de 1,3 millions de signatures (dans des conditions de vérification toutefois bien moins drastiques que ce qu’envisage le CESE).
L’expérience du « référendum d’initiative populaire », en vigueur depuis 2015 mais jamais activé à cause de son seuil encore plus important – environ 4,5 millions de citoyens inscrits sur les listes électorales – montre cependant qu’il peut parfois être difficile de mobiliser très largement, y compris via Internet.
« Par ailleurs, le CESE peut très bien s'auto-saisir, même si la Constitution ne l'oblige pas à prendre en compte une pétition qui n'aurait pas obtenu ses 500 000 signatures, considérant qu'il y a quelque chose qui se passe dans l'opinion. » En clair, le Conseil garde une grande liberté et pourrait choisir d’explorer certains sujets à partir des pétitions en gestation sur Internet.
Si l'on déplace ce projet à la lumière de la campagne présidentielle, force est de constater que la question des pétitions intéresse assez peu les candidats à la présidentielle. Seul Alain Juppé avait fait une proposition en ce sens, consistant à ce que le gouvernement soit tenu de répondre sous 30 jours aux pétitions ayant recueilli le soutien d’au moins 100 000 internautes. Une idée directement copiée sur ce qui prévaut aux États-Unis (voir notre article).