L'intelligence artificielle est sans aucun doute une technologie d'avenir qui soulève de nombreuses questions, mais aussi des craintes. Dans tous les cas, la France compte être un des moteurs de son développement et le gouvernement lance ainsi des groupes de réflexion à travers son projet « France IA ».
Ce matin, le gouvernement organisait une conférence de presse afin de lancer son projet « France IA ». Il s'agit de définir « les orientations stratégiques de la France dans le domaine de l’intelligence artificielle ». Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer à de nombreuses reprises, cela touche de très nombreux domaines, avec d'importants débouchés, mais aussi des problématiques liées à l'exploitation des données.
La France veut être présente et Thierry Mandon tire la sonnette d'alarme
Avec plus de 200 start-ups recensés dans le domaine de l'intelligence artificielle, la France veut continuer à jouer un rôle important... mais aussi éviter une fuite de ses cerveaux et entrepreneurs à l'étranger. Thierry Mandon explique d'ailleurs que la recherche « est en grand danger » et qu'aujourd'hui, les centres français « sont pillés ». « Leurs chercheurs sont débauchés par des sociétés qui ne sont pas françaises et qui ont le bon goût de ne pas payer d'impôt en France » tonne-t-il.
Sans être directement cité, on lit entre les lignes qu'il est notamment question de Facebook. Pour rappel, fin 2013, le réseau social a justement recruté le français Yann Le Cun comme directeur pour son laboratoire de recherche sur l'intelligence artificielle.
L'intelligence artificielle, entre fantasmes et peur
Pour entrer dans le vif du sujet, notre confrère Jacques Henno explique qu'autour de l'intelligence artificielle, il y a « toute une série de fantasmes et de peurs, sur les robots tueurs ». Derrière cette idée, deux concepts : symboliques d'abord avec des risques sur les emplois, et plus terre à terre ensuite avec les armes.
Mais, comme le résume Axelle Lemaire un peu plus tard durant la conférence, « l'intelligence artificielle en soit, ce n’est pas bien ou mouvais, c'est une technologie et comme tout outil ça dépend de ce qu'on veut en faire ». Un sujet que nous avions déjà largement abordé dans nos colonnes.
Une crainte largement plus présente en France qu'aux USA
La secrétaire d'État au numérique et à l'innovation souhaite justement que la France continue à jouer un rôle de locomotive : « l'intelligence artificielle est là, elle va se développer avec un potentiel extraordinaire ». Mais elle rappelle également que c'est un sujet sensible. Elle cite ainsi une étude (sans aucune précision) selon laquelle « 65 % des Français ont peur de l'intelligence artificielle », contre seulement 22 % des personnes aux États-Unis.
Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL était également sur place, et rejoint Axelle Lemaire sur la préoccupation des Français. Dans un sondage demandé à Ipsos, mais qui ne sera dévoilé que lundi prochain à l'occasion du premier grand débat sur les algorithmes (qui sera diffusé sur YouTube), elle explique qu'il ressort « des chiffres un peu préoccupants ». Lesquels ? Il faudra attendre la semaine prochaine pour le savoir...
La délicate question des données (personnelles)
Il y a au moins une raison à cela : « les données c'est le cœur de l'IA » rappelle la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Pour rappel, afin d'apprendre à reconnaitre un objet dans une image, il faut qu'une intelligence artificielle dispose d'une base de données de plusieurs millions ou milliards d'images de référence. Dans le cas de Facebook par exemple, les photos que vous publiez sont une aide précieuse et surtout... gratuite pour le réseau social.
Mais qui dit données, dit également informations personnelles. Rand Hindi, entrepreneur et membre du Conseil National du Numérique, ne s'en cache pas : pour que les assistants numériques fonctionnent correctement, il faut qu'ils aient « accès à un maximum de données sur la vie des gens ». Néanmoins, il ajoute rapidement cela ne veut pas dire qu'il faut pour autant laisser complètement tomber sa vie privée. Par exemple, les données pourraient très bien être traitées localement sur les machines.
Le chiffrement homomorphe à la rescousse
Et ce n'est pas tout, il est également possible de « faire du machine learning sur des données chiffrées récupérées de plusieurs utilisateurs différents ». Cette technologie porte d'ailleurs un nom : le chiffrement homomorphe. Ainsi, chaque utilisateur peut envoyer des données chiffrées qui servent de base pour des calculs, sans avoir besoin d'être déchiffrées pour cela.
Au-delà du traitement des données (chiffrées ou non), Jean-Louis Fréchin, designer numérique et fondateur de NoDesign.net, explique qu'il faut ouvrir « la boite noire », c'est-à-dire laisser accessibles les algorithmes afin que chacun puisse vérifier comment les données sont utilisées. Plusieurs géants du secteur ont d'ores et déjà commencé à ouvrir leurs algorithmes... mais pas leurs données, qui sont pourtant le carburant des intelligences artificielles.
Attention à la « bêtise artificielle »
Si la donnée est la base de base de l'intelligence artificielle, Laurence Devillers, professeur d'informatique et membre du CNRS, explique que cette matière première qui peut engendrer « des dégâts énormes » suivant l'utilisation qui en est faite. Il faut ainsi bien s'assurer que les données soient neutres et n'induisent aucun biais dans les algorithmes. De l'intelligence artificielle, on peut facilement se retrouver à « faire de la bêtise artificielle » lâche-t-elle.
Se pose également la question de l'éthique de l'intelligence artificielle, un sujet déjà abordé avec la problématique du choix des victimes par une voiture autonome en cas d'un accident mortel (voir cette actualité). Isabelle Falque-Pierrotin rappelle que ce débat n'est pas simplement franco-français : « tous les pays sont en train de toucher du doigt » cette question, « on a un fil rouge vraiment mondial sur cette question de l'éthique de l'intelligence artificielle et des algorithmes ».
En guise de conclusion de cette partie sur la présentation de l'intelligence artificielle, Jean-Louis Fréchin explique que « même s'il y a des risques, il faut y aller ». Il sera d'ailleurs rejoint par Thierry Mandon en fin de conférence : « Il faut y aller maintenant, sinon ça sera trop tard ». France IA est justement là pour établir un plan de bataille.
Sept groupes de travail sur l'intelligence artificielle
Afin de déblayer le terrain, sept groupes de travail ont ainsi été annoncés, chacun centré sur un sujet précis :
- Établir une cartographie nationale des activités en intelligence artificielle
- Identifier et définir la priorisation des sujets de recherches
- Identifier et définir les priorités sur les besoins en formation
- Préparer l'industrialisation de l'intelligence artificielle (mettre en relation les centres de recherche et l'industrie)
- Développer l'écosystème de l'intelligence artificielle en France
- Définir les règles de souveraineté et de sécurité nationale
- Anticiper les impacts macro-économiques et sociaux, notamment sur les emplois
Comme on peut le voir, il s'agit principalement d'organiser les différentes institutions (publiques et privées) autour d'un projet commun : l'intelligence artificielle. David Sadek, qui préside le premier groupe, explique que « quand on veut livrer bataille, il faut faire l'inventaire de ses forces ». Une manière de présenter sa mission principale (cartographier l'IA en France), mais qui peut facilement s'étendre à l'ensemble de ce projet.
Notez que des regroupements plus petits seront également de la partie afin de plancher sur des sujets plus précis. Il est notamment question des véhicules autonomes, du monde de la finance, de la relation client, etc. Rien n'est définitif et des ajustements peuvent être faits si nécessaire.
Un rapport sera présenté fin mars
Ces groupes devront rapidement rendre leur premier bilan puisque la fin des travaux est prévue pour le 14 mars 2017. Le 21 mars aura lieu une réunion du comité d'orientation afin que les responsables de groupes puissent présenter leurs conclusions. Enfin, le 28 mars sera le jour de la remise du rapport. Il sera alors temps de faire le point sur les propositions qui seront faites.