Next INpact a pu interroger Yannick Jadot, le candidat d’Europe Écologie - Les Verts (EELV) à l’élection présidentielle. L’occasion d'en savoir plus sur les propositions de l’eurodéputé, ancien directeur de campagne de Greenpeace, en matière de numérique.
On vous a jusqu’ici assez peu entendu sur les questions liées au numérique (qui sont pourtant généralement chères à EELV). Doit-on en déduire que ce sujet ne fait pas partie de vos priorités ?
Bien au contraire ! La question numérique occupe une large part de mon projet. À la fois sur sa dimension la plus économique (je considère que le numérique est un élément essentiel de l'économie du 21e siècle et qu'il faut en tirer tous les partis), mais aussi parce que ça renvoie à tout ce qui relève de la transition écologique, de redistribution des pouvoirs, à la création culturelle, etc. Pour moi, c'est un enjeu essentiel, bien sûr.
Je suis d’ailleurs pour qu'il y ait un ministre, rattaché auprès du Premier ministre, en charge de la transformation numérique.
Quelle est « la » réforme clé qui doit selon vous être menée prioritairement sur cette thématique ?
Je crois qu’il y a un enjeu extraordinaire d'éducation : il s'agit de préparer la société à la question numérique. Pour moi, dès le plus jeune âge et de manière structurée au fil du cursus scolaire, il devrait y avoir du numérique. Ça va du code au traitement de l'information, ce que signifie le numérique en matière de libertés individuelles, en matière de données personnelles, etc.
À un moment donné, il faut que le numérique soit un cours, un enseignement tel qu'une langue vivante. Cela devra se traduire par un énorme investissement sur les enseignants. Ça, ça me paraît être une mesure essentielle pour préparer notre pays, ou au moins pour faire en sorte que la France rattrape son retard sur la question numérique.
Sur le symbolique dossier de la Hadopi, quelle est votre position ? Souhaitez-vous maintenir ou supprimer la riposte graduée ?
Elle vit encore ?
Oui, elle vient même de fêter ses sept années d’existence...
On n'en entend plus parler, c'est tant mieux, mais autant la fermer ! Je considère la démarche anachronique. C'était d'abord une volonté de contrôle dans sa pire dimension : la construction de nouvelles rentes au profit des multinationales du divertissement. Et elle a raté l'enjeu particulièrement important qu'est la protection de la création...
Quand je vois aujourd'hui la croissance que connait l'industrie musicale grâce au numérique, je me dis que l'idée selon laquelle le piratage allait tuer tous les artistes était bel et bien fausse !
Je me suis battu et on a gagné contre ACTA au Parlement européen, qui était au fond une sorte d'Hadopi mondiale si l'on caricature un peu... Il y avait cette même volonté de construire de la rente bien avant de protéger la création. Et s'il y a bien un danger majeur aujourd'hui, c'est que l'économie numérique permette de nouvelles rentes, de nouvelles concentrations, et non pas cette forme de liberté, d'horizontalité et de partage promue par Internet.
En appelez-vous à une légalisation du partage non-marchand, comme Éva Joly en 2012 ?
Bien sûr ! Mais il faut que le partage non-marchand ne soit pas une nouvelle source de profits, c'est ça le problème... Il y a aujourd'hui toute une économie du partage, qu'il faut réguler (c'est tout le débat sur Airbnb par exemple) pour éviter qu'elle permette à certaines personnes de se constituer une rente à partir de contributions bénévoles.
Plusieurs candidats misent sur le numérique pour donner un nouveau souffle à la démocratie française. En faites-vous partie ?
Oui, j'ai dans mon programme différentes propositions comme le « 1% participatif » du budget d'investissement de l'État. Sur le modèle de ce que font certaines villes comme Grenoble ou Paris, les citoyens pourraient soumettre des propositions sur des plateformes dites de « civic tech ». Un système de vote permettrait ensuite savoir à la fin lesquels on va développer, ou pas.
Quelles en seraient les conditions, de seuil par exemple ?
Il y aura bien évidemment un droit de regard des institutions publiques pour s'assurer que ça ne servira pas à financer n'importe quoi. On ne va par exemple pas financer un projet visant à remettre en place la peine de mort... Il y aura un contrôle démocratique pour veiller à ce que ça serve l'intérêt général, les valeurs de notre société, et non pas une sorte de contre-révolution morale.
Pensez-vous qu’il faille aller plus loin en matière de transparence de l’action publique ? Que changeriez-vous par exemple au registre de lobbyistes de la loi Sapin 2 ?
La loi Sapin 2 est un progrès, on ne va pas se raconter d'histoires... Mais il faut beaucoup plus de transparence sur les lobbys, les rendez-vous, notamment informels, suite aux invitations en tout genre, etc.
Pour l'élection présidentielle, je me bats pour que les candidats, une fois qu'ils ont leurs 500 signatures, disent quelles ont été au cours des cinq dernières années leurs sources de revenus et qui a fourni ces revenus.
Je suis stupéfait de voir le candidat Fillon considérer que le travail qu'il a effectué lors des cinq dernières années dans le cadre de son agence de conseil relève du secret commercial. Il a quand même quadruplé ses indemnités parlementaires (17 000 euros par mois en moyenne) et refuse de révéler qui l'a payé. Je trouve ça profondément scandaleux !
De la même façon, je trouverais normal qu'on sache qui finance la campagne d'Emmanuel Macron, comme qui finance ma campagne. Mais moi, ça pose moins de problèmes au regard des sommes engagées...
Et donc vous, vous publiez ces informations ?
On est en train de les ramasser. On pêche plus par manque de moyens du point de vue de la mise en œuvre de la transparence que par notre volonté de cacher des choses. On a des dons, mais qui sont généralement en dessous de 100 euros.
Lors des débats sur la loi Numérique, plusieurs parlementaires écologistes voulaient que les administrations utilisent prioritairement des logiciels libres. Êtes-vous favorable à l’introduction d’une telle obligation ?
Bien sûr ! Je pense que la question du logiciel libre, dans sa construction démocratique, dans le combat contre les rentes, est un élément important, en lien avec les valeurs européennes. Il faut aller vers davantage de logiciel libre.
Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre les problèmes d’obsolescence, notamment des appareils informatiques ou de type smartphone ?
Il faut arriver à renforcer l'éco-conception des produits et améliorer leur durabilité. Concrètement, nous proposons une modulation de la TVA en fonction de l'éco-conception (de la même manière qu'on le fait aujourd'hui en matière d'énergie). Ça veut dire moins de TVA si vous favorisez la réparation, le recyclage ou le réemploi. Et plus de TVA si au contraire vous êtes dans l'obsolescence.
Nous voulons d'autre part mettre en place ce qu'on appelle le « chèque réparation ». Ce serait une sorte de crédit d'impôt qui rembourserait une partie de la TVA sur toutes les filières de réparation (hormis l'automobile).
Et puis enfin, nous prônons une extension de la garantie minimale à cinq ans.
Toutefois, la question de l'obsolescence pour les appareils tels que les téléphones portables relève moins aujourd'hui de la garantie (mis à part peut-être pour la batterie) que de la question logicielle. Le problème pour les téléphones, c'est que la progression de la technologie fait que votre téléphone n'est plus fait pour durer cinq ans...
On peut considérer qu'il faudrait qu'il y ait une sorte de « pack de base » qui fonctionne tout le temps, de manière performante. Après, on peut choisir d'actualiser, mais on devrait pouvoir garder un pack qui permette à votre téléphone de fonctionner le plus longtemps possible.
Comme vous, la plupart des candidats s’accordent pour dire qu’il faut en passer par l’échelle européenne pour lutter contre l'évasion fiscale, notamment des géants du Net. En quoi votre approche est-elle différente ?
On ne peut pas vouloir déconstruire l'Union européenne, en appeler à un nouveau nationalisme – comme le proposent certains candidats – et dire qu'il faut que l'Europe marche mieux du point de vue fiscal... Il faut savoir ce qu'on veut !
Le pillage organisé au sein de l'Union européenne, ça va bien... Aujourd'hui, quand vous essayez d'avancer sur la fiscalité, vous avez toujours une main néerlandaise, autrichienne, luxembourgeoise, britannique, irlandaise... qui se lève à un moment pour dire « Je ne suis pas d'accord ». Et finalement, c'est celui qui n'est pas d'accord qui gagne.
La seule façon de sortir de cette paralysie (même s'il y a de petites choses qui ont avancées), c'est évidemment la méthode communautaire : en réformant à la majorité qualifiée. Ça veut dire qu'il faut un pas d'intégration en matière de fiscalité, ça veut dire qu'il faut une assiette commune pour les entreprises, ça veut dire qu'il faut un taux minimum d'impôt sur les sociétés à l'échelle européenne, de 25 %, ça veut dire qu'il faut travailler sur la transparence pays par pays, ça veut dire qu'il faut lutter contre toutes les sociétés écrans, ça veut dire qu'il faut lutter contre les failles fiscales, etc.
Je propose aussi qu'on fasse sauter le « verrou de Bercy » pour permettre des actions citoyennes qui voudraient dénoncer de l'évasion fiscale. Ça permettrait de faire fonctionner la justice sans savoir si la direction du Trésor est en train de négocier un accord tout pourri avec la fraude fiscale organisée. Et puis c'est évidemment la question de la protection des lanceurs d'alertes.
Toujours sur le plan de la fiscalité, en appelez-vous comme Arnaud Montebourg à des incitations financières afin d'encourager le recours au télétravail ?
Oui, c'est bien cette piste. Le télétravail, c'est à la fois un enjeu d'aménagement du temps de travail, de lutte contre la fracture territoriale et de protection de l’environnement. Donc c'est tout bénéf' évidemment !
Quand son bureau, c'est d'abord son ordinateur, il n'y a pas de raison de devoir pointer lors des pics de pollution par exemple. Mais attention à ne pas créer plus d'isolement ou de souffrance au travail, parce qu'on défend aussi le droit à la déconnexion.
Concrètement, que proposez-vous sur ce dossier ?
Nous portons la réduction du temps de travail dans l'entreprise, mais non pas de manière un peu brutale comme les lois Aubry sur les 35 heures, mais plus par la négociation. Le télétravail doit rentrer là-dedans. Et ce qu'on propose, c'est de moduler les cotisations accidents du travail/maladie professionnelle en fonction d'un plan « bien-être au travail » qui serait adopté dans les entreprises, et qui traiterait entre autres de la question du télétravail.
Pensez-vous qu’il faudra étendre la portée de la récente loi écologiste qui interdira, à partir de 2018, les publicités lors des émissions jeunesse de France Télévisions ?
Le problème de ce premier pas, c'est qu'il nous met au milieu du gué. Il n'y a que le service public qui se sent sanctionné dans cette affaire, dans la mesure où France Télévisions va perdre des recettes et pourrait être amené à acheter des programmes étrangers, moins chers.
Si l'on pense, comme nous, que ce n'est pas bon pour les enfants, il faut l'interdire sur toutes les chaînes. Et réfléchir à son interdiction sur tous les supports.
Vous faites référence aux plateformes de type YouTube ?
Exactement. Il faut trouver comment réduire l'exposition des enfants à la publicité. Pour nous, écologistes, la publicité est certes un secteur d'activité énorme, mais il demeure au service d'un projet consumériste. On est dans un monde qui consomme deux fois plus de ressources que la planète peut en fournir, donc cette logique de la consommation pour la consommation est quand même un vrai problème de notre modèle de développement et de la société dans laquelle on s'enferme.
Merci Yannick Jadot.