L'hébergeur 1fichier.com encore privé de CB avec la Société Générale, la Hadopi à la rescousse

Vers la route de la banque
Droit 7 min
L'hébergeur 1fichier.com encore privé de CB avec la Société Générale, la Hadopi à la rescousse
Crédits : karelnoppe/iStock/Thinkstock

Nouvelle déconvenue pour 1fichier.com. L’éditeur de ce service d’hébergement a échoué à faire rétablir le contrat monétique signé avec la Société Générale. Pressée par Mastercard, la banque a coupé ses moyens de paiement pour cause d’ « activité illicite ».  Nous diffusons l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 janvier 2017.

Le 4 janvier 2013, DStorage, qui édite 1fichier.com, concluait avec la Société Générale un contrat pour permettre à ses clients de payer les espaces de stockage par carte de crédit.

En octobre 2014 cependant, une société indienne, Zee Entertainment, épingle une trentaine de liens vers des fichiers hébergés par ce service en ligne. Quatre mois plus tard, un cabinet d’avocats international rajoute 17 autres liens. Le 15 juin 2015, le géant Mastercard tire la sonnette d’alarme auprès de la même banque, qui signale dans la foulée à DStorage la présence d’un total de 740 liens violant la propriété de la société indienne.

La Zee, égoïne 

L’éditeur de 1fichier.com lui répond qu’elle retirerait les liens afférents si et seulement si Zee Entertainment lui en faisait la demande selon les règles posées par la loi sur la confiance dans l’économie numérique de 2004 : démonstration de la propriété de l’œuvre, lien exact, possible intervention d’un juge pour établir l’illicéité des contenus non manifestement illicites, etc.  

Le 25 juin, la Société Générale met malgré tout l’intermédiaire en demeure du supprimer les contenus mis à l’index conformément à son contrat monétique qui interdisent ce genre de filiation, sous peine de voir ses vivres coupés. Face à cette menace, DStorage s’exécute, mais le 29, Mastercard signale à la banque la présence de 2 358 nouveaux liens menant vers des contenus de Zee Entertainemnt. En juillet, la Société Générale résilie finalement le contrat monétique de l’hébergeur.

Un premier échec en référé face à la Société générale

Le 24 juillet 2015, lors d’un référé d’heure à heure, une procédure d’extrême urgence, le tribunal de commerce a rejeté la demande de Dstorage (notre actualité pour plus de détails). 

En substance, le juge a considéré qu’il ne pouvait y avoir de référé face à une telle contestation sérieuse. Il existe en effet un doute sur les demandes de retrait exprimées par Zee Entertainment, notamment sur la question de la paternité des contenus litigieux. 

Cependant, dans le même temps, la justice a refusé de réactiver le contrat monétique : « Il n'est pas établi que la violation par une des parties d'une disposition contractuelle convenue entre elles - à supposer qu'elle soit établie - constitue en soi un trouble manifestement illicite ». De plus, « si DStorage conteste que la Société Générale prouve l'illicéité de ses contenus, elle n'en prouve pas davantage la licéité ». Comme si un hébergeur était en capacité de démontrer la licéité d’un contenu qui ne lui appartient pas, et alors même que la licéité est la norme !

1fichier, un appel

Pas satisfaite, DStorage a fait appel de cette ordonnance en août 2015. Elle réexplique le régime du droit de l’hébergement. Pour résumer, un acteur comme 1fichier.com n’est responsable civilement des contenus mis en ligne par des tiers que si alerté dans les formes, il n’agit pas promptement. 

S’appuyant sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il considère que les tiers peuvent directement obtenir la suppression des contenus manifestement illicites, ceux dont l’illicéité est évidente (pédopornographie, etc.). Pour le reste, dont la propriété intellectuelle, il faut passer par l’analyse du juge, en tout cas sûrement pas par la Société Générale, aussi grandes soient ses menaces de coupure contractuelle. Et c'est seulement l'irrespect de ces étapes préalables qui permettrait de qualifier d'illicite son activité. 

« La Société Générale a traité ce dossier comme juge et partie, ajoute DStorage. Elle a validé sans les vérifier les accusations de contrefaçon rapportées par Mastercard, elle-même reprenant celles faites par la société Zee Entertainment ». Elle considère que la situation crée donc un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser au plus vite.  Et pour cause, l’hébergeur se voit privé d’une veine vitale pour tout acteur en ligne, qui risque désormais la déconfiture. 

En face, la banque rétorque que le litige s’inscrit sur le terrain exclusif de la responsabilité contractuelle, non sur celui de la LCEN, régime de responsabilité délictuelle. Or, l’article 3.1.4 des CGU du contrat monétique prévoit que « Dstorage s’engage à utiliser le système de paiement à distance sécurisé en s’abstenant de toute activité illicite », dont les actes de contrefaçon.

Le même établissement assure avoir été « informé de l’illicéité du contenu du site de la société Dstorage par les sociétés Zee Entertainment, Fox Star India et Star India Private Limited et par le groupe Mastercard ». Bref, la preuve de l’illicéité est clairement établie. Apprécions : la SG s’appuie sur une récente convention passée entre Dstorage et une société de défense oeuvrant pour Zee Entertainment, pour s’ « autorise[r] à penser qu’il existait des contenus illicites et que les demandes de retrait étaient légitimes »…

Un dossier qui échappe au domaine du référé

Mélangeant à la fois la notion d’« activités illicites », signalée dans les CGU et celle de « contenus illicites » ou « contenus illégaux », la cour d’appel a considéré que cette bataille entre LCEN et contrat monétique relevait « de la contestation sérieuse qui échappe à la compétence du juge des référés ».

Comme le premier juge, il n’y a selon elle aucun trouble manifestement illicite, pas même dans l’impossibilité « prétendue » de DStorage à trouver dorénavant un autre prestataire, sachant qu’il n’est pas démontré que « cette impossibilité serait imputable à la Société Générale ».

Bref, les conditions du référé n’ont pas été remplies par l’éditeur de 1fichier.com qui se voit condamner à verser à la SG la somme de 5 000 euros au titre des frais de justice.

La Hadopi à la rescousse des hébergeurs

L’arrêt présente quelques curiosités. La cour fait porter dans la bouche de 1fichier.com le fait que son activité d’hébergeur « ne doit pas être confondue avec des prestations qu’elle offre sur un autre de ses sites qui consiste en une plate-forme de téléchargement. De ce fait, sur le site litigieux “1fichier.com” elle ne diffuse pas de films ou de séries ».

De fait, selon nos informations, Dstorage avait expliqué aux juges que 1fichier.com ne devait nullement être confondu avec le site http://www.1fichier.co, site effectivement litigieux, mais… totalement étranger à 1fichier.com.

Dstorage est donc une nouvelle fois poussé vers la sortie par les prestataires monétiques, sous la pression des conditions dictées par les géants des cartes de paiement. Le site, qui ne s’appuie pas sur la publicité conformément à la volonté de son fondateur, n’a plus beaucoup d’alternatives : ou bien baisser le rideau à brève échéance, ou bien opter pour la pub. Sachant que sur ce créneau, une charte similaire à celle des acteurs du paiement a elle aussi été signée sous les dorures du ministère de la Culture. Elle pourrait donc répliquer la mésaventure actuelle de cet acteur français.

On remarquera pour finir que la Hadopi, qui a présenté hier son rapport annuel, s’est quelque peu émue de l’approche Follow The Money telle que suivie en France. Alors qu'à l'étranger, comme au Royaume-Uni, est prévue l’intervention de l’autorité publique, dans notre pays le sujet est laissé entre les mains des ayants droit et des intermédiaires de paiement, sous le déguisement de chartes parrainées par la Rue de Valois où sont dressées des listes noires non-CADAifiables.

Les conséquences mises en lumière par les multiples affaires DStorage sont pourtant limpides : un acteur placé sous ces listes noires éprouve de lourdes difficultés pour se défendre. De son côté, la Hadopi plaide aussi pour « l’intervention d’une autorité publique », solution qui « semble de nature à garantir l’objectivité de l’analyse retenue pour le recensement dans la liste ».

Toujours dans ce rapport, cette autorité publique serait alors « un tiers impartial, le cas échéant, doté d’un organe collégial composé de personnes présentant des garanties de compétence et d’indépendance, magistrats notamment. Elle serait en position de contacter les sites avant leur inscription sur la liste afin de mettre en œuvre un certain contradictoire ».

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