Alors qu'Axelle Lemaire et Michel Sapin défendent leur bilan numérique, François Fillon s'affiche en pourfendeur des rigidités économiques et en défenseur de la souveraineté. Tous affirment leur admiration des entrepreneurs, jusqu'à les qualifier de « héros du monde moderne ».
À quelques encablures de la présidentielle, des politiques français ont fait le déplacement au CES de Las Vegas. Quand, du côté du PS, Axelle Lemaire et Michel Sapin ont assuré le show, le candidat des Républicains, François Fillon, était accompagné de Nathalie Kosciusko-Morizet pour plaider sa cause auprès des entrepreneurs du numérique.
Cette présence s'appuie sur celle de la French Tech, une nouvelle fois en tête des délégations étrangères sur le salon, avec 233 jeunes pousses affichées, dont 178 dans l'Eureka Park, l'espace consacré aux start-ups, selon le gouvernement. Axelle Lemaire affirme que sept sociétés sur dix viennent de villes en dehors de Paris. D'un bord politique comme de l'autre, l'heure était à la célébration des entrepreneurs et du numérique, malgré quelques différences de fond.
Axelle Lemaire promeut l'ouverture et l'IA
La secrétaire d'État chargée du numérique a multiplié les interventions pour vanter le bilan du gouvernement. Lors de la soirée France CES 2017, elle a remarqué que « dans une situation politique très incertaine au niveau international », il n'était pas anodin de s'afficher si ouvertement en faveur des entreprises et de l'innovation. Elle appelle à une coopération internationale dans le domaine.
Elle souligne la mise en place du « passeport-talent » en novembre et la forte implication de Bpifrance dans le financement public de l'économie. « La BPI est un acteur incontournable du financement de l'innovation dans notre pays » applaudit Axelle Lemaire, alors que la Cour des comptes craint une éviction du financement privé, à cause de cette omniprésence.
« Nous ne savons pas ce qui arrivera avec le Brexit. La situation politique aux États-Unis est pour le moins compliquée. J'espère que ce ne le sera pas trop en France » a-t-elle lancé. Elle souhaite d'ailleurs « faire de [l'innovation] une priorité politique absolue », avec comme objectif l'ouverture de la société. Cette ouverture « est celle qui correspond le mieux à un certain esprit français ».
« On n'a pas d'autre choix que de faire partie des nations les plus innovantes du monde » appuie la secrétaire d'État. Elle veut renforcer l'internationalisation des entreprises, le soutien financier public et privé à l'innovation, ainsi que la vision stratégique publique (sur l'Internet des objets et l'intelligence artificielle). « Nous allons lancer une stratégie nationale » sur l'intelligence artificielle », inspirée de celle d'Obama, promet-t-elle, au moment où la donnée est le « nerf de la guerre ».
Lemaire veut des talents étrangers, Sapin en finir avec les « clichés »
Dans un entretien avec TechCrunch, Axelle Lemaire estime que les entrepreneurs « sont maintenant les héros du monde moderne », avant d'enchainer sur une nouvelle célébration de l'innovation. Sans grande surprise, elle estime que les grandes tendances du salon sont l'Internet des objets, la voiture autonome et la cybersécurité, des domaines où des entreprises françaises ont des cartes à jouer.
Sur le reste, son entretien rejoint les déclarations de Michel Sapin, le ministre des Finances. Ils souhaitent tous deux amener les entrepreneurs étrangers en France, et que les entreprises étrangères puissent investir dans l'Hexagone. Il faut donc conserver des frontières ouvertes, plaide-t-elle.
« L'une des batailles politiques à venir portera sur l'ouverture ou la fermeture des frontières. Quand nous vivons dans un monde numérique, quand nous voulons un pays mené par l'innovation, quand nous voulons que cette économie réussisse, la capacité des personnes à voyager avec leurs idées est capitale. Ce serait paradoxal de laisser les biens, les marchandises et les données voyager librement, mais pas les gens » déclare la secrétaire d'État à TechCrunch.
Lors d'une allocution, Michel Sapin a salué la formation « reconnue dans le monde entier » des ingénieurs français partis travailler aux États-Unis. « Ne soyons pas prisonniers de clichés. [...] Il y a un visage français, perçu à l'étranger, même au-delà des start-ups, qui ont une capacité d'initiative, de créativité absolument exceptionnelle » appuie-t-il. Il reste tout de même des défis comme créer un réel lien entre jeunes pousses et grandes entreprises, tout en rééquilibrant le marché entre ces deux groupes.
François Fillon mélange numérique et économie
Adoubé lors de la primaire de la droite et du centre, François Fillon a fait le tour du salon, accompagné de Nathalie Kosciusko-Morizet, tel un Jacques Chirac du numérique face à des vaches connectées. Rappelons que Fillon était ministre en charge des télécommunications entre 1995 et 1997, quand NKM était secrétaire d'État chargée du numérique entre 2009 et 2010.
Dans un discours électoral, le candidat de la droite affirme vouloir que la France devienne une « smart nation ». Il s'affiche comme un pratiquant de longue date des technologies, contribuant effectivement à certains forums dès la fin des années 90. Mais ses faits d'armes affichés sont autres : « En 1995, je revendique d’avoir ouvert les télécommunications à la concurrence en bataillant dur contre ceux qui souvent aujourd’hui donnent des leçons de modernité ».
« Je pressentais l’importance de l’internet quand d’autres n’y voyaient qu’un gadget éphémère » ajoute-t-il, misant sur la concurrence, face à un France Télécom public. Une réussite selon lui, qui n'empêche pas une domination d'Orange dans des domaines comme la fibre et un bilan social très lourd au moment de la privatisation.
Dans une réponse au vitriol, le syndicat CFE-CGC d'Orange rappelle que 53 000 fonctionnaires travaillent toujours chez Orange, et affirme que la pression concurrentielle amène à des délocalisations, notamment des centres d'appel. Il est aussi utile de rappeler son idée de Comité supérieur de la télématique en 1996 (voir notre analyse), censé veiller au contrôle des contenus sur le Net. Une disposition censurée par le Conseil constitutionnel.
Mots-clés, impôts et souveraineté au programme de Fillon
Pour l'avenir, « la réalité augmentée, la blockchain, le data cloud [sic], l’intelligence artificielle, le machine learning nous font basculer dans une ère nouvelle » poursuit le candidat dans son discours. Pour lui, la transformation numérique doit être accompagnée en France, avec les bonnes réformes bien entendu. Il faut ainsi alléger le poids fiscal sur les entreprises et associer les jeunes pousses aux grands groupes et organismes de formation.
« Vous connaissez le diagnostic : en France, nous ne manquons pas de start-up, nous manquons de licornes » décrit-il. Le numérique est une bonne occasion d'évoquer son plan économique : alléger le droit du travail et lever les freins à l'embauche, notamment en créant un statut de prestataire indépendant, débarrassé des rigueurs du salariat. Il souhaite aussi mieux financer les start-ups et encourager l'investissement des épargnants dans le capital-risque. Une forme de « patriotisme économique » pour lui.
Autre enjeu, la souveraineté, un sujet aussi cher au PS. François Fillon veut équilibrer la fiscalité entre entreprises françaises et étrangères, et que et que les entreprises étrangères du Net contribuent au financement des infrastructures numériques, en soutien aux opérateurs nationaux. Un discours qui reprend mot pour mot celui tenu par les groupes télécoms français depuis de nombreuses années, en France et en Europe.
Sur ce dernier point, le candidat propose un marché européen unifié, avec une régulation harmonisée. Un plan qui ressemble beaucoup au marché unique numérique, poussé par la Commission européenne. Globalement, il souhaite « garantir l’autonomie stratégique de l’Europe dans certains domaines clés comme les microprocesseurs, la nanoélectronique, l’électronique quantique, la cybersécurité, l’identité numérique, les télécoms ».
Laisser les entreprises « innover » et contrôler l'immigration
Sur le fond, il souhaite moins d'État dans des domaines « nouveaux ». « L’économie collaborative a besoin de liberté, d’initiative, de spontanéité. Il faut parfois savoir attendre avant de réguler » affirme-t-il, alors que la législation se renforce dans le domaine, sur fond de conflits sociaux.
François Fillon s'est aussi livré à un entretien à TechCrunch, dans lequel il reprend les grandes lignes de son discours. « La révolution numérique est fondamentale, mais elle ne peut se développer que sur une économie assainie » tonne-t-il, proposant encore de réduire les dépenses publiques, d'alléger les impôts sur les entreprises et le cadre sur le travail. « Il n'y a pas d'avenir pour la France sans un effort de rationalisation de son organisation économique. »
Il dit avoir préparé son programme numérique avec une quarantaine de start-ups, dont il a refusé de donner les noms lors de son entretien. Selon lui, ce programme « répond à la demande de ceux qui veulent développer leurs entreprises ». Malgré ses craintes importantes liées à l'islamisme et une régulation plus stricte de l'immigration, il affirme que le secteur numérique n'aura pas à souffrir de ces mesures dans ses investissements et recrutements, sans plus de précisions.