Fiscalité des sociétés : pourquoi le Conseil constitutionnel a censuré la taxe Google

Fiscalité des sociétés : pourquoi le Conseil constitutionnel a censuré la taxe Google

Soulagement des GAFA, inquiétude des banques

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Marc Rees

Publié dans

Droit

02/01/2017 4 minutes
25

Fiscalité des sociétés : pourquoi le Conseil constitutionnel a censuré la taxe Google

Jeudi dernier, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition qui aurait permis de taxer plus facilement les revenus des GAFA en France. L'arme offrait en effet une part trop belle à l’administration, alors que seul le législateur est compétent pour définir le champ d’application de l’impôt sur les sociétés.

L’article 78 de la loi de finances pour 2017 envisageait d’étendre l’impôt sur les sociétés aux bénéfices réalisés par une personne morale établie hors de nos frontières. Selon le député PS Yann Galut, à l’origine de cette disposition, « l’impôt sur les sociétés payé par Google en 2015 s’est élevé à 6,7 millions d’euros, pour un revenu estimé à plus de 1,5 milliard. Airbnb, dont le résultat est estimé à 65 millions d’euros, n’a payé que 69 000 euros d’impôt ». Autant de montages, regrettait-il, autant de « détournements » réalisés « au détriment de l’État, des services publics, des entreprises locales concurrentes et de tous les citoyens ».

Présomption d’établissement stable en France

Mais que prévoyait cette disposition, concrètement ? D’une part, elle frappait les entreprises établies à l’étranger mais qui conduisent en France une activité de vente ou de prestation de service via une autre personne morale détenue à 50 % ou placée sous leur contrôle. D’autre part, elle permettait de viser également les bénéfices de ces entités, sans démonstration de ces seuils, dès lors qu’il « existe des raisons sérieuses de considérer que l’activité de cette personne morale ou physique a pour objectif d’échapper à l’impôt qui serait dû en France ou d’atténuer son montant ».

La disposition inaugurait donc une présomption d’établissement stable en France afin d’y territorialiser les bénéfices réalisés par les entités étrangères, notamment via des sites Internet. « Actuellement, détaillait un rapport parlementaire préparatoire au projet de loi de finances, l’économie numérique pose une réelle difficulté aux administrations fiscales dans la mesure où elle permet, relativement facilement, d’échapper à la notion d’établissement stable du fait de la dématérialisation des procédures de vente et donc de l’absence de sites physiques sur le territoire des États dans lesquels les ventes sont réalisées ».

Une imposition subordonnée à une procédure de contrôle

Seulement, les parlementaires avaient (curieusement) conditionné ce régime au seul cadre de la vérification de comptabilité. Il revenait donc à une décision de l’administration « d’opposer au contribuable la présomption » précitée.

Et c’est typiquement cette condition qui a fait tiquer le Conseil constitutionnel puisque l'administration aurait eu alors la liberté de choisir, parmi les contribuables, ceux vérifiés qui auraient effectivement été soumis à ce nouvel outil. Or, « si le législateur dispose de la faculté de modifier le champ d'application de l'impôt sur les sociétés, afin d'imposer les bénéfices réalisés en France par des entreprises établies hors du territoire national, il ne pouvait, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, subordonner l'assujettissement à l'impôt à la décision de l'administration d'engager une procédure de contrôle. » 

En clair, pour passer entre les griffes du Conseil constitutionnel, il aurait fallu décorréler l'article 78 des procédures de vérification de comptabilité afin que toutes les entreprises, même non numériques, soient soumises au même régime prévu par la loi.

Plus de fenêtre parlementaire

Malgré cette explication de texte, Yann Galut a réagi dans les colonnes de Libération pour dénoncer « une décision incompréhensible » où « une fois de plus le Conseil constitutionnel choisit de censurer un texte contre l’évasion fiscale ». Le député socialiste, proche d’Arnaud Montebourg, a promis de revenir avec une nouvelle mouture. Seul hic, il n’y a plus de fenêtre parlementaire d’ici l’élection présidentielle. « Ce sera donc à la prochaine majorité, issue des élections législatives de s’emparer de cette question. »

Écrit par Marc Rees

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Sommaire de l'article

Introduction

Présomption d’établissement stable en France

Une imposition subordonnée à une procédure de contrôle

Plus de fenêtre parlementaire

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Commentaires (25)


Une bonne loi protectionniste et qui s’applique au doigt mouillé sur certaines sociétés selon l’humeur du moment. Et en plus le député est tout content de se faire mousser pour son texte anticonstitutionnel et va retenter de le passer en force à la prochaine occasion.

Il y a pas un truc qui déconne dans ce pays et ses dirigeants?








L’eclaireur a écrit :



Il y a pas un truc qui déconne dans ce pays et ses dirigeants?







Si seulement il y a en avait qu’un <img data-src=" />



En gros, les députés font volontairement de la merde puis engueule le CC parce qu’il fait son boulot.


Le pire c’est que même si elle passe la seul société qui risque de se faire avoir c’est dailymotion ayant sa base en France


Arnaud Montebourg et ses soutiens, ceux qui se voient comme un “Jean Jaurès” unifiant le mouvement socialiste en séduisant les ouvriers français (qui votent actuellement plutôt en faveur des thèses nationalistes et patriotiques), sauf que Jean Jaurès était un internationaliste, pas un protectionniste.








NeedSumSleep a écrit :



Le pire c’est que même si elle passe la seul société qui risque de se faire avoir c’est dailymotion ayant sa base en France





C’est pas la taxe pour la vidéo là. Celle là était pour “les méchants du web qui fraudent”. Sauf que sans les petites bidouilles qu’ils ont rajoutés elle s’appliquerait aussi aux boites Française qui ne payent pas trop en France (Total…) et que du coup ça dérange les copains





Seulement, les parlementaires avaient (curieusement) conditionné ce régime au seul cadre de la vérification de comptabilité. Il revenait donc à une décision de l’administration « d’opposer au contribuable la présomption » précitée.



Marc cette condition” curieuse” était-elle prévue dès le départ, ou a-t-elle été ajoutée en commission ? (ou dans l’hémicycle?)

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Merci pour l’article !

A première vue, le CC sanctionne l’incompétence du legislateur.

Mais selon l’article de Mediapart, c’est le CC qui fait du zèle. Qu’en pensent les juristes lecteurs de nextinpact?


GAFA : Géants du Web (Google, Apple, Facebook, Amazon)


Total n’est pas concerné par ce dispositif.

Total c’est la situation inverse que ce que la loi souhaitait faire, les bénéfices de Total sont à l’étranger et ses pertes en France. Et Total a bien entendu une antenne (et son siège social même) en France.



La loi veut imposer les entreprises faisant du bénéfice en France en n’ayant pas d’antennes en France (ou du moins ne déclarant pas les revenus tirés du marché français).


Je me demande bien comment Total peut enregistrer des pertes en France ?!


Si tu y mets l’essentiel de ta R&D (ce qui coût de l’argent) et l’achat d’outils comme des raffineries cela compense les ventes du pétrole sur le territoire national. Mais les autres pays où il n’y a pas ou peu de R&D et pas ou peu de raffineries car cela est fait en France, ce sont des profits à gogo là bas.



Le quart des raffineries de Total sont situés en France. Et ils vendent des produits pétroliers dans l’ensemble du monde (enfin, une bonne partie).


un groupe multinational peut se permettre de payer l’impôt là où il est le moins élevé dans les différentes régions du Monde, grâce notamment à des filiales qui font des bénéfices là où l’impôt est le plus faible (et ce quelque soit la localisation de ses activités).






   « La façon dont nous imposons actuellement les entreprises,  notamment en traitant les filiales d’une même société comme des entités  totalement indépendantes, ne reflète pas la réalité de leurs opérations. La mise en œuvre d’une base d’imposition des sociétés commune et  consolidée est une étape cruciale vers la fin de l’évasion fiscale par  les sociétés multinationales en Europe.    &nbsp;        

Cependant, cette approche serait beaucoup plus efficace si elle était complétée avec un taux d’imposition des sociétés minimum dans toute l’Europe, mettant un terme à la course vers des taux nominaux toujours plus bas.»

octobre 2016 -&nbsp;http://www.philippelamberts.eu/fiscalite-des-multinationales-mettre-fin-a-la-cou...






  « Un exemple? «La marque McDonald’s est enregistrée au Luxembourg. A  chaque fois qu’un hamburger est vendu en France, une partie du revenu  est reversée à la filiale qui gère la marque depuis le Luxembourg. Vous          

diminuez vos profits en France et ils ne sont pas taxés au Luxembourg», détaille Lucie Watrinet, de l’ONG CCFD-Terre solidaire. »

octobre 2015 -&nbsp;http://www.parismatch.com/Actu/Economie/Optimisation-fiscale-les-pratiques-des-m...






   « Les grandes entreprises réduisent leur fiscalité… en appliquant la loi,  grâce aux nombreuses dérogations disponibles. Elles le font également,  souligne le rapport, par une utilisation abusive des prix de transferts -         

les prix auxquels les filiales d'une même entreprise s'échangent des biens et des services. »

janvier 2010 -&nbsp;http://www.alternatives-economiques.fr/fiscalite-des-entreprises---les-plus-gros...






   « Les ventes entre filiales constituent le plus important poste d'évasion fiscale concernant les entreprises. Un enjeu important pour les Etats.		Les échanges entre filiales d'une même firme s'accroissent rapidement avec la mondialisation.  

Du coup, une multinationale pourrait diminuer le montant global de son impôt sur les bénéfices en jouant sur les prix des biens et des services échangés entre ses filiales. Exemple: la filiale française d'une

société d'aéronautique fabrique des pièces détachées revendues à la société mère au Royaume-Uni.

Si le taux d'impôt sur les bénéfices des sociétés est inférieur outre-Manche, le groupe aura tendance à fixer

un prix de vente le plus bas possible pour les pièces exportées par la filiale française.

Il réduira sa base d'imposition en France et augmentera la base britannique, plus avantageuse. »

juillet 2009 -&nbsp;http://www.alternatives-economiques.fr/fiscalite-des-multinationales---le-jeu-de...

Perso c’est l’état qui est en tort pas que la loi est mauvaise mais si elle s’applique selon l’humeur de nos haut fonctionnaire alors elle n’a pas lieu d’exister, une loi doit s’appliquer pour tous et ne doit discriminer selon le gouv…


L’exemple de McDonald’s est typiquement l’explication du moyen par lequel les multinationales de l’IT se débrouillent pour l’optimisation fiscale : l’immatériel. C’est sur ce point qu’il faudrait trouver une parade : comment faire pour éviter que ce soit par le truchement d’une redevance sur l’utilisation d’une marque par une filiale que l’évasion fiscale se fasse ?


Un moyen simple serait de supprimer le concept d’impôt sur les sociétés et les bénéfices qui sont je pense mal conçus à une heure où une entreprise peut vendre dans un pays sans filiale sur place.



Ces taxes seraient compensés par une TVA plus forte et il pourrait y avoir redistribution d’argent auprès des entreprises plus fragiles basées uniquement sur leur volume de vente local (donc TVA) et la quantité d’employés sous contrat de travail français (ce qui est aisé à évaluer).



Comme cela les entreprises auraient tout intérêt à implanter des filiales là où l’activité se produit et non là où la fiscalité est basse. Cela concerne de manière équitable entreprises étrangères et nationales.


Du zèle ? Non, décision logique. Le texte était mal tourné, c’est la sanction toute naturelle selon moi. L’obligation doit se révéler dès l’application de la loi au J.O., non selon l’humeur d’agents de la DGFIP, même hautement respectables.&nbsp;


Ton “inquiétude des banques” est ironique j’imagine ? <img data-src=" />








indyiv a écrit :



Je me demande bien comment Total peut enregistrer des pertes en France ?!





Contrairement à ce qu’on pourrait penser la vente de carburant n’est pas une poule aux œufs d’or. Que quelqu’un me corrige si je me trompe, mais il me semble que Total fait un bénéfice d’un centime par litre de carburant vendu. Autant dire que s’il y a des investissements (et il y en a) on a vite fait de retomber dans le négatif.



Marc, pour reprendre la remarque de RichardD, on sait qui, à l’Assemblée, a “curieusement” ajouté cette bombe à retardement dans le texte ?


L’article 78 de la loi tel qu’institué était fondamentalement contraire au principe posé par l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen (qui a valeur constitutionnelle) : &nbsp;Art. 13.&nbsp;Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.&nbsp;Il n’y a donc rien d’étrange dans la décision du Conseil constitutionnel qui fait respecter l’état de droit.



De toute façon, cette disposition est inutile pour deux raisons :




  • Du fait de l’existence de conventions fiscales entre deux ou plusieurs pays.

  • Du fait du principe de libre circulation des capitaux dans l’Union européenne.



    Selon l’administration fiscale, elle n’aurait permis de recouvrir que 2% des sommes fiscales échappant à la France par le biais des moyens d’optimisation fiscale (de la filiale française à la maison mère étrangère).



    Bref, un coup d’épée dans l’eau. C’est à l’UE de réagir, mais jusqu’à lors elle a semblé plutôt inefficace.



    Je me permets d’ailleurs de vous conseiller l’article de J.-M. Quatrepoint de ce mois au Monde Diplomatique “ Au nom de la loi américaine”, qui explique comment les entreprises françaises se font laminer (et c’est le mot, voir l’exemple d’Alstom, qui a du régler des sommes faramineuses) par les agences américaines. En retour, l’UE c’est le paradis pour les entreprises américaines, les mesures de rétorsion étant trop peu nombreuses.

    &nbsp;








KGabou a écrit :



Marc, pour reprendre la remarque de RichardD, on sait qui, à l’Assemblée, a “curieusement” ajouté cette bombe à retardement dans le texte ?







C’était un amendement déposé par Yann Galut…



le même Yann Galut qui râle que la constitution n’est pas compatible avec son amendement, et qu’il faudrait donner à l’administration fiscale le droit de décider qui paye des impôts, et combien il faut payer (bref, une administration fiscale façon “luxembourg”). <img data-src=" />



Effectivement, après recherche, c’est un amendement déposé par Yann Galut :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/4271/AN/403.asp

&nbsp;

Le rapport sur le texte explique assez bien la problématique &nbsp;:

http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r4314-tI.asp (article 46 quinquies)








KGabou a écrit :



Marc, pour reprendre la remarque de RichardD, on sait qui, à l’Assemblée, a “curieusement” ajouté cette bombe à retardement dans le texte ?





Il s’agit d’un amendement signé le 13 décembre par Yann Galut lui-même (Cf. la rédaction du

XXII alinéa de cet amendement).&nbsp; Et, cet ajout fut adopté en seconde lecture par

l’Assemblée. En effet, en première lecture du PLF,&nbsp; l’article 46 quinquies ne

comportait pas cette précision. (Cf. le PLF voté en première lecture par l’Assemblée le 22 novembre-le Sénat a, par

deux fois, rejeté globalement le PLF, par l’adoption de deux motions tendant à

opposer la question préalable).

&nbsp;

Toutefois, en première lecture, le

secrétaire d’État au Budget avait formulé des réserves sur l’adoption de

l’article proposé par Yann Galut.









  • &nbsp;Premièrement, les 127&nbsp; conventions fiscales sont supérieures à ce texte par l’effet de l’article 55 de la Constitution :&nbsp; les engagements internationaux régulièrement adoptés par le Parlement sont supérieurs à la loi. Aussi, d’après les services fiscaux, l’article 46 quinquies aurait permis de fiscaliser seulement&nbsp; 2 %&nbsp; des cas de non-déclaraction.&nbsp;

  • Deuxièmement, cet article proposait une redéfinition franco-française de la notion d’ établissement&nbsp; stable, alors que le projet de lutte contre les BEPS (Base erosion and profit shifting, érosion de la base d’imposition et transferts de bénéfices ) de l’OCDE est entré dans sa phase finale de rédaction (cette érosion représente une perte de recettes fiscales au niveau mondial&nbsp; de l’ordre de 100 à 240 milliards de dollars par an).&nbsp; Une possible incohérence entre la définition française et celle de l’OCDE aurait pu se faire jour, au risque d’entrainer une double imposition. C’est pourquoi, le Député Galut a proposé de circonscrire cette nouvelle présomption de définition de&nbsp; l’établissement stable au seul stade du contrôle.&nbsp;





    Pour finir, le principe de l’article&nbsp; 78 (numérotation retenue dans la version définitive de la loi de Finances pour 2017) est d’ores et déjà applicable par l’utilisation d’autre textes, comme par exemple la procédure d’abus de droit (art.L 64 du Livre des procédures fiscales qui permet de sanctionner les montages fiscaux fictifs ou&nbsp; les fraudes dont le but exclusif est d’échapper à la contribution - dans ces cas, la majoration est de 40% des sommes effectivement dues, voire 80% ) conjugué au reporting pays par pays ( art. 223 quinquies B du Code général des impôts issue de la loi Sapin II&nbsp; du 9 décembre dernier et article&nbsp; 223&nbsp; quinquies&nbsp; C du CGI) et au droit d’enquête et d’échange automatique d’information.



Merci pour l’article et pour toutes les contributions bien intéressantes à lire, un plaisir !

Le lien vers l’article de Quatrepoint (article payant) :

http://www.monde-diplomatique.fr/2017/01/QUATREPOINT/56965