François Hollande a promulgué hier le projet de loi finances rectificative pour 2016. C’est par ce texte que les parlementaires ont introduit la taxe dite YouTube, ainsi que l’obligation pour les plateformes de type Airbnb de déclarer automatiquement au fisc les revenus générés par leurs utilisateurs. Les deux réformes sont cependant encore loin d’entrer en vigueur.
Contrairement à la « taxe Google », qui a été retoquée hier par le Conseil constitutionnel (nous y reviendrons prochainement), la « taxe YouTube » a pu être gravée dans le marbre de la loi de finances rectificative pour 2016, publiée au Journal officiel du 30 décembre. Son article 56 réécrit un article du Code général des impôts pour faire payer aux sites de vidéo à la demande, qu’ils soient payants ou gratuits, une taxe qui était jusqu’ici imposée notamment aux loueurs de DVD.
Le taux de cette taxe est fixé à 2 %, et à 10 % pour la pornographie ou les contenus qualifiés de violents.
Son montant sera calculé à partir du prix éventuellement payé par chaque site pour l’accès aux œuvres diffusées, mais aussi – et surtout – des sommes versées par les annonceurs pour la diffusion de publicités. Il faudra cependant y soustraire différents abattements : un abattement général de 4 % (porté à 66 % pour les plateformes donnant accès à des créations non professionnelles), auquel s’ajoutera un coup de rabot de 100 000 euros pour les sites gratuits. Au-delà, néanmoins, les spots publicitaires diffusés avant les vidéos du chat de Mme Michu qui se casse la figure seront donc taxés.
Pour entamer un décollage en douceur, la presse en ligne, les blogs et toutes les plateformes où les vidéos ne sont que secondaires profiteront d’une dérogation. Il en ira de même pour les sites diffusant des bandes annonces de films, à l’image d’Allociné.
Une Taxe YouTube, YouPorn ou Dailymotion, mais surtout au bénéfice du CNC
Dernier détail : le produit de cette taxe sera intégralement affecté au Centre national du cinéma (CNC), ce qui explique au passage les efforts déployés par l’institution pour que cette réforme soit votée...
Les euros ne sont toutefois pas encore sur le point de tomber dans les caisses de l’établissement public. Le gouvernement va devoir préparer un projet de décret d’application de ces dispositions, lequel sera obligatoirement notifié à la Commission européenne. S’ouvrira alors un délai dit de « statu quo » de trois mois en principe, au cours duquel Bruxelles ou les États membres pourront émettre des réserves quant au dispositif français.
Si le dispositif retenu est jugé conforme au droit européen, le gouvernement pourra alors publier son décret sous six mois maximum, précise la loi de finances rectificative. Autrement dit, rien ne devrait paraître avant l’été – dans le meilleur des cas... D’autant que l’exécutif s’est toujours opposé à cette taxe.
Et pour cause. Cette réforme a beau viser les sites basés à l’étranger, sa mise en œuvre risque d’être avant tout franco-française. « Tout le monde a baptisé cet amendement « la taxe sur YouTube », mais je crains malheureusement que ce ne soit plutôt une taxe sur Dailymotion. En effet, il sera extrêmement difficile d’aller recouvrer la taxe auprès d’un opérateur qui n’est pas situé sur notre territoire, alors qu’il sera plus facile de la recouvrer auprès d’opérateurs installés chez nous », avait ainsi expliqué le secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert, lors des débats parlementaires.
La déclaration automatisée des revenus issus des plateformes en piste pour 2019
À l’article 24 de la loi de finances rectificative, figure une autre réforme qui n’a pas fini de faire parler d’elle : la déclaration automatisée des revenus issus des plateformes de mise en relation.
En complément du droit de communication dont bénéficie aujourd’hui l’administration fiscale, les sites tels qu’Uber, Airbnb ou Priceminister auront l’obligation d’adresser chaque année à l’administration fiscale une déclaration électronique, mentionnant, pour chacun de leurs utilisateurs présumés redevables de l’impôt en France, tout un lot d’informations : adresse électronique, statut de professionnel ou de particulier, mais aussi – et surtout – le « montant total des revenus bruts » perçus par chaque internaute au titre de ses activités sur la plateforme, « ou versés par l’intermédiaire de celle-ci ».
L’objectif est bien entendu que ces sommes soient imposées (si elles ont à l’être, ce qui n’est pas forcément le cas). Les déclarations de revenu des individus concernés devraient en conséquence être automatiquement pré-remplies, à l’image des revenus professionnels par exemple.

Ces dispositions ne seront toutefois applicables que pour les « revenus perçus à compter du 1er janvier 2019 ». La raison ? Au regard des difficultés techniques de mise en œuvre que risque de rencontrer cette réforme, le législateur a voulu laisser un certain temps de préparation à l’administration fiscale et aux plateformes... Valérie Rabault, la rapporteur pour l’Assemblée nationale, a ainsi prévenu que de nombreux problèmes restaient en suspens, notamment au sujet de « l’identification des utilisateurs, de la détermination des revenus imposables au sein des revenus qui ser[ont] ainsi déclarés, ou encore de l’application de telles dispositions à des opérateurs localisés à l’étranger ».
Un décret d'application sera là aussi nécessaire.
Des « QPC » encore possibles
Tout comme la « taxe YouTube », la déclaration automatisée des revenus issus des plateformes suscite la grogne des acteurs du Net. La Fédération du e-commerce (FEVAD) a notamment eu l’occasion de regretter ses dispositions, dont les « nombreuses imprécisions » sont à ses yeux « source d’insécurité juridique » – au prix d’un « risque de surcharge administrative pour les entreprises et de confidentialité pour les Français ». D’une manière plus générale, l’organisation a vivement déploré que « des mesures aussi complexes à mettre en œuvre (...) soient adoptées sans que ni leur faisabilité, ni leurs conséquences sur l’ensemble des entreprises concernées n’aient été évaluées ».
Il faut enfin retenir que le Conseil constitutionnel ne s’est prononcé sur aucun de ces deux articles. On peut ainsi imaginer qu’ils fassent à l’avenir l'objet de questions prioritaires de constitutionnalité.