L'autorité de la concurrence coréenne (KFTC) a rendu le verdict de son enquête concernant d'éventuels abus de position dominante de la part de Qualcomm. Le fabricant est condamné à 816 millions d'euros d'amende et estime cette sanction disproportionnée et injustifiée.
Depuis 2015, Qualcomm fait face au feu nourri de nombreuses autorités de la concurrence tout autour du monde. En Chine, les autorités locales lui ont infligé une amende de 975 millions de dollars, sanctionnant diverses pratiques anti-concurrentielles. Parmi elles, la la vente liée de puces WCDMA et LTE avec d'autres composants « non essentiels » au fonctionnement de téléphones figurait en première position.
Qualcomm répète les abus de position dominante
La Commission européenne a également les yeux rivés vers le géant américain. Si aucune sanction n'a pour l'instant été prononcée, Bruxelles accuse Qualcomm d'avoir abusé de sa position dominante pour évincer son concurrent Icera du marché. Un stratagème qui a d'ailleurs fonctionné, la filiale de NVIDIA ayant mis la clé sous la porte en mai 2015 après « d'inexplicables rallongements des délais des commandes des clients, des réductions dans les volumes de commandes et des contrats qui n'aboutissent jamais, même lorsqu'un client ou un opérateur mobile coopérant avec un client potentiel a exprimé une forte intention d'achat ».
Selon la Commission, Qualcomm aurait « versé illégalement des sommes à un client important pour utiliser exclusivement ses chipsets et aurait vendu des chipsets à des prix inférieurs aux coûts dans le but d'évincer son concurrent Icera du marché » mais également « versé, depuis 2011, des sommes considérables à un important fabricant de smartphones et tablettes à la condition que ce dernier utilise exclusivement des chipsets de bande de base Qualcomm dans ses terminaux ». Une mauvaise conduite qui pourrait coûter plusieurs centaines de millions d'euros à l'entreprise américaine.
La Corée du Sud tape du poing sur la table
La Korea Fair Trade Commission (KFTC) s'est elle aussi penchée sur le cas Qualcomm et a rendu son verdict ce matin. Dans un épais rapport, elle recense l'ensemble des méfaits que son enquête a pu mettre en avant. Et ses griefs sont aussi nombreux que variés.
Il est reproché au fabricant d'avoir refusé de vendre des licences pour des « brevets standard et essentiels » (ou SEP) à plusieurs de ses concurrents, ou d'avoir imposé d'importantes restrictions sur ces licences. Ce dernier point contreviendrait au principe dit « FRAND » (Fair, reasonable and non discriminatory soit juste, raisonnable et non-discriminatoire en français) concernant la concession de tels brevets.
Par ailleurs, la KFTC reproche aussi à Qualcomm d'avoir lié la fourniture de puces avec celle de brevets, forçant ainsi les fabricants de terminaux à utiliser ses puces. Sans achat de puces, pas d'obtention des brevets SEP nécessaires à l'emploi de certaines technologies dans le domaine des communications en 2G, 3G et 4G, ce qui faisait risquer aux marques de coûteux procès.
Enfin, l'autorité estime que Qualcomm n'a à chaque fois fourni qu'un nombre limité de licences, et « forcé unilatéralement les tarifs de ces dernières, sans engager de procédure permettant d'établir un prix juste », le tout « en imposant des accords injustes », en demandant par exemple aux fabricants de smartphones des licences gratuites pour leurs brevets. L'entreprise faisait valoir a ses clients dans sa documentation que ce prodédé les protègerait de toute attaque en justice, en agissant comme une sorte de parapluie.
Une amende colossale
Avant de déterminer les sanctions à infliger à Qualcomm, la KFTC s'est intéressée à l'évolution récente du marché des modems dédiés aux communications sans-fil. Deutsche Bank recensait début 2008 onze acteurs majeurs sur ce marché. Neuf d'entre eux ont quitté ce secteur d'activité, alors que celui-ci a enregistré une croissance de plus de 100 % entre 2008 et 2015, une situation anormale.
Autre argument de l'autorité, la part de marché de Qualcomm a régulièrement progressé sur cette période, alors que celle de concurrents jadis bien placés s'est réduite comme peau de chagrin. La KFTC met en avant l'Indice de Herfindahl-Hirschman du secteur mesurant sa concentration. Il est ainsi passé de 2 224 en 2008 à 4 670 en 2014. Un score supérieur à 2 500 est considéré comme signe d'une forte concentration aux yeux de l'autorité de la concurrence américaine.
Autre point soulevé par la KFTC : « aucun concurrent de taille significative n'est entré sur ce marché » sur l'ensemble de la période étudiée. Le gendarme de la concurrence voit ici un effet direct de la politique de Qualcomm visant à refuser de céder des licences sur ses brevets essentiels (SEP).
Compte tenu de tous ces éléments, la KFTC a prononcé une amende de 1 030 milliards de wons, soit 816 millions d'euros. Une pénalité colossale, qui s'accompagne de diverses obligations, dont celle « d'engager des négociations de bonne foi » avec ces concurrents concernant ses brevets essentiels. Un point qui devrait tout particulièrement intéresser Intel, MediaTek et Via qui se sont vu refuser de telles négociations jusqu'à présent.
Qualcomm devra aussi renégocier ses accords de licence existants afin d'en ôter l'ensemble des clauses injustes, notamment celles imposant des frais sur des brevets non-essentiels, ainsi que celles réclamant des licences gratuites sur les propriétés intellectuelles de ses partenaires.
Qualcomm digère mal le verdict
Dans un long communiqué, Qualcomm dit avoir pris connaissance de la décision de la KFTC, mais s'y « oppose fermement », la qualifiant de « sans précédent » et « d'insupportable ».
Selon l'entreprise, qui entend évidemment faire appel, l'enquête de l'autorité ne propose pas de « théorie cohérente concernant les violations des lois sur la concurrence » et « ne prouve pas le moindre tort à la concurrence qui est robuste chez les fabricants de puces et de terminaux, notamment parce que le modèle d'affaires de Qualcomm promeut la concurrence ». Nous vous laissons seuls juges concernant la dernière partie de cette citation.
Qualcomm estime également que « l'amende infligée est insupportable et n'est pas raisonnable au vu de la taille du marché coréen ». L'autorité avait estimé dans ses calculs que sur les trois dernières années, Qualcomm réalisait 20 % de son chiffre d'affaires en Corée du Sud. Pour rappel, Samsung, le premier fabricant de smartphones au monde en volume, est l'un des principaux clients de Qualcomm. De son côté l'entreprise met en avant le fait que les royalties reçues pour la vente de terminaux dans le pays n'excèdent pas 3 % de ses revenus liés aux brevets.
Enfin la marque met en avant le fait que lors des investigations de la KFTC, il lui a été refusé d'accéder aux documents apportés au dossier, afin de les examiner, ce en contradiction avec un accord bilatéral signé entre la Corée du Sud et les États-Unis. Un point qui à lui seul pourrait nécessiter un réexamen du dossier, s'il était avéré.