Après cinq ans de développement, Wattway vient de finir de mettre en place le premier kilomètre de route solaire en France. Si les élus et la filiale de Bouygues se réjouissent, ce projet a de nombreux détracteurs. Ce premier test grandeur nature permettra certainement de répondre à de nombreuses questions qui restent en suspens.
Les énergies renouvelables ont le vent en poupe et les expérimentations se multiplient. Google veut y passer à 100 % l'année prochaine et certaines villes n'hésitent pas en sauter le pas, comme Las Vegas il y a quelques jours (une annonce qui intervient juste avant l'ouverture du CES). En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées et, en présence de Ségolène Royal, Wattway (filiale de Colas, du groupe Bouygues) vient d'inaugurer « la première route solaire au monde ».
Derrière les effets d'annonces, un premier test sur 1 km de départementale
C'est du moins ce qu'annoncent sur Twitter la ministre de l'Environnement et de l’Énergie et le compte officiel de Wattway. Dans son communiqué, la société est plus mesurée et annonce seulement qu'il s'agit du « premier chantier d’envergure de la route solaire ».
Dans les faits, il ne s'agit que d'un premier kilomètre sur une portion de route qui n'est certainement pas la plus utilisée de France. Plus qu'un lancement, il s'agit donc d'une première expérimentation et cela ne suffit pas à faire taire les détracteurs pour qui faire rouler des voitures et des camions sur des panneaux solaires est une hérésie.
World's first solar panel road opens in Normandy village #Wattway #SolarRoad #ColasLtd Read more here - https://t.co/KA9j1Oke47 pic.twitter.com/ZaSQrfB0bi
— Colas Ltd (@ColasLtd) 22 décembre 2016
Ce n'est pas la première expérimentation du genre
En effet, il y a déjà eu d'autres essais sur le même thème, mais pas dans les mêmes proportions. Nous pouvons par exemple citer le projet Solaroad aux Pays-Bas, mais celui-ci ne concerne qu'une piste cyclable de 70 m de long, et même 90 mètres depuis fin octobre. Par contre, il nécessite d'utiliser des blocs de béton de plusieurs mètres d'envergure, ce qui rend sa mise en œuvre plus difficile et nécessite une grue.
Il y a également Solar Roadways qui n'est pas forcément plus simple puisque cette solution utilise d'épais hexagones qui s'emboitent les uns dans les autres. Quoi qu'il en soit, la route solaire de Wattway n'est pas nouvelle et l'entreprise avait déjà présenté sa solution en octobre 2015. En juin dernier, elle en installait une première version sur un parking en Vendée afin « d’étudier in situ les fonctionnalités et potentialités tant énergétiques qu’économiques de Wattway ».
Dans la pratique, il s'agit de « dalles » comprenant des cellules photovoltaïques et recouvertes d'une résine afin de les renforcer, de les rendre étanches et de proposer une adhérence équivalente à une route traditionnelle. Elles peuvent ainsi résister aux passages des voitures et des poids lourds. Un représentant de Colas affirme que les dalles peuvent supporter jusqu'à 16 tonnes par essieu. Pour rappel, en France, les routes sont dimensionnées pour 13 tonnes par essieu.
Après les tests, un premier kilomètre de route solaire dans l'Orne
En 2015, le PDG de la société, Hervé Le Bouc expliquait avoir mené des tests à Chambéry et à Grenoble, « sur un cycle d'un million de véhicules, soit vingt ans de trafic normal d'une route, et la surface ne bouge pas », comme le rapportaient nos confrères des Échos. Il ajoutait alors que « les panneaux photovoltaïques, en tant que tels, sont fragiles et s'écraseraient comme des biscottes. Tout le savoir-faire de Colas, protégé par deux brevets, réside dans la nature du revêtement transparent qui les protège ».
Depuis, Wattway a continué d'aller de l'avant et le premier kilomètre d'une route est désormais en service. Pour cela, 2 800 m² de dalles photovoltaïques ont été utilisés afin de recouvrir une portion de la RD5 dans l'Orne au lieu-dit le Gué-à-Pont, entre la sortie sud de Tourouvre et le croisement avec la N12. Elles sont simplement collées sur une chaussée déjà existante et ne demandent donc que très peu de travaux comparativement aux solutions de Solaroad et Solar Roadways.
Hasard du calendrier (ou mauvais timing, c'est au choix), l'inauguration du premier kilomètre de route solaire à eu lieu ce 22 décembre... soit le lendemain du solstice d'hiver qui est le jour le plus court de l'année et donc celui avec le moins d'ensoleillement. Pour la symbolique on repassera, mais cela donnera peut-être l'occasion aux initiateurs du projet de se réjouir pendant six mois avec l'augmentation de la production journalière.
Le rendement estimé est de 100 kWh/m²
Wattway attend une production annuelle de 280 000 kWh, soit 767 kWh par jour en moyenne, avec des pics jusqu'à 1 500 kWh en été. Afin de suivre en temps réel la production, un panneau est installé à côté de la route (il donne également le cumul de l'énergie récupérée depuis son installation) :
La #RouteSolaire produit ! Les premiers kWh injectés sur le réseau. pic.twitter.com/KOr7bfxCJc
— Vianney Lecointre (@vianneylecointr) 22 décembre 2016
Cela nous donne donc un rendement estimé à l'année de 100 kWh/m². Il faudra attendre un peu afin de voir si les objectifs seront tenus et surtout comment se place la route solaire de Wattway face à des solutions concurrentes, comme des panneaux photovoltaïques traditionnels installés sur des toits ou dans des champs.
Pour comparer les résultats, il faudra se baser uniquement sur des installations qui se trouvent dans la même zone et qui profitent donc du même niveau d'ensoleillement.
Rendement moins important, coût plus élevé
Dans sa FAQ, Wattway annonce un rendement de l'ordre de 15 %, contre 20 à 22 % pour des panneaux classiques... mais il n'est pas précisé si cela tient compte de l'occultation des rayons du soleil par les voitures et de l'inclinaison des cellules sur la route qui n'est pas optimale (généralement un angle de 30° environ est recommandé, là elles sont à plat).
Concernant le coût, la société reste assez évasive avec une estimation à 6 euros par Wc (watt-crête), contre 2 à 8 euros pour les panneaux photovoltaïques traditionnels, selon des chiffres avancés par Wattway. « Cela me paraît énorme, sur les installations aujourd'hui, nous sommes plutôt entre un et deux euros » explique Pere Roca i Cabarrocas, chercheur au CNRS, interrogé par le Huffington Post.
Dans la pratique, il est en effet possible de descendre à pas loin d'un euro par Wc pour des grosses installations. Bien évidemment, cela ne prend pas en compte les dépenses liées à l'adaptation ou à la création du bâtiment sur lequel les panneaux sont installés.
Bref, on repassera pour ce qui est d'une information précise sur ce point, pourtant important.
5 millions d'euros pour 2 800 m² de dalles photovoltaïques sur la route
Selon plusieurs de nos confrères, ce kilomètre de route aurait coûté cinq millions d'euros, une somme prise en charge par le ministère de l'Environnement. Marc Jedliczka, directeur de l'association à but non-lucratif Hespul, spécialisée dans les énergies renouvelables, explique à nos confrères d'Actu-environnement qu'« avec ces cinq millions d'euros, nous aurions pu financer plus de 30 000 m² de panneaux photovoltaïques au sol, en grandes toitures ou en ombrières de parking ».
Dans le cas présent, il est pour rappel question de 2 800 m² de dalles (soit 10 fois moins) avec un rendement inférieur à celui de panneaux photovoltaïques. La solution ne semble donc pour le moment pas intéressante économiquement et il faudra drastiquement diminuer les coûts pour qu'elle vienne titiller les panneaux traditionnels. Elle a par contre l'avantage d'utiliser une infrastructure déjà existante.
Bien évidemment les coûts baisseront avec le temps, mais est-ce que cela sera suffisant pour rendre la solution attractive ? Impossible à dire pour le moment. Si le ministère de l'Environnement affirme que « la multiplication de ce type de projets va permettre la réduction des coûts de réalisation », il n'avance aucun chiffre. Dans tous les cas, certains ne cachent pas leur scepticisme...
La route solaire ne fait pas l'unanimité
La route solaire de Wattway est en effet loin de faire l'unanimité auprès des spécialistes. Sur Reporterre, le journaliste et blogueur Olivier Daniélo indique que « Ségolène Royal a tout faux ». Et il attaque bille en tête : elle a « annoncé qu’un kilomètre de route permettra de répondre à la demande électrique de 5.000 maisons. C’est également erroné. Avec 767 kWh par jour — donnée officielle provenant de Michel Salion —, elle sera juste capable d’alimenter 50 maisons ».
Les remarques de plusieurs experts des énergies renouvelables se suivent et se ressemblent dans cette analyse à charge. L'un affirme que « la route est le pire endroit pour les panneaux solaires. La France peut installer du PV [NDLR : panneaux photovoltaïques] sur les toits » et ajoute que « Colas est dans une situation monopolistique, sans compétition pour que les prix baissent ». Pour un autre, « c’est un gag de relation publique ». Sur Twitter, la journaliste et rédacteur en chef d'EurActiv Aline Robert se demande s'il ne s'agit pas d'« une subvention absurde à Colas ». Ambiance...
Interrogé par l'AFP, Jean-Louis Bal, le président du Syndicat des énergies renouvelables, reste assez sceptique pour le moment : « on a un prototype à environ 17 euros par watt [NDLR : Wattway annonce 6 euros par watt] alors qu'on arrive à un euro par watt pour des centrales au sol. La question est donc de savoir quel est le potentiel de réduction de ce coût ».
En février dernier, lors de l'annonce du projet, le youtubeur Dave Jones (EEVBlog) avait fait une vidéo pour expliquer son point de vue, avec un avis tranché sur la question : « c'est une folie d'ingénierie, c'est fou, ça n'a aucun sens ». Il ajoutait alors que les communications sur le sujet se résumaient à des photos et des effets d'annonces, sans réalisations concrètes. Maintenant que c'est le cas, il faudra analyser les résultats et en tirer les conclusions qui s'imposent.
Plus mesuré, Hervé Pabiou, chercheur sur l'énergie solaire au CNRS, donnait son point de vue en mars dernier, dans une vidéo de National Geographic. « Avec les routes solaires, vous tirez avantage des larges surfaces déjà disponibles pour poser des panneaux » expliquait-il, « la plupart des travaux sont déjà fait et vous n'avez qu'à intégrer vos composants sur la route ». Néanmoins, il pointait du doigt deux problèmes : la chaleur – lorsque la température grimpe, l'efficience et la durée de vie diminuent – et la difficulté de prévoir le niveau de production à cause du passage des voitures.
Il revient également sur un point qui n'est pas mentionné par Wattway : « l'energy payback time [NDLR : temps de retour énergétique] qui est le temps nécessaire afin de produire la même quantité d’énergie qui a été utilisée pour fabriquer les panneaux. C’est un réel défi pour les ingénieurs ». De son côté, Wattway se contente de dire que, « à ce stade préindustriel, il est difficile d’établir le bilan carbone ».
Vous pouvez retrouver une liste des publications à charge contre Wattway sur cette page, mise en ligne par Olivier Danielo.
Ségolène Royal veut 1 000 km de routes solaires d'ici quatre ans
Mais Ségolène Royal et Wattway (donc Colas et Bouygues par ricochet) ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. La ministre explique dans un communiqué que « l'État va conduire en 2017 un plan d’expérimentation de route solaire sur le réseau routier national, première étape d'un programme de déploiement sur les quatre années à venir. Ainsi, la technologie de la route solaire sera utilisée sur une section de la route nationale 164 en Bretagne ». Début 2016, l'objectif était officiellement d'atteindre 1 000 kilomètres de route solaire d'ici cinq ans.
Selon Colas, installer des panneaux solaires sur 2 % des routes en France permettrait de produire 10 % de l'énergie que nous consommons dans l'Hexagone. Nous en sommes encore très loin, mais cette première expérimentation a au moins le mérite de poser des bases pour vérifier la viabilité, le coût et le rendement de cette solution. Rendez-vous l'année prochaine pour faire le point après quelques mois d'utilisation.