Le 26 septembre 2012, au lancement de la mission Lescure, nous rappelions à Aurélie Filippetti ses propos tenus dans le passé contre Hadopi. Réponse de l'intéressée : « aujourd’hui, on est en 2012, ça ne sert à rien de regarder dans le rétroviseur. » A rien, sauf à constater une lente déliquescence de ses positions...
Nous nous sommes donc penchés sur l’histoire lointaine et récente du discours d’Aurélie Filippetti sur Hadopi. Deux extrêmes : cette ardante opposante de la Hadopi de 2009 réclame aujourd’hui surtout, une lutte acharnée contre le streaming et le direct download. Voilà un florilège de trois ans et demi de débats, discours et autres petites phrases.
Le temps des barricades contre Hadopi
4 mai 2009, Hadopi 1, Assemblée nationale : «Le dispositif HADOPI est purement défensif ; ses limites et ses dangers sont patents. Il cherche uniquement à préserver les modèles économiques en place, sans accompagner l’émergence de solutions nouvelles, alors que l’environnement technologique, lui, se renouvelle et que les modes de consommation et d’écoute ont considérablement progressé, notamment depuis le vote de la loi DADVSI. (…) Comme beaucoup d’internautes, j’avoue avoir bien du mal à comprendre comment la loi pourra réellement et efficacement préserver et pérenniser la création. Elle n’apporte pas un centime de plus aux auteurs ou aux artistes, que le gouvernement met en avant depuis le début de la discussion. Il n’est même pas démontré qu’elle fera baisser le téléchargement non autorisé. Il s’agit, selon les termes mêmes de Mme la ministre, d’un simple « pari ». Son enjeu ne devrait-il pas être, avant tout, de proposer les moyens d’assurer le financement des investissements nécessaires à la création de contenus culturels, ainsi qu’une juste rémunération des droits d’auteur dans le monde numérique ? »
4 mai 2009, Hadopi 1, Assemblée nationale : « Actuellement, il est avéré que les créateurs et les artistes sont particulièrement mal rémunérés dans les partages qui s’instaurent. M. Bloche l’a rappelé. Quelle est la réponse du gouvernement à ce problème ? La prévention par la répression, car on ne peut nier la vocation punitive d’HADOPI. C’est étonnant et un peu court (…) nous ne comprenons pas l’entêtement du gouvernement à défendre un dispositif inapplicable, inefficace et manifestement disproportionné en droit au regard du déséquilibre qu’il instaure entre la protection du droit d’auteur et la protection de la vie privée. »
21 juillet 2009, Hadopi 2, Assemblée nationale : «La seule étude contrôlable sur le téléchargement illégal dont nous ayons connaissance a été menée à Paris XI. Elle indique que les internautes qui téléchargent le plus sont également ceux qui achètent le plus de CD et de DVD. »
21 juillet 2009, Hadopi 2, Assemblée nationale : « je tiens à rappeler la situation sociale très difficile de la jeunesse dans notre pays puisque, à la fin de l’année, 700 000 jeunes se trouveront sur le marché du travail. Quelle justification donner à la criminalisation de jeunes, dont le seul crime est de vouloir accéder à la culture et à la musique ? (…) Discutons donc de cette proposition d’une contribution créative : deux euros par mois payés par les internautes et qui permettraient la constitution d’un fonds de 400 millions d’euros entièrement dédiés à la création artistique et au soutien des jeunes artistes, et non pas seulement des plus favorisés. »
22 juillet 2009 Hadopi 2, Assemblée nationale : «Cela me fait penser à cette phrase de Gramsci qui disait – je le cite de mémoire : « Le monde ancien ne veut pas mourir. Ce qui est nouveau n’arrive pas encore à naître et, dans cet entre-deux, prennent naissance les monstres. » (…) Cet entre-deux monstrueux reflète ce qui est en train de se passer du point de vue juridique. En effet, vous créez une procédure dérogatoire à l’ordonnance pénale visant à ce que les ayants droit parties civiles puissent obtenir des dommages et intérêts, alors que c’est interdit aujourd’hui, en l’état de l’ordonnance pénale. Vous instaurez une procédure dérogatoire pour les seuls ayants droit. Par ailleurs, pour les internautes, c’est-à-dire les prévenus, nous n’avons aucune garantie sur les droits de la défense. Vous construisez une sorte d’usine à gaz juridique aberrante, extrêmement compliquée, totalement inapplicable et qui rompt avec le principe d’égalité des citoyens devant la loi. »
29 septembre 2009 : Hadopi 2, Assemblée nationale. Discussion générale, discours d'Aurélie Filippetti.
Avant l’élection de François Hollande, une opposition intacte
12 décembre 2011, Théâtre du Vieux Colombier Paris, débat sur la Diversité culturelle et l’économie numérique : « On abroge Hadopi, c’est sûr. Ce modèle est inefficace. (…) Pour la première fois nous avons eu une loi qui oppose public et artistes, les créateurs et ceux qui les soutiennent. Cela ne doit plus se reproduire, on doit s’en extirper. » La députée de Moselle est alors à la tête de la mission Culture et Media du candidat François Hollande.
20 janvier 2012, interview sur France Inter « La fin d‘Hadopi est une victoire à la fois pour la création française et pour l’accès de tous à la Culture, c'est-à-dire la démocratisation culturelle, l’un des grands idéaux de la gauche. »
13 février 2012 Communiqué d’Aurélie Filippetti suite à la transmission des premiers dossiers d’abonnés au Parquet. « Avec cette transmission « « en flux continu » à tous les parquets de France, le mythe d'une Hadopi ayant une vocation pédagogique s'effondre ».
Il y aura abrogation, dans la concertation
24 février 2012 dans les colonnes de Libération « Si François Hollande est élu, [la concertation] se poursuivra d’une façon sans doute plus formalisée, en associant les associations d’internautes et de consommateurs. Au terme de ce processus, il y a une abrogation.» Le discours reprend celui de François Hollande en date du 17 février 2012. Dans une lettre à la SACD, il assure que l’abrogation d’Hadopi se fera dans la concertation.
Ministre, Filippetti attaque la sanction Hadopi, non son fondement
21 mai 2012, France Inter : « le système de sanction [de la Hadopi] (...) s’est révélé inefficace et négatif du point de vue du message qu’on veut faire passer ». Il ne faut pas « opposer le public et les artistes ». « La Haute autorité s’est réunie la semaine dernière et a déjà commencé à réviser sa ligne stratégique. (...) Personne, y compris les membres de cette Haute autorité, ne semblait réellement satisfait du système tel qu’il fonctionnait. »
Aurélie Filippetti, aux rencontres cinématographiques de Dijon en octobre 2012
On ne parle plus d’abrogation, mais de bilan de la Hadopi
22 mai 2012, Cannes, propos rapportés par La Tribune : Pour Hadopi, elle promet « une nouvelle méthode de concertation, sans brutalité, sans précipitation, sans opération de communication qui ne débouche pas sur des réalités concrètes ». Elle annonce un « bilan » de la Hadopi afin d’y dénombrer « ses forces et ses faiblesses. » Hadopi a donc des forces.
Aurélie Filippetti déporte le débat sur les coûts de la Hadopi…
11 juillet 2012, audition à l’Assemblée nationale : « les 12 millions d’euros qui m’ont été réclamés (par l’Hadopi, ndlr] je dois dire que ça tombe mal pour la Hadopi ! (…) En plus de tout le reste... ça coûte cher ». Sur l’efficacité de la riposte graduée, la ministre constate « une évolution des comportements (...) perceptible y compris dans des pays comme les États-Unis par exemple, où il n’y a pas de Hadopi ».
… juge la suspension disproportionnée, non l’amende...
1er aout 2012 Interview au Nouvel Observateur, « La suspension de l'accès à internet me semble une sanction disproportionnée face au but recherché. » En creux, cela signifie que la ministre juge acceptable l'amende et donc le principe de la responsabilité des abonnés pour la fameuse négligence caractérisée.
... Et s’attaque aux effets de l’Hadopi sur l’offre légale
1er aout 2012, Nouvel Observateur : « Si je ne sais pas ce que deviendra cette institution, une chose est claire : l'Hadopi n'a pas rempli sa mission de développement de l'offre légale. Sur le plan financier, 12 millions d'euros annuels et 60 agents, c'est cher pour envoyer un million d'e-mails. (…) Dans le cadre d'efforts budgétaires, je vais demander que les crédits de fonctionnement de l'Hadopi soient largement réduits pour l'année 2012. Je préfère réduire le financement de choses dont l'utilité n'est pas avérée. J'annoncerai en septembre le détail de ces décisions budgétaires ».
10 septembre 2012 Le Monde : la « Hadopi n'a pas rempli sa mission de développement de l'offre légale. Sur le plan financier, 12 millions d'euros annuels et 60 agents, c'est cher pour envoyer un million d'e-mails ».
Un seul condamné pour un tel budget ?
14 septembre 2012 AFP, après la condamnation du premier abonné : « Hadopi coûte 11 millions d'euros par an, plusieurs dizaines de personnes y travaillent. Ce que je constate, c'est que la décision qui a été prise hier à Belfort, c'est 150 euros de condamnation, et c'est une première, et qu'il y a à peine 30 dossiers transmis au juge » (…) Il y a peut-être une légère disproportion entre les moyens énormes qui ont été déployés pour Hadopi, tout le débat qu'a présidé à la constitution de cette autorité, et le résultat concret. »
1er octobre 2012 Aurélie Filippetti et le reste du gouvernement maintiennent 71 emplois à la Hadopi dans le projet de loi de finances pour 2013. Quant au budget de la Hadopi, il ne baisse que légèrement. De toute façon, la Hadopi est désormais équipée d’un système informatique tout neuf, capable d’absorber 200 000 incidents/jour.
La Hadopi est insuffisante dans la sanction contre le streaming et le direct download
23 octobre 2012, Discours au CSPLA : « J’attends (...) de la mission Lescure qu’elle propose des pistes pour lutter contre le « streaming » et le téléchargement direct illégaux. L’action de l'Hadopi a été insuffisante en la matière, car nous savons que de nouvelles pratiques se sont développées ces dernières années et que le droit ne peut se contenter d’une référence à un état de la technique tel que le téléchargement en « pair à pair ». »
Les courriels, c'est gentil
5 décembre 2012. Dans une interview sur Les Indés Radios, Aurélie Filippetti refuse de dire ce que sera l'avenir de la Hadopi mais elle estime que « les courriels ce n'est pas méchant »
Dégénérescence
La députée qui combattait la pénalisation du défaut de sécurisation, qui militait pour l’abrogation du texte, condamnait l’ « usine à gaz », réclamait une contribution créative, etc. a donc bien changé. La même personne désormais ministre dénonce aujourd’hui la seule suspension, mais pas l’amende. Cela tombe doublement bien : d'une part, la suspension est juridiquement et techniquement un cauchemar (on doit suspendre l'accès au web, non aux correspondances privées comme Skype, les webmails, etc.) D'autre part, à la Hadopi, on rêve de transformer l'amende pénale en amende administrative. Avantage ? Cela évite la case du juge. C'est discret (pas de procès public). Cela permet de démultiplier les condamnations. Cest beaucoup moins couteux. Et c'est nettement plus fluide.
Dans ses plus récents propos, Aurélie Filippetti critique désormais la faible efficacité de la Hadopi sur l’offre légale et estime que la Rue de Texel n’est pas dotée contre le streaming et le direct download. Cela tombe là encore très bien : les ayants droit (le Snep, l'APC, la SPPF) veulent armer la Hadopi d'une capacité de déréférencement des sites « pirates ». De l'autre côté, l'autorité indépenante peaufine dans son coin Linkstorm, un outil pour jauger le label PUR dans les résultats des moteurs.
Sans remise en cause du principe de la responsabilisation de l’abonné, la France se dirige peu à peu vers un dispositif surarmé juridiquement et exorbitant du droit commun. Seuls les mauvais esprits lanceront un dernier coup d'oeil dans le rétro de 2009, quand la députée de Moselle citait (de mémoire) Gramsci : « Le monde ancien ne veut pas mourir. Ce qui est nouveau n’arrive pas encore à naître et, dans cet entre-deux, prennent naissance les monstres. »