Hier, Monoprix a mis en ligne une vidéo parodique afin de répondre à l'annonce d'Amazon Go. Une stratégie décalée, qui cache mal la problématique auquel fait face ce secteur : une impossibilité de régler ses défis par l'innovation.
Récemment, Amazon a communiqué sur un nouveau type de supermarché citadin qu'il comptait déployer, sans vraiment donner de détails : Amazon Go. Un premier est ouvert de manière limitée à Seattle, avant un élargissement prévu pour 2017. Le géant de la vente en ligne misait alors sur un argument clé : vous n'avez pas besoin de faire la queue en caisse.
En effet, tout a été mis en place afin de détecter automatiquement ce que vous achetez, et vous le facturer directement sur votre compte Amazon. Un gain de temps non négligeable :
Monoprix répond à Amazon : entre blague et aveu de faiblesse
Hier, un concurrent a décidé de répliquer à cette annonce en diffusant une vidéo parodique de la promotion d'Amazon : Monoprix. On y retrouve à peu près la même démarche mais avec un texte différent, aux accents ironiques, qui explique que cela fait déjà dix ans que l'on peut faire ses courses sans passer en caisse dans les points de vente de l'enseigne. Comment ? En passant par le service... de livraison à domicile.
L'équipe en charge de la communication de la marque aura donc décidé de comparer des choux et des carottes pour se donner l'impression d'avoir apporté une réponse à ce qui pourrait devenir l'un de ses concurrents directs. Car, cette vidéo le montre bien, Amazon peut vite devenir un danger pour des marques comme Monoprix.
Chez Monoprix, vous pouvez faire vos courses sans passer par les caisses... depuis 10 ans #MonoprixLivraisonPlus pic.twitter.com/8lMpUZbF0f
— Monoprix (@Monoprix) 20 décembre 2016
Outre sa force de frappe financière, la société dispose d'un savoir-faire assez important en termes de logistique et d'innovation technologique. Voir une telle société s'ancrer dans le domaine des supermarchés physiques peut constituer un bouleversement important dans les années à venir. Des acteurs comme Monoprix le savent très bien.
Grandes surfaces : une faible innovation technologique (sauf pour la data)
Or, ils vivent depuis des années sur un marché aux marges assez confortables (notamment avec les supérettes) où la seule révolution technologique de ces dernières années, outre le ticket de caisse par email de Leclerc, aura été la mise en place de caisses automatisées, qui ne fonctionnent pas toujours très bien (chez Monoprix comme ailleurs). On attend d'ailleurs toujours le paiement en bitcoins.
Au passage, il est assez ironique de voir Monoprix opposer sa « technologie humaine » à la solution d'Amazon alors que ces nouvelles caisses servent avant tout à réduire la main d'œuvre nécessaire. La bataille sociale sur ce point a d'ailleurs été assez forte il y a quelques années, même si les enseignes du secteur ont toujours défendu que cela permettait de libérer des postes pour s'occuper d'autres tâches.
Le recul nous a montré qu'il n'était de toutes façons pas vraiment question de se préoccuper en priorité du service apporté au client. Un changement de paradigme qui n'a pas encore avoir fait son bonhomme de chemin.
Il suffit d'ailleurs d'être allé dans un point de vente de l'enseigne (ou d'un concurrent) pour voir que le passage en caisse (qu'elle soit automatisée ou non) et la queue qui va avec, restent l'un des points vitaux à améliorer dans l'expérience client. D'autres stratégies ont d'ailleurs été envisagées, sans forcément parvenir à un résultat probant pour le moment : multiplication des Drive, mise en place de dispositifs de « Scan », etc.
Là où l'expertise technique est par contre forte dans le secteur ces dernières années, c'est celui de la data. Renforcer les stratégies de collecte et d'utilisation des données autour des cartes de fidélité, le croisement online/offline, le suivi « Indoor » des clients via le Wi-Fi ou le Li-Fi (ce qui est encadré par la CNIL depuis 2014). Autant de sujets qui passionnent en général les géants de la grande surface pour qui le numérique est avant tout une opportunité marketing.
Livraison à domicile : un service avec ses contraintes
Certes, proposer une livraison à domicile en deux ou trois heures (et non 1h), à partir de 50 euros d'achat (sous conditions), avec des frais d'emballage, peut être une solution dans certains cas. Mais ce n'est clairement pas celle qui résoudra le problème posé par l'émergence d'Amazon Go.
Quid de ceux qui veulent simplement venir chercher un repas sur le pouce à une heure de forte affluence (comme à midi) ? De ceux qui ne veulent pas attendre deux ou trois heures ? De la simplification de la phase de paiement ? Autant de points auxquels la vidéo de Monoprix n'apporte aucune réponse.
Il est d'ailleurs déjà possible de se faire livrer plus rapidement par Amazon, comme par d'autres enseignes, sans même avoir à sortir de chez soi. Monoprix le propose d'ailleurs, en 1h cette fois, sur Neuilly et le 17ème arrondissement de Paris à travers Del Easy (hébergé par... Amazon).
La communication n'est pas une stratégie, elle doit l'accompagner
Alors oui, ceux qui regarderont cette vidéo sans voir plus loin que le bout de leur nez trouveront sans doute marrant de voir un acteur français répondre si rapidement à un géant américain qui compte venir empiéter sur ses plates-bandes. Mais dans une bataille comme celle qui s'annonce, ce genre de vidéo ne sert qu'à nourrir une communication de surface, la chronique quotidienne du buzz en ligne.
Ce qui est important, c'est ce que comptent faire les acteurs de ce marché pour anticiper l'arrivée de boutiques comme Amazon Go de manière concrète. Car, quoi qu'on en pense, le numérique est encore loin d'avoir révolutionné de nombreux secteurs, comme celui de la caisse, qu'on parle de votre coiffeur ou d'une grande surface.
Si les géants du marché ne le comprennent pas et ne se préparent pas sérieusement, préférant se focaliser sur les opportunités marketing, un autre le fera à leur place et viendra renverser leurs positions. On se retrouvera alors dans un schéma classique, avec des sociétés qui chercheront à défendre leur position quand elles auront compris leur faiblesse, faisant appel aux pouvoirs publics pour « sauvegarder l'emploi face au géant américain », avant de s'adapter lentement aux nouveaux usages.
Du déjà vu dans de nombreux secteurs, qui mettent des années à s'en remettre.
Le numérique peut être une chance, encore faut-il la saisir
Amazon mettra sans doute du temps avant de s'étendre dans le domaine des points de vente physiques. Cela laisse donc une marge de manœuvre importante au secteur pour anticiper les mutations que cela implique dans son fonctionnement, sa façon de prendre en compte l'expérience client et aller au-delà d'effets d'annonces et autres évolutions qui apportent autant de problèmes que de solutions.
Mais cela prendra plus de temps, demandera bien plus de capacité d'analyse, d'imagination et d'innovation que de mettre en ligne une vidéo pour faire le buzz sur Twitter.