Alors qu'Amazon vient de livrer son premier colis par drone autonome, la Poste annonce fièrement faire de même sur « une ligne commerciale régulière », une première mondiale selon le groupe. Il ne s'agit pas d'un lancement commercial, mais toujours d'une expérimentation. Explications.
Livrer des produits par des drones, c'est une idée qui fait son chemin depuis plusieurs années maintenant. On se souvient par exemple d'une annonce de La Poste le 1er avril 2013 pour des magazines de presse. Depuis, d'autres mastodontes se sont lancés sur ce créneau : Amazon, DHL, Domino’s Pizza, Google et UPS pour ne citer qu'eux. La Poste revient aujourd'hui sur le devant de la scène, avec une « première mondiale ».
Pizzas, médicaments, Fire TV, popcorn...
Au cours des dernières semaines, les expérimentations et les annonces en tout genre se sont multipliées, chacun se vantant à tour de rôle d'être le premier à franchir une nouvelle étape. En voici quelques exemples, mais il en existe évidemment d'autres.
Fin septembre, UPS livrait des médicaments sur une île, tandis que le 16 novembre, Domino’s Pizza effectuait sa première livraison par drone en Nouvelle-Zélande (voir la vidéo ci-dessous). Dans les deux cas, il ne s'agit bien évidemment que d'une première étape et une ouverture plus large du service est envisagée.
Hier, c'était au tour d'Amazon d'annoncer sa première livraison de colis par drone, en 13 minutes si l'on en croit le PDG de la société, Jeff Bezos. L'opération s'est déroulée le 7 décembre dernier au Royaume-Uni avec un vol entièrement autonome, c'est-à-dire sans pilote humain aux commandes.
Pour cette première commande, le colis comprenait une Fire TV (un produit toujours pas disponible en France) et un paquet de popcorn. Pour le moment, seuls deux clients peuvent en profiter, mais « des dizaines » devraient prochainement pouvoir faire de même :
Première mondiale à la Poste : une ligne commerciale régulière... en expérimentation
Aujourd'hui, la Poste joue la surenchère en annonçant que « pour la première fois au monde, une ligne commerciale régulière permet de livrer des colis par drone ». Le groupe explique qu'il a reçu l'autorisation de la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC) pour effectuer ce genre de service sur une ligne régulière de 15 km. Nous les avons contactés pour avoir de plus amples informations.
Trois ans et demi après la première annonce, les choses semblent donc avoir évolué dans le bon sens. Attention, il ne s'agit pas encore d'un lancement commercial, mais d'une « phase d’expérimentation sur une ligne régulière » qui arrive après plus de deux ans de tests nous précise la Poste.
Une livraison par semaine pour le moment
Sont pour le moment concernées des start-ups d'une pépinière d'entreprises « isolée » de Pourrières dans le Var. L'endroit est difficile d'accès en voiture et nécessite d'emprunter un chemin nous explique la Poste. Rien d'impossible pour autant, mais visiblement une base intéressante pour mener des expérimentations.
Pour la première fois au monde, une ligne commerciale régulière permet de livrer des colis par drone avec #LaPoste pic.twitter.com/q0djCz8WBw
— Le Groupe La Poste (@GroupeLaPoste) 15 décembre 2016
Une fois par semaine, le drone décolle donc du relais Pickup de Saint-Maximin-La-Sainte-Baume à une quinzaine de kilomètres pour livrer des colis Chronopost et DPD France. La Poste nous explique que le rythme (une fois par semaine) est pour le moment imposé par la DGAC « qui nous valide un vol d'une semaine sur l'autre ».
Bien évidemment, les facteurs continuent de faire leur tournée le reste du temps, mais si un colis arrive un jour où l'autorisation de vol a été donnée, alors il empruntera ce moyen de transport (si son poids/format est compatible évidemment).
La Poste donne quelques détails techniques sur son drone. On apprend qu'il a une autonomie de 20 km (la portée des transmissions est de 50 km) pour une charge utile de 3 kg, avec une vitesse de croisière de 30 km/h. Il est équipé de six rotors et d'un cadre en fibre de carbone. En cas de chute inopinée, un parachute se déclenche automatiquement ajoute la société dans sa présentation.
Un drone autonome... avec un opérateur prêt à reprendre les commandes
La Poste explique que son drone est « piloté par un opérateur agréé par la DGAC ». Lors d'un entretien, elle nous précise que le drone est en fait entièrement autonome, mais qu'un agent est prêt à prendre les commandes si nécessaire. C'est une demande de la DGAC pour mener cette expérimentation.
Sur les points de départ et d'arrivée se trouvent des terminaux de livraison. Il s'agit d'une « structure protégeant l’accès au drone pendant ses phases d’atterrissage et de décollage ». Elle comprend un chariot automatisé pour acheminer le colis et une « électronique dédiée à la sécurisation des manipulations autour du drone ».
Et la suite ?
Interrogée sur une éventuelle ouverture commerciale sur service ou sur de nouvelles lignes, la Poste nous répond : « On va y aller en douceur ». Cette première expérimentation hebdomadaire arrive après deux ans de tests et le groupe ne souhaite pas brûler les étapes. L'usage des drones restera dans tous les cas cantonné aux « zones isolées, difficiles d'accès ou suite à un événement climatique » et « ce n'est pas pour les particuliers ».
Ce projet ne porte pour le moment que sur les drones, « on n'a absolument pas de projet de voitures autonomes en ce moment ». Une solution qui permettrait pourtant de livrer des colis plus imposants et lourds.
Le ministère de la Défense doit-il rendre son avis ?
Si sur le papier tout semble s'emboiter parfaitement, il reste tout de même une question en suspens : un éventuel avis du ministère de la Défense. Comme nous l'expliquions en octobre 2014, ce dernier avait une position bien tranchée sur la question.
Dans une réponse à une question du député Thierry Lazaro, il expliquait que « l'examen d'une demande formulée par une société commerciale auprès des autorités françaises en vue d'utiliser des drones civils dans le cadre d'un projet de livraison de colis relèverait de la compétence de la direction générale de l'aviation civile ». Si la Poste a visiblement passé cette étape avec succès, ce n'était pas la seule requête.
Le ministère de la Défense a ajouté qu'il « devrait être consulté compte tenu de la sensibilité de ce dossier et comme le prévoit notamment l'article 6 de l'arrêté du 11 avril 2012 en cas d'éventuelles dérogations aux prescriptions de cet arrêté ». De plus, dans cette hypothèse, il « ne pourrait que rendre un avis défavorable à l'égard d'une demande de cette nature ».
Problème, l'article 6 du 11 avril 2012 a été abrogé le 17 décembre 2015, difficile donc de savoir ce qu'il en est exactement aujourd'hui. Une chose est sûre, il est toujours question d'une « décision conjointe du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la Défense ». Contacté, le ministère de la Défense n'a pas souhaité nous répondre pour le moment.
De son côté, la Poste ne précise pas si le ministère de la Défense a été consulté, et encore moins quelle réponse aurait été apportée. Contacté par nos soins, le groupe nous explique, un peu surpris : « Vous êtes le premier à me poser cette question ». Il ajoute : « on a toujours travaillé avec la DGAC, d'ailleurs si on travaille avec le centre du CEEMA qui est dans le Var, c'est parce que le centre est le seul à avoir l'autorisation de la DGAC pour procéder à des vols tests d'objets civils ».
Nous avons également pu nous entretenir avec Valentin Brossard, cofondateur et directeur général de la start-up Hionos, une société spécialisée dans les drones. Il nous explique que ce genre d'expérimentation est finalement assez courante et que, selon lui, « c'est vraiment la DGAC qui décide au cas par cas ».
Si des projets « complètement automatiques, répétées, industriels » ont de fortes chances d'être refusés, tant qu'on est dans l'expérimentation il n'y a pas de raison de le refuser, à condition que la sécurité soit suffisante évidemment. « Globalement, les autorisations se font assez facilement » conclut notre interlocuteur.
Les expérimentations sont là, une réglementation européenne attendue pour 2019
Que ce soit en France ou ailleurs finalement, la question reste la même : quid de la réglementation ? Elle est souvent floue sur la livraison par drone, qu'ils soient autonomes ou non, avec un vol en vue ou hors vue. Alors que les entreprises se font de plus en plus pressantes et multiplient les expérimentations, il serait bien que la situation se clarifie.
Valentin Brossard nous explique que la législation pour des usages commerciaux arrivera certainement « à travers la réglementation européenne » qui est prévue pour 2019. Il ajoute que certains pays sont tout de même en avance, comme la Nouvelle-Zélande (là où Domino's Pizza livre des produits par drone).
Concernant les délais – encore environ 3 ans à attendre – Valentin Brossard pense que ce n'est pas spécialement un problème pour le monde industriel. Cela laisse du temps pour poursuivre les expérimentations et renforcer la sécurité des drones, surtout lorsqu'il s'agit de vol hors vue et dans des zones habitées.
Enfin, la question de la livraison par drone n'est pas sans rappeler l'arrivée des voitures autonomes. Certaines sont déjà prêtes, d'autres sont en cours de finalisation, mais se pose encore et toujours la question du cadre légal. On peut même imaginer une synergie entre les deux secteurs : la livraison de colis pourrait être assurée par des voitures autonomes. Elles ont l'avantage de pouvoir emporter plus de marchandises, plus lourdes, et sur de plus grandes distances. Néanmoins, les drones garderont l'avantage de pouvoir accéder à des zones où il n'y a pas de route...