Les sénateurs ont adopté hier l'extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, non sans adapter le texte transmis par les députés. La nouvelle version est beaucoup moins tournée vers les technologies, sans s'interdire néanmoins de viser les sites qui font pression sur les femmes pour les dissuader d'avorter.
Cette réforme est née à l’initiative de la majorité, en réaction à l’existence de sites Web qui dissuadent voire induisent en erreur les femmes de pratiquer l’IVG.
Le 1er décembre dernier, l’unique disposition votée par l’Assemblée nationale visait donc à réprimer ceux qui auront empêché ou tenté d'empêché de pratiquer ou s'informer sur une IVG « par tout moyen, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse ».
Le sénateur LR Bruno Retailleau, proche de François Fillon, très opposé à une telle incrimination, a rapidement opposé une atteinte à la liberté d’expression. « Parce qu’il y a des sites qui sont excessifs, outranciers ou mal informés, est ce qu’à ce prétexte-là on doit tout interdire lorsqu’on n’a pas la même pensée sur tel ou tel sujet ? Bien sûr que non » avait-il regretté sur Public Sénat.
La version des députés jugée insatisfaisante
Au Sénat, où le groupe LR est en majorité, le texte a été remanié dès les travaux en commission des affaires sociales. Les parlementaires ont en particulier jugé la version préalable non satisfaisante.
Pourquoi ? Car sa rédaction entend « combiner dans une même phrase la précision sur l’intention des auteurs du délit et celle des moyens par lesquels ce délit peut être constitué ». Autre reproche : elle « ne permet pas totalement d’atteindre l’objectif poursuivi. Elle vise uniquement les pressions s’exerçant sur les seules femmes s’informant dans les centres pratiquant des IVG et pas les autres ».
Une infraction qui ne mentionne plus de dimension technologique
Dans la formule finalement retenue, l’infraction prévue par le Code de la santé publique sera aussi constituée lorsque quiconque aura exercé « par tout moyen, des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements (…), des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »
Adoptée 173 voix contre 126, la proposition de loi a donc perdu sa dimension technologique, mais la rédaction serait suffisamment vaste pour intégrer la communication par voie électronique. Elle « permet de préciser que toute personne cherchant à s’informer sur l’IVG, notamment sur Internet, peut être reconnue victime de ces pressions. Il ne s’agit donc pas seulement des femmes venant s’informer dans les centres » se félicite les membres de la commission des affaires sociales.
Cependant, tel n’est pas l’avis de Philippe Bas. Le sénateur LR souligne deux objets différents entre le texte des députés et celui des sénateurs. « Le premier, les sites internet ; le second, les pressions et intimidations, où qu'elles soient commises. Le premier pose un problème juridique, constitutionnel, que nous avons le pouvoir de lever. Le second ouvre d'autres débats. Quoi qu'il en soit, légiférer ainsi, si vite, nous fait courir le risque de manquer notre cible. »
Michel Mercier a rejoint cet avis regrettant le choix de la procédure accélérée pour ce qui est considéré comme une « entorse » à la liberté d’opinion.
Les critiques de la commission des lois
La commission des lois avait aussi épinglé le délit imaginé par les députés. Atteinte à la liberté d’expression, de légalité, de clarté de la loi pénale, de nécessité (2 ans de prison et 30 000 euros d’amende étant considérés comme disproportionnés), etc. Ses critiques se concluaient par cette petite phrase assassine : « Il apparaît à votre commission contraire à l’ensemble des principes énumérés précédemment de sanctionner la simple expression d’une opinion hostile à l’interruption volontaire de grossesse, privée ou publique ».
Sur son chemin, la même commission a tout autant exprimé des doutes sur le texte validé par les sénateurs. Selon elle, plutôt que l'infraction, « d’autres voies pouvaient être recherchées : amélioration de la visibilité du site Internet du Gouvernement dans les moteurs de recherche, plus forte implantation des centres de planning familial, meilleure formation des infirmières scolaires, meilleure éducation sexuelle, etc. »
Le texte devra être adopté dans les mêmes termes par les deux chambres, sachant qu'en cas de discordance, le dernier mot reviendra à l'Assemblée nationale.