Pour supprimer les frais d'itinérance en Europe, la Commission proposait d'abord une limite fixe de 90 jours par an, qui a convenu à peu d'acteurs. Depuis trois mois, il est remplacé par un modèle bien plus complexe, censé ménager toutes les sensibilités. Le résultat de longs débats, qui ne laissent que quelques jours à l'Union pour se décider.
Le temps presse pour la Commission européenne. L'institution doit avoir adopté les règles relatives à la fin des frais d'itinérance d'ici le 15 décembre ; dans une semaine. Les désaccords de ces derniers jours entre les principales institutions européennes appliquent une pression importante sur la Commission, qui veut arranger tous les acteurs des 28 pays de l'Union.
« La Commission européenne a fait sa part. Nous avons écouté, nous avons consulté, nous nous sommes adaptés » a lancé Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, en charge du marché unique numérique, en présentant un nouveau brouillon de règles ce matin. Au-delà de cette échéance, le remue-ménage européen sur le dossier interroge, à six mois à peine de la fin annoncée de la facturation de l'itinérance aux clients, le 15 juin prochain.
State-of-play towards end of #roaming charges for travellers in EU. News release: https://t.co/KZdpeg8b31 Statement: https://t.co/oqS3hQ9O1F pic.twitter.com/Kn5792JHoU
— Andrus Ansip (@Ansip_EU) 8 décembre 2016
La Commission, première girouette de l'Union européenne
La suppression des frais d'itinérance est l'un des principaux projets de ces dernières années en matière de télécommunications, et celui qui doit le plus bénéficier aux consommateurs. Cet objectif a donné lieu à une saga aux proportions rocambolesques ces derniers mois.
Début septembre, l'institution a publié un brouillon de règles, centrées autour d'une limite de 90 jours d'itinérance par an, avec une exception pour les frontaliers. Une proposition claire, fondée sur les usages. Devant les critiques d'associations de consommateurs, États et opérateurs, le texte a été rapidement retiré sans vraie explication.
« Nous pensions que la limite de 90 jours résoudrait tout. C'est beaucoup plus complexe que ça : il faut protéger les opérateurs, les investisseurs, les pays du nord et du sud... Et éviter que les prix n'augmentent pour les consommateurs » résume aujourd'hui le vice-président de la Commission.
Des intérêts en conflit, un consensus à trouver
Quelques jours plus tard, ce brouillon a été remplacé par un autre. La suppression des frais d'itinérance s'appuie sur un système aux contours moins clairs, où régulateurs européens, nationaux et opérateurs doivent évaluer eux-mêmes les seuils des « abus » potentiels. En clair, la Commission a voulu déléguer le casse-tête au secteur privé et aux États, ce qui n'a pas plu à tous.
Le texte a, depuis, été critiqué par des pays qu'il défavorise, ainsi que par certains acteurs privés, comme les opérateurs virtuels (MVNO). Il y a encore quelques jours, la dissension était claire entre les différentes entités européennes, pourtant censées être unies dans leur vision.
Hier, le Collège des commissaires européens a décidé d'apporter des « clarifications » au modèle, quitte à le dénaturer un peu. « Nous avons reçu beaucoup de réactions, auxquelles nous devons répondre » résume Andrus Ansip. Le nouveau brouillon a été envoyé aux représentants des États membres, qui doivent se réunir demain pour statuer sur le texte.
Le Parlement européen et le Conseil des ministres doivent, eux, boucler leurs discussions sur le marché de gros... L'épine dans le flanc du plan.
Le problème des tarifs de gros entre opérateurs
Même si les frais d'itinérance seront bien supprimés pour les clients, les opérateurs continueront de se facturer la navigation de leurs clients sur le réseau d'un autre. En juin, la Commission européenne avait proposé des tarifs de référence, dont un plafond de 0,0085 euro par Mo consommé en itinérance.
Censé arranger tous les acteurs, il est pourtant le point qui divise le plus... Alors que les institutions européennes sont dans une fourchette proche sur la facturation des appels et SMS, elles doivent donc trouver rapidement un terrain d'entente sur leurs derniers désaccords.
La Commission doit, elle, fournir la solution à un casse-tête : supprimer les frais d'itinérance, tout en tenant compte des différences de niveau de vie dans les 28 pays de l'Union, et en évitant que les pays les plus touristiques ne bénéficient d'une manne trop importante, via les frais qu'ils facturent aux opérateurs d'origine des touristes.
Lesdits opérateurs craignent aussi de voir partir leurs clients vers ceux d'autres pays aux forfaits moins chers, tout en continuant d'utiliser leurs smartphones sur leurs réseaux. Sans limite de durée d'itinérance ou de seuil clair pour les abus, le marché unique numérique pourrait se transformer en cauchemar, arguent les groupes télécoms.

Cas particuliers et abus potentiels
Si le premier texte de la Commission européenne, en septembre, devait être fondé sur une analyse précise de la consommation des mobinautes européens et du marché des télécoms, nombre de cas particuliers semblent être passés entre les mailles du filet.
L'institution a « clarifié » certains des gardes fous qu'elle prévoit, notamment pour « les offres les plus innovantes » aux données illimitées ou avec une enveloppe très importante, qui ne seraient pas disponibles dans tous les pays, affirme la Commission. Par exemple, la consommation moyenne de données mobiles est de 10 Go par mois en Finlande, contre 1 Go en moyenne dans l'UE, grâce à des prix plus bas.
La Commission espère donc imposer une limite de données utilisable en itinérance, une nouvelle fois pour « protéger les marchés intérieurs». Il s'agit d'un recul par rapport à une version précédente, qui prévoyait justement de pouvoir consommer l'ensemble de son enveloppe de données en itinérance, sans restriction.
Des opérateurs auront tout de même la possibilité de facturer en cas d'abus, voire si la situation le désavantage trop, en accord avec son État. Les clients pourront donc être amenés à payer des frais si la marge de l'opérateur est déficitaire sur le marché de gros du roaming.
Alors que ce déficit devait avant atteindre 5 % des échanges, le seuil a été abaissé à 3 %. Les opérateurs sont aussi autorisés à pré-notifier le régulateur d'un éventuel déficit, avant le 15 juin 2017, soit avant même la suppression des frais d'itinérance pour les clients. « Les États membres étaient contre le fait d'imposer un niveau de perte trop élevé pour activer cette mesure » dit le commissaire européen.
Des consommateurs censés être mieux protégés
Enfin, la révision du texte doit aussi clarifier la situation pour les clients. Ceux-ci sont liés à leur pays d'origine, et considérés en roaming dès qu'ils se déplacent en dehors. Chaque personne a donc des « liens stables » avec son pays. Une idée simple, qui ne convient pourtant pas à certains cas particuliers, comme un jeune qui étudie à l'étranger.
Pour la Commission, ils doivent pouvoir bénéficier d'une itinérance comme à la maison, même si leur pays d'études n'est pas leur pays d'origine. Une mesure avec laquelle les opérateurs devront se débrouiller.
Les consommateurs qui abuseraient du roaming ont, eux, désormais droit à une fenêtre d'observation minimale de 14 jours, durant laquelle ils sont notifiés puis observés, avant toute éventuelle sanction de l'opérateur. Cela doit éviter un contrôle trop intrusif de l'activité des clients par les opérateurs, affirme l'institution. L'absence de durée minimale n'a pas convenu aux associations de consommateurs, indique encore la Commission.
Ces propositions, complexes, doivent donc ménager la chèvre et le chou, à quelques jours de l'échéance pour la décision finale des institutions européennes. Il reste donc à voir quel sera le verdict des États membres demain, et la réaction des lobbies, très actifs jusqu'ici.