Une note blanche pour vanter les charmes de la taxe sur la vidéo en ligne. Voilà le document circulant sous les manteaux parlementaires, que Next INpact diffuse. Mentionné dans ses propriétés, le CNC reconnaît en être l'auteur. Hier soir, les députés ont finalement adopté cette nouvelle ponction qui profitera à ce dernier.
Fin novembre, les députés Karine Berger et Marcel Rogemont notamment avaient fait voter un amendement en commission des finances visant à réintroduire une « taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels » (voir notre actualité détaillée).
Cette taxe est taillée pour prélever une dîme sur les publicités en ligne de YouTube ou Dailymotion, mais aussi les accès payants aux vidéos à la demande, hébergées sur les plateformes. Après divers abattements, elle serait de 2 % (voire 10 % pour la pornographie ou les contenus violents). Ses fruits tomberaient, non dans les caisses de Bercy, mais directement dans les poches du Centre national du cinéma (CNC).
Selon les députés porteurs du texte, en effet, « l’extension de la taxe vidéo permet d’inclure dans le système vertueux du financement de la création cette nouvelle forme de diffusion des œuvres que constituent les plateformes gratuites. Elle permet ainsi d’abonder le Centre national du cinéma et de l’image animée, qui a vocation à soutenir toutes ces nouvelles créations qui ne transitent pas par les canaux traditionnels de la diffusion ».
Note blanche et colère noire
L’Association des Services Internet Communautaires ne comprend pas vraiment le lien entre l’assujettissement des vidéos de chat ou de conseils en maquillage et le CNC. Celle qui compte YouTube et Dailymotion dans ses rangs, a dénoncé « les arguments erronés qui ont été développés par le CNC » en amont de cet amendement avec une précision sucrée-salée : « quand on fait circuler une note blanche dans un format Word, il faut penser à vérifier les propriétés du document… »
Nous avons pu mettre la main sur ce fameux document. Une véritable trousse à outils proposée aux parlementaires, de beaux « éléments de réponse » permettant de s’armer face aux grincheux !
Les éléments de langage soufflé aux députés
Quelques exemples : « Une taxe prématurée qui n’a fait l’objet d’aucune évaluation, et qui sera complexe à collecter » ? Que nenni ! « Il ne s’agit pas de créer une nouvelle taxe, mais d’élargir l’assiette d’une taxe existant depuis des décennies (taxe sur les vidéogrammes) ». Et « la taxe ne sera pas complexe à collecter ».
À ceux qui estimeraient que « la taxe briderait la compétitivité de nombreux acteurs français », les partisans répondront qu'avec ses divers abattements, « la taxe aura quasi exclusivement des redevables étrangers » tels YouTube, iTunes, Netflix, Twitch TV, voire Facebook et en tout cas « les sites pornographiques dont la très grande majorité est établie hors de France » (sauf Dailymotion).
Pour répondre aux critiques, rien de mieux aussi qu’une série de questions : « pourquoi taxerait-on un modèle d’exploitation VàD fondé sur la vente ou la location (comme par exemple les plateformes françaises d’Orange, d’Universciné ou de FilmoTV) et pas le modèle concurrent de la VàD gratuite (majoritairement dominé par des plateformes étrangères) ? » ; « pourquoi taxerait-on la publicité sur la télévision ou sur le replay (…) et pas la ‘chaine thématique’ sur une plateforme gratuite, alors qu’elles ont le même objet, à savoir la mise à disposition du public d’œuvres audiovisuelles ? », etc.
Le CNC reconnaît être l'auteur de cette note
Cette belle taxe affectée « contribuera à financer un dispositif, le CNC, qui finance les contenus innovants sur le Net depuis très longtemps » vante encore le texte. Ses recettes permettront « de soutenir la création sur les nouvelles plateformes numériques, et d’aller au-delà des aides existantes, pourtant uniques en Europe ».
Enfin, « le CNC expérimente d’ailleurs avec les studios français de création numérique (Studio Bagel, Golden Moustache) des nouveaux dispositifs pour accompagner les nouveaux créateurs, futurs Norman ou Cyprien », rappelle ce même document.
Et effectivement, lorsqu'on scrute ses propriétés, on retrouve bien la trace « CNC ». Contacté, le mis en cause confirme sans rougir en être l'auteur, avec l'explication suivante : « cette note a été rédigée par le CNC à la demande des parlementaires ».
Les députés valident cette taxe en séance
Tard dans la nuit, les députés ont adopté cette taxe (3:21:51 de la vidéo). Et dans la bouche de certains, on a retrouvé quelques propos déjà entendus : « ce n’est pas la création en tant que telle d’une taxe, a par exemple claironné le socialiste Marcel Rogemont, puisque la taxe sur les vidéogrammes existe depuis 1993 ». Et comme le CNC, ce député plaide pour « une neutralité par rapport au mode de financement ».
On notera que le gouvernement s’est opposé à ce mécanisme, notamment sur l’autel du principe d’égalité. Avec Laure de la Raudière, le député Lionel Tardy est aussi monté au créneau : « Je ne comprends pas que l’on taxe toujours davantage le numérique pour financer l’audiovisuel : en l’espèce ce sont toutes les vidéos, indistinctement, qui financeraient le cinéma français. Comme on l’a observé lors de l’examen du PLF initial, une telle mesure serait de surcroît une usine à gaz, que je me garderai bien de décrire dans le détail, à rapporter aux recettes espérées, à savoir 1 million d’euros ».
Le texte devra être adopté dans les mêmes termes par les sénateurs et espérer passer entre les fourches du Conseil constitutionnel.