Les membres du collectif Chère Copie Privée viennent de publier un long texte pour décrire et dénoncer les calculs de la copie privée en France.
L’UFC Que Choisir, les distributeurs (la fédération de la vente à distance) et les représentants des industriels (GITEP Tics, Secimavi, SFIB, SNSII, le Simavelec) viennent de donner la formule qui permet de changer le plomb (les supports vierges sous toutes leurs formes) en or (la rémunération pour copie privée ou RCP).
Rappelons l’alchimie de base : la RCP est une indemnisation qui vient compenser le préjudice dont souffrent les ayants droit. Ce préjudice est le revenu non gagné du fait de la possibilité pour le consommateur d’effectuer une copie légale. Pour calculer ce préjudice, c’est à la Commission copie privée de faire des études d’usage, histoire de jauger les pratiques de copie chez un panel de consommateur. Par manque de temps, elle n’a pas pu réaliser l’étude attendue en 2011. Les ayants droit, qui perçoivent ces sommes, ont donc à nouveau accepté de prendre en charge ces études d’usages. Envolées, les critiques d’Éric Besson qui voyait dans ce financement un vilain conflit d’intérêts.
C’est là où la plateforme Chère Copie Privée donne dix recettes magiques afin de maximiser le passage du plomb en or.
Inquisition, minoration
Les questionnaires sont parfois très longs. Celui qui porte uniquement sur les tablettes fait par exemple 104 questions. « Seuls les amoureux de leur disque dur externe ou de leur GPS audio peuvent consacrer autant de temps pour parler de leur vie avec leur support préféré. Bref, vous l’avez compris, la bidouille consiste à décourager la plupart des consommateurs pour ne garder que les geeks et les mélomanes. Ceux-là ont des habitudes de copie privée représentatives … C’est certain ! »
Ensuite, parmi les questions, l’enquêteur demande au consommateur « avez-vous téléchargé des contenus audiovisuels à partir de sites de téléchargements illégaux ? si oui combien ? ». Sachant que notre consommateur laisse son nom, il y a un risque important de biais : que le consommateur minore les copies illicites, ce qui augmentera mécaniquement le nombre de copies privées ouvrant droit à indemnisation. (voir à ce titre notre actualité Copie privée : le sondé sera invité à dévoiler les fichiers copiés)
De là, les ayants droit ont un stock de fichiers copiés pour chaque support. Il faut déterminer maintenant le nombre de copies licites. Dans une troisième bidouille, les ayants droit vont cependant tenir compte de duplications qui normalement ne sont pas autorisées comme « les copies de musiques faites à partir de DVD ». Autre chose, les études d’usages engloutissent dans leur jauge les copies réalisées pour « des proches ». Le point est discuté mais la justice a déjà considèré ces copies entre proches comme illicites.
La plateforme Chère copie privée note aussi que « les fichiers synchronisés après téléchargement à partir de sites légaux sont également considérés comme faisant partie de la copie privée. Pourtant, le consommateur a déjà payé pour pouvoir copier, sur les supports qu’il possède, les titres qu’il télécharge. Alors, pourquoi lui demander de re-payer les copies qu’il a déjà été autorisé à effectuer ? Un mystère de plus … et des copies privées en plus comptabilisées en contradiction avec le droit d’auteur. »
Toutes les copies n'ouvrent pas droit à rémunération faute de préjudice
Ce n’est pas tout. Une fois les copies illicites expurgées, les copies licites n’ouvrent pas toutes droit à indemnisation. Il y a des copies qui sont licites, mais qui n’engendrent aucun préjudice à indemniser, car elles ne se substituent pas à un ré-achat. Il y a la copie de sauvegarde : « sauvegarder votre répertoire audio, par exemple, nécessiterait d’acheter une deuxième fois chacune des chansons et musiques que vous avez déjà achetées. Illogique, vous pensez ? Sachez qu’il vous est compté aujourd’hui 5 centimes par fichier audio que vous sauvegardez ».
Ou encore la copie de bande-annonce de film. « Pensiez-vous que vous alliez priver les ayants droit d’un revenu lorsque vous avez copié une bande-annonce d’un film ? Non, bien entendu … Pourtant, les SPRD prétendent qu’elles sont fondées à demander une rémunération pour cela. Copier une bande-annonce, cela fait partie, pour elles, de la copie privée et cela doit donc être compensé à raison de 4 centimes par copie. » (voir notre actualité sur la question des bandes annonces et la copie privée)
L'étau des totaux de taux
Une fois l’assiette, il faut calculer le taux (voir sur la méthode, cette actualité). Pour cela les fichiers copiés vont être transformés en nombre d’heures à raison de 4 minutes pour une musique et 1h30 pour un film ou un concert. Les ayants droit multiplient ensuite cette durée par des tarifs horaires. Pour calculer le tarif d’un film par exemple, les ayants droit prennent « l’équivalent de 4 places de cinéma et le prix de vente d’un DVD ou Blu-Ray. »
Ensuite le montant est multiplié par quatre. Les études d’usages sont censées porter sur une période de 6 mois. « Pour cela, les instituts de sondage demandent aux consommateurs ce qu’ils ont copié au cours des 6 derniers mois. Les SPRD considèrent que, puisque la plupart des supports ont une durée d’usage de 2 ans environ, il suffit de multiplier le nombre de fichiers copiés au cours des 6 derniers mois par 4, pour en déduire le nombre de copies qui seront effectuées sur toute la durée d’utilisation d’un support donné. »
Problème : c’est justement lors de l’acquisition d’un bien que les pratiques de copie sont les plus importantes, du coup une multiplication va amplifier des pratiques qui ne se seraient pas produites les mois suivant, du moins pas aussi intensément (voir les critiques de la Fédération Française des Télécoms). Autre chose, pour mesurer le nombre de fichiers copiés sur deux mois, les instituts de sondage ne vont pas déterminer l’ancienneté des fichiers déjà présents sur le support. Or, peut-être ont-ils déjà fait l’objet d’une rémunération pour copie privée à partir d’un premier support. « Il ne faut donc pas les compter dans l’assiette des copies réalisées pendant la durée d’usage du support et surtout pas multiplier leur nombre par un facteur 4 ! »
La plateforme Chère copie privée donne un exemple concret en guise d’illustration. « Imaginons que vous ayez acheté une tablette multimédia. L’institut de sondage vous contacte et vous pose la question suivante : « Qu’avez-vous copié, enregistré ou téléchargé au cours des 6 derniers mois ? ». Vous hésitez, vous ne savez pas quoi répondre. L’enquêteur ajoute aussitôt (c’est écrit dans son script) : « c’est très simple, il suffit de regarder ce qu’indique l’outil statistique de votre tablette ». Ouf, vous êtes sauvé ! … Bon élève, vous regardez ce que dit l’outil statistique et vous répondez « 150 chansons ». La méthode de calcul actuelle conclut que vous aurez copié 600 chansons au bout de 2 ans. Pourtant, sur vos 150 chansons, il y a peut-être 130 chansons que vous garderez toute votre vie et dont vous avez déjà rémunéré plusieurs fois les copies, et 20 chansons téléchargées au cours des 6 derniers mois. » Seules 80 chansons (20x4) auraient dû être comptabilisées non 600 (150x4).
Des abattements magiques
Ce n’est pas fini. Dans l’arrière-cuisine de la Commission copie privée ont établi assiette et taux à partir de la capacité moyenne d’un support imaginaire. Il faut ensuite moduler selon les supports et les tailles effectives. Pour cela, les sociétés de gestion collectives « considèrent, en première approximation, que le nombre de fichiers copiés est proportionnel à la taille de la mémoire du support » note Chère Copie Privée. Ainsi le propriétaire d’un téléphone de 32 Go copierait deux fois plus que celui qui possède un modèle 16 Go. Heureusement, les SPRD appliquent un abattement pour grande capacité, sorti d’un chapeau, afin de lisser les montants.
Avant-dernière étape, « il faut bien tenir compte de l’acceptation sociale des tarifs. Sous l’effet des bidouilles évoquées précédemment, les calculs pouvaient aboutir, autrefois, à une rémunération pour copie privée de quelques centaines d’euros … Ce n’était pas raisonnable. Dans ces cas-là, les SPRD consentent à des « abattements » complémentaires qu’elles présentent comme des « cadeaux » accordés, à leur corps défendant, aux consommateurs ». Un cadeau parfois luxueux puisque sur les DVD vierges, la RCP représente plus de 70% du prix hors TVA, « ce qui a eu pour conséquence de dynamiser le marché d’importation et évaporer une grande partie de l’argent qui aurait dû revenir aux ayants droit ».
Dernier point, des supports ont été frappés de RCP sans aucune étude d’usage. Ils ont été assujettis par des barèmes provisoires calculés par analogie (il y a eu l'exemple de l'iPhone, mais le dernier en date est celui des tablettes tactiles). « En fin de compte, concluent les auteurs de ce post, la rémunération pour copie privée, en France, est 3 ou parfois 4 fois plus élevée que dans nos pays voisins. Maintenant, vous savez pourquoi …»
(Nous avons tenté de joindre un représentant de Copie France, le collecteur de RCP. En vain.)