L’Assemblée nationale a adopté, jeudi 1er décembre, la proposition de loi socialiste instituant un délit d’entrave « numérique » à l’IVG. Le texte, qui est l’objet de vives critiques de l’opposition (mais aussi de La Quadrature du Net), part désormais au Sénat.
« Non, notre proposition de loi ne revient pas sur la liberté d’expression, ni sur Internet, ni ailleurs », a martelé dans l’hémicycle la rapporteur, Catherine Coutelle (PS). Les Républicains avaient sorti l’artillerie lourde hier, puisqu’ils ont tenté de faire adopter une motion de rejet. En vain.
« Comme son titre l’indique, ce texte – que j’invite chacun à relire – étend le délit d’entrave, a expliqué Catherine Coutelle. Ce délit devra toujours être prononcé par un juge, lorsqu’une personne ou une association estime avoir subi une entrave. Cette proposition de loi ne change pas la définition de l’entrave à l’IVG, elle la complète en visant les moyens utilisés sur Internet. »
Suite à l’adoption de deux amendements, il est désormais prévu de punir de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende « le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une interruption de grossesse » par « tout moyen », « y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse » :
- Soit en perturbant l’accès aux établissements médicaux,
- Soit « en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s'informer sur une interruption volontaire de grossesse ou de l'entourage de ces dernières ».
Pour justifier cette réforme, la majorité fait valoir que certains sites Web, généralement bien référencés dans les moteurs de recherche, induisent délibérément en erreur ou intimident les femmes dans l’objectif de les dissuader de recourir à une IVG. « Par ces pratiques, ils entravent aussi l’action des pouvoirs publics qui tentent de prodiguer une information claire et accessible quant aux conditions d’accès à l’IVG. Ils limitent ainsi l’accès de toutes les femmes au droit fondamental à l’avortement. »
L'opposition dénonce les risques d'atteintes à la liberté d'expression
Sur les bancs de l’opposition, Christian Kert (LR) a longuement contesté le bien-fondé de cette réforme au nom de son groupe : « L’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître qu’il existe une grande différence de nature entre le fait « d’entraver » les femmes qui ont choisi d’avoir recours à l’IVG, comme le faisaient, par exemple, ces commandos (...) qui s’enchaînaient aux grilles des hôpitaux, et le fait de mettre à disposition sur Internet une information différente des sites officiels pour ceux et celles qui cherchent à s’informer ».
« Imaginons le même genre de texte visant à limiter les opinions sur d’autres sujets comme le réchauffement climatique, les perturbateurs endocriniens ou l’écriture de l’histoire par exemple, a-t-il poursuivi. Tout le monde, vous les premières, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, crierait à la censure ! »
« En réservant à l’IVG un traitement aussi spécifique, une telle mesure dépasse le contrôle que l’État peut exercer sur la liberté d’expression » a prévenu Christian Kert. Avant d'ajouter : « Vous commencez aujourd’hui par l’IVG. Vous, ou d’autres d’ailleurs, pourraient s’engouffrer dans la brèche, que vous auriez ainsi ouverte, pour s’attaquer à d’autres sujets. »
La Quadrature du Net monte au créneau
Fait assez rare, La Quadrature du Net a publié hier un communiqué au travers duquel l’association de défense des libertés défend la même position que la droite.
Tout en reconnaissant l’« intention louable (faire respecter le droit à l'IVG et l'information qui y est liée) » de cette proposition de loi, l’organisation dit ne pouvoir que « marquer son opposition à l'argumentation juridique employée qui porte atteinte à d'autres droits fondamentaux que sont la liberté d'expression et d'opinion ». À ses yeux, ce nouveau délit est « porteur dans son fondement de problèmes juridiques et d'atteinte aux droits très lourds, d'autant qu'il existe un arsenal législatif (abus de position de faiblesse ou de situation d'ignorance, article 223-15-2 du Code pénal...) largement suffisant mais malheureusement sous-utilisé ».
Risque de rejet au Sénat
Adopté par l’Assemblée nationale, le texte a été transmis au Sénat, où il pourrait être examiné dès le 7 décembre en séance publique.
Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, a toutefois clairement laissé entendre que la majorité de droite pourrait ne pas voter cette proposition de loi : « Vraisemblablement, nous la rejetterons au nom de la liberté d’expression, et je crois qu’elle est contraire à l’esprit de la loi Veil qui prévoyait une information, y compris sur les alternatives, donc pour moi c’est un très mauvais texte » a-t-il expliqué sur Public Sénat. « Parce qu’il y a des sites qui sont excessifs, outranciers ou mal informés, est ce qu’à ce prétexte-là on doit tout interdire lorsqu’on n’a pas la même pensée sur tel ou tel sujet ? Bien sûr que non » a ajouté le sénateur, proche de François Fillon.
Engagé dans le cadre d’une procédure accélérée, le texte devrait pouvoir malgré tout être définitivement adopté avant la fin de la mandature (le gouvernement pouvant donner le dernier mot à l’Assemblée nationale). « Si ce texte devait finir son parcours parlementaire, nous présenterions un recours devant le Conseil constitutionnel » a néanmoins mis en garde Christian Kert hier.