Consulter les internautes est une chose, en lire les commentaires en est une autre. Après avoir lancé un premier outil de crowdsourcing destiné à épauler les députés, l’association Regards Citoyens vient de publier une analyse de cette expérience.
Du 4 au 17 octobre dernier, l’Assemblée nationale a demandé aux internautes de répondre à un questionnaire destiné à évaluer l’impact de la loi sur l’égalité femme-homme de 2014. En tant que membre du comité de suivi de cette initiative, l’association Regards Citoyens a proposé, en coopération avec Democracy OS France et FaisTaLoi, un outil permettant d’effectuer un premier tri des contributions laissées dans le cadre de cette consultation en ligne.
Concrètement, chaque volontaire était invité à cocher des cases indiquant si la contribution qui lui était soumise relevait de l’évocation d’une expérience personnelle, d’une proposition de nouvelle mesure, d’une demande d’information, s’il avait déjà entendu préalablement de tels propos, etc. « Si vous étiez député, que feriez-vous de cette contribution ? » était-il également demandé à l’internaute : « Rien », « Je cite les propos dans mon rapport », « Je convie l'auteur à une réunion avec mes collègues députés de la mission d'évaluation », etc.
Un exercice d’une « extrême difficulté »
Vendredi 25 novembre, Regards Citoyens a fait le bilan (PDF) de ces douze jours de « crowdsourcing ». Au total, 434 internautes ont participé à cette opération, analysant au moins une contribution chacun. Plus de 3 700 avis furent ainsi examinés. « Cet exercice a démontré l’extrême difficulté d’extraire des éléments objectifs, à partir des points de vue recueillis » annonce cependant l’association.
Il faut en effet rappeler qu’avant d’être validée, chaque évaluation devait être perçue de la même manière par au moins trois internautes. Résultat, cette règle n’a « permis de valider que 40 % des analyses », explique Regards Citoyens. « On constate qu’il est difficile d’obtenir des rapporteurs citoyens une codification uniforme des contenus présents dans les contributions : sur 742 contributions substantielles, seulement 109, soit 14,7 % ont eu une codification uniforme d’au moins un de leur contenu par tous les rapporteurs citoyens les ayant analysées. »
80 « contributions d’intérêt » (sur 900) ont néanmoins pu être identifiées grâce à cette méthodologie.
Des contributions rarement intéressantes
Autre enseignement : « Alors que des thématiques de cette consultation auraient pu paraitre très clivantes, les avis recueillis sont assez homogènes : la majorité des dispositions de la loi Égalité Femmes/Hommes sont jugées améliorables ou peu satisfaisantes. »
Dans le même ordre d’idée, Regards Citoyens rapporte qu’un peu moins de 10 % des contributions ont été jugées « originales » par une majorité d’analystes. « Cette perception des rapporteurs citoyens vient corroborer la perception que de nombreux décideurs publics ont des contributions citoyennes en général : des contributions apportant finalement peu d’éléments nouveaux au débat et des dispositifs participatifs globalement très coûteux en temps d’analyse pour des bénéfices limités », écrit l’association.
Regards Citoyens favorable aux consultations citoyennes, sous conditions
Les membres de Regards Citoyens en demeurent quoi qu’il en soit convaincus : les consultations citoyennes « peuvent améliorer grandement la qualité et la légitimité de la loi ».
Ils déplorent cependant qu’aujourd’hui, « la majeure partie des consultations citoyennes (...) ne sont pas conçues comme des outils d’enquête, d’intelligence et de délibération collectives mais instrumentalisées, dans une logique de démocratie d’opinion, soit comme outils de communication visant à légitimer « par la base » des décisions publiques déjà actées, soit comme outils d’influence et de lobbying visant à faire passer la volonté particulière de certains acteurs pour la « volonté générale » des citoyens ».
À leurs yeux, les consultations sont des « dispositifs facilement manipulables, encore plus que les sondages. Que ce soit dans la manière de poser les questions, d’exposer les faits ou de présenter des informations aux contributeurs, la manière de sélectionner les participants invités à contribuer ou la manière de synthétiser et sélectionner les contributions, il est possible de leur faire dire ce que l’on veut. »
C’est pourquoi Regards Citoyens juge « nécessaire, pour toute consultation citoyenne, de prévoir des garde-fous démocratiques ». L’association pense plus particulièrement à « deux prérequis importants ». Premièrement, elle prône « la transparence des plateformes numériques de gestion de consultation ainsi que de l’information qu’elles produisent ». Cela devrait notamment passer par la mise en Open Data des contributions déposées. Deuxièmement, le collectif en appelle à « la mise en place systématique de comités de suivi et de contrôle incluant des membres de la société civile ».

L’analyse produite par l’association est loin d'être anodine. Elle intervient alors que les députés Patrice Martin-Lalande (LR) et Luc Belot (PS) tentent de mettre à l’ordre du jour du Parlement leur proposition de loi organique, visant justement à généraliser les consultations en ligne de citoyens. Leur texte est actuellement soumis à consultation publique sur la plateforme Parlement & Citoyens et pourrait être débattu à l’Assemblée nationale début 2017 (voir notre article).