Les amendements obligeant les plateformes collaboratives (Airbnb, Uber, Blablacar...) à déclarer automatiquement au fisc les revenus générés par leurs utilisateurs n’ont finalement pas été adoptés par l’Assemblée nationale, vendredi 18 novembre. Leurs auteurs ont suivi l'avis du gouvernement en les retirant.
« L’activité des plateformes en ligne procurant des revenus à certains particuliers, il est normal que ces revenus soient portés à la connaissance de l’administration fiscale pour entrer dans l’assiette d’imposition », a martelé le député Pascal Cherki (PS) dans l’hémicycle.
Sa proposition ? Contraindre chaque site de mise en relation (pour le partage de voitures ou d’appartements par exemple) à transmettre chaque année à Bercy une déclaration, dans laquelle figurerait notamment le « montant total des revenus bruts » perçus par chaque utilisateur au titre des activités menées via sa plateforme, « ou versés par l’intermédiaire de celle-ci ».
Cela « permettrait à l’administration fiscale d’alimenter la déclaration pré-remplie des contribuables, et de calculer l’impôt dû en fonction des règles applicables à chaque catégorie de revenu », expliquait Pascal Cherki, qui était notamment rejoint par son collègue Yann Galut.
Problème d’identification des utilisateurs
Fait plutôt surprenant, leurs deux amendements (quasi-identiques) bénéficiaient d’un avis favorable de la commission, « dans le dessein de provoquer une discussion avec le gouvernement sur le sujet », a expliqué en séance la rapporteur Valérie Rabault.
« Ces amendements posent une question d’ordre technique qui a son importance, puisqu’elle concerne l’identification des utilisateurs de ces plateformes » a notamment observé la députée PS. Et pour cause, les sites tels que Blablarcar ou Leboncoin ne sont pas tenus de vérifier l’identité de ceux qui s’y inscrivent, d’où le problème : comment indiquer ensuite au fisc qui a gagné quoi ?
« Ensuite, ces amendements soulèvent une interrogation par rapport au principe d’égalité, a poursuivi Valérie Rabault, compte tenu de la différence de traitement qu’ils établissent entre les plateformes numériques et les intermédiaires physiques. »
Une réforme déjà en cours
Sur le banc du gouvernement, Christian Eckert a rappelé l’opposition du gouvernement à ce dispositif, voté en avril dernier par le Sénat lors de l’examen de la loi Numérique (puis retiré en commission mixte paritaire). Le secrétaire d’État au Budget a notamment expliqué que les plateformes seraient bientôt tenues d’envoyer à leurs utilisateurs un récapitulatif des sommes engrangées par leurs biais – l’idée étant de pousser les internautes à déclarer les revenus correspondants.
Dès le 1er janvier 2017, les Airbnb, Ebay... devraient délivrer cette information à leurs utilisateurs, ainsi qu’un document explicatif concernant la fiscalisation des sommes en jeu. Le locataire de Bercy a cependant reconnu être « en défaut » sur ce point :
« Nous devions transmettre aux plateformes les conditions du traitement fiscal et social des revenus avant le 1er juillet, mais nous avons pris du retard car certains points méritaient d’être clarifiés, y compris de façon législative. Il convenait de préciser, par exemple, les conditions du partage de frais ou le niveau à partir duquel une activité est considérée comme professionnelle. Nous le ferons dès que nos travaux seront achevés. Cependant, les modèles de communication sont déjà prêts : ils ont été retenus à ma demande, dans la mesure où des évolutions étaient encore possibles en fonction des travaux en cours. »
Bref, Christian Eckert a appelé les députés à « finaliser » ce qui était engagé, plutôt que de vouloir aller trop vite.
Bercy exploite son droit de communication
Le secrétaire d’État a au passage insisté sur le fait que l’administration fiscale dispose déjà d’un droit de communication, qui lui permet d’aller réclamer des informations aux plateformes. « Du 1er septembre 2015 au 1er septembre 2016, la direction nationale des enquêtes fiscales – la DNEF – a engagé 105 fois ce droit de communication non nominatif dans le domaine de l’économie numérique, en demandant à telle ou telle plateforme de lui transmettre des caractéristiques d’ordre général, par exemple, la liste des personnes dont les transactions sur ces plateformes ont été supérieures à 5 000 euros durant deux mois dans telle ou telle région, a expliqué le locataire de Bercy. Ces demandes ont reçu la plupart du temps une réponse, quelques problèmes, très minoritaires, ayant été rencontrés dans des cas de localisation à l’étranger. »
Ont ainsi été sollicitées : « 40 entreprises intervenant dans la gestion de locations meublées louées, ainsi que 26 entreprises gérant des plateformes électroniques permettant la mise en relation avec des taxis et véhicules de transport avec chauffeur », « 20 entreprises proposant des places de marché en ligne dites « marketplaces », 10 entreprises réalisant des prestations de transport de marchandises et de logistique pour le compte de fournisseurs opérant sur des places de marché, 7 entreprises offrant des services de paiement ou de transfert de fonds en ligne, et 2 entreprises collectant les revenus de la publicité en ligne pour les reverser à des personnes réalisant et publiant des contenus vidéo sur Internet ».
Face à cet argumentaire, Pascal Cherki et Yann Galut ont retiré leurs amendements. « Cette discussion reviendra » a néanmoins prévenu le premier. « L’an prochain, cet amendement sera redéposé – par moi-même, je l’espère, ou par d’autres. »
On signalera à ce sujet que la réforme portée par l'intéressé figure au programme de François Fillon, qui paraît désormais bien placé pour remporter la primaire de la droite et du centre.