Ébullition chez les ayants droit. Demain, les Commissaires européens vont se réunir pour déterminer les initiatives que pourrait prendre la Commission dans le monde du droit d’auteur. Les créateurs craignent du coup une remise en cause de leurs intérêts financiers et juridiques.
Dans un courrier, la SAA (Society of Audiovisual Authors) qui regroupe des ayants droit européens, dont en France la SCAM et la SACD, craint le pire : de sombres nuages pour leurs intérêts à l’initiative de commissaires européens peu à l’écoute. « Le pire est toujours à craindre quand on sait la porosité et la promiscuité qui existent entre des intérêts privés anti-droit d’auteurs très puissants et certains services et directions de la Commission. Car, ne nous y trompons pas, ces messages qui font du droit d’auteur un ennemi dans l’accès à la culture ne sont pas l’émanation de quelques personnalités marginalisées au sein de l’Europe ».
Les lobbys des industriels, des consommateurs vs les amis de la Culture
La SAA qui s’abrite derrière « le droit des auteurs de vivre de leur art et d’en percevoir de justes rémunérations » devine le pire dans l’ombre bruxelloise : d’un côté, « les lobbys des grandes entreprises du Net qui entendent s’exonérer autant de leurs engagements fiscaux à l’égard des États que de leurs obligations à l’égard de la création et de la diversité culturelle ». De l’autre, « certains lobbys des consommateurs qui considèrent comme horizon indépassable la satisfaction immédiate et illimitée de leurs mandants, quelles qu’en soient les incidences négatives et néfastes pour les industries culturelles, pour les emplois dans la culture et pour le financement de la création à venir ». Mais les sources venimeuses ne s’arrêtent pas là, puisque cette association européenne pointe son doigt accusateur sur les « directions d’administration européenne et même des commissaires qui enferment le droit d’auteur et la diversité culturelle dans de vieilles frontières qui les séparent irrémédiablement du monde numérique ».
IPRED en coulisse
Il faut dire qu'après la gifle monumentale d’ACTA à Strasbourg, tous les commissaires européens ne sont pas spécialement chaud pour lancer par exemple la révision de la directive IPRED. De nombreux ayants droit militent pour l'accélération de ce chantier. Ils souhaitent ainsi accentuer la responsabilité des intermédiaires techniques face aux contenus transitant dans les tuyaux, histoire de muscler les germes d'Hadopi qui poussent ici et là.
Pour appuyer leur revendication, la SAA lance donc une pétition contre les « lobbys-ennemis-de-la-culture ». 12 000 personnes l’ont déjà signé pour impressionner Bruxelles. Quelques grands noms sont mis en avant comme Costa-Gavras, les frères Dardenne, Michel Hazanavicius, Ken Loach, Volker Schlöndorff, Ettore Scola, Bertrand Tavernier, ou Wim Wenders. « Il est des grands principes qu’aucune tablette, qu’aucun smartphone, qu’aucun nouveau service ne doivent remettre en cause. Le respect du droit d’auteur en est un » tambourine-t-elle avant de se plaindre de ce que « chaque jour, en Europe, dans cette Europe où il puise pourtant ses racines, son influence est contestée, son périmètre attaqué, sa gestion collective critiquée. Chaque jour, de nouvelles exceptions, qui sont en fait des expropriations, sont proposées ; chaque jour, les dispositifs qui permettent de financer la création sont remis en cause au nom de la libre concurrence ; chaque jour, la rémunération pour copie privée se trouve dénigrée. Bref l’ensemble des sources de revenus destinées aux créateurs est ciblé et menacé. »
La rémunération pour copie privée dénigrée par qui ?
On appréciera la notion de dénigrement accolée à la copie privée quand en France les bénéficiaires de cette ponction ont volontairement assujetti les sources illicites, se chauffant les doigts avec l’infraction de recel (prélever un revenu sur une source qu’on sait illicite). Ils ont tout autant soumis à la contribution, les supports professionnels en violation directe avec la directive sur le droit d’auteur de 2001. Il aura fallu un arrêt de la CJUE (Padawan), puis du Conseil d’État pour que la déconnexion entre sources professionnelles et rémunération copie privée devienne limpide dans leur esprit. Et encore, la loi du 20 décembre 2011, dont les fondements ont été rédigés par les ayants droit au sein de la commission copie privée, fait toujours payer les professionnels. Les hôpitaux par exemple contribuent toujours à leur rémunération grâce aux DVD vierges et disques durs externes qui servent de supports aux radiologies ou aux IRM. Simplement, depuis cette loi, les professionnels sont désormais en droit de réclamer un remboursement de ce qu’ils n’avaient pas à payer. Sauf que le formalisme, couplé à un bug de TVA jamais résolu, bloquent dans le coffre des ayants droit toutes les sommes réclamées (voir notre synthèse).
De fait, plutôt que d’accuser « les-lobbys-ennemis-de-la-Culture », ceux qui ont suivi ce dossier pourront tout autant affirmer que les ayants droit se sont volontairement placés dans un bourbier juridique : en voulant maximiser leurs flux financiers, ils se sont opposés certes aux distributeurs, aux fabricants, aux importateurs et aux consommateurs, mais avant tout aux règles inscrites dans une directive de 2001 déjà toute taillée pour protéger leurs intérêts.