Après avoir analysé les questions relatives au droit d'auteur, au travail et à la fiscalité, nous avons décidé de regarder de plus près ce que proposaient les candidats de la primaire de la droite et du centre concernant l'éducation à l'heure du numérique, la modernisation des services publics ou la démocratie participative.
Le premier tour des primaires de la droite et du centre se tiendra ce dimanche (voir comment voter). Et quel que soit votre bord politique, il s'agit d'un évènement qui va influencer le résultat de la prochaine élection présidentielle, puis des législatives.
Nous avons donc décidé de nous attarder en détail sur les propositions de l'ensemble des candidats concernant le numérique, comme nous le ferons pour d'autres dans les semaines et mois à venir.
Notre dossier sur les propositions des candidats à la primaire de la droite et du centre :
Éducation
Assez curieusement, aucun candidat n’évoque le plan pour le numérique à l’école, destiné à ce que chaque élève de 5ème dispose d’une tablette à compter de la rentrée 2018. « Il ne sera pas soumis aux aléas de telle ou telle alternance politique » nous avait d’ailleurs assuré la ministre Najat Vallaud–Belkacem le mois dernier (voir notre interview).
Seul François Fillon touche – d’assez loin – ce sujet du doigt, dans la mesure où il souhaite « fixer un objectif de 80 % de la dépense en numérique éducatif décidée et gérée localement par [chaque] établissement ». Selon l’ancien Premier ministre, il serait d’autre part souhaitable qu’au cours du prochain quinquennat, « au moins 25 % des manuels scolaires passent au format digital. La réduction du budget des manuels scolaires papier (350 millions d’annuels) permettrait de lancer un programme d’achat de contenus pédagogiques numériques », indique–t–il.

Quant à l’organisation des cours, le député de Paris ne propose rien de véritablement révolutionnaire par rapport à ce qui existe aujourd’hui :
« Créer et utiliser effectivement les technologies numériques pour entraîner les élèves à organiser leur emploi du temps personnel, à approfondir leurs connaissances, à correspondre avec leurs professeurs, à préparer certains cours, à pratiquer plus intensément les langues étrangères notamment par des échanges directs avec des classes d’autres pays, à découvrir des œuvres d’art (ce qui contribuerait à renouveler l’éducation artistique et culturelle, par exemple en apprenant aux élèves à regarder un tableau représentant une scène historique) et à connaître des métiers. Le cours se tiendra d’une autre manière lorsque des ressources numériques pourront être mises à disposition des élèves à la maison et en classe. À cet effet, des spécialistes de l’utilisation pédagogique des outils numériques seront appelés à travailler par vacation dans les établissements pour aider les professeurs à enseigner avec le numérique. »
De son côté, Alain Juppé se dit surtout favorable à l’éveil des élèves au code informatique dès le primaire (comme le prévoient les programmes entrés en vigueur à la rentrée 2016). « Les enfants doivent être sensibilisés aux logiques de la programmation. Non pas pour en faire des programmeurs à l’école primaire, mais parce que l’apprentissage précoce de notions de programmation peut avoir des vertus similaires à l’apprentissage précoce d’une langue », explique–t–il.
Bruno Le Maire et François Fillon sont sur la même longueur d’onde, mais ce dernier se montre plus précis pour la suite des choses. Il souhaite notamment que l’on introduise « l’apprentissage de la programmation, du codage et de l’algorithmique sur le temps alloué à la technologie » – soit ce qui est aujourd’hui dans les programmes. Pour le lycée, l’ancien Premier ministre préconise un enseignement de « l’informatique à tous les élèves de toutes les filières du lycée, en commençant par généraliser rapidement l’option Informatique et Sciences du Numérique ». Dans l’enseignement supérieur, il s’agirait d’inscrire « dans le programme et les cours de la plupart des disciplines un module dédié aux techniques de cybersécurité et d’exploration de données (data mining) ».
Démocratie et institutions
Alors que les consultations en ligne de citoyens ont le vent en poupe, aucun des candidats ne propose leur généralisation (quand bien même NKM et Jean-François Copé ont co-signé la récente proposition de loi du député Patrice Martin–Lalande à ce sujet).
Seul Alain Juppé laisse entrevoir un développement de ces initiatives : « Il convient d'améliorer et de développer les consultations numériques citoyennes, expérimentées lors du projet de loi pour une République numérique, afin qu'elles deviennent plus répandues » indique le maire de Bordeaux, s’en trop s’avancer. L’élu précise simplement que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pourrait avoir pour mission « d'assurer la mise en place et le suivi » de ces initiatives.
De son côté, NKM promet de remplacer le CESE par une « Chambre numérique des citoyens », sorte de plateforme où les internautes pourraient déposer des propositions de loi. Sous réserve d’obtenir le soutien de 500 000 personnes, les textes seraient débattus par le Parlement (après avoir été examinés par une « équipe de juristes ») – ce qui ne présagerait en rien de leur adoption.

Bruno Le Maire est un peu sur la même longueur d’onde, sauf qu’il s’agirait, lui président, de permettre aux internautes de proposer de simples amendements :
« Les amendements seraient librement déposés par les citoyens, en 1ère lecture et avant l’examen en séance publique, sur une « plateforme en ligne » puis co–signés par d’autres citoyens. Les « amendements citoyens » pourraient ensuite être déposés par les parlementaires eux–mêmes ou discutés d’office s’ils recueillent au moins 500 000 cosignataires. (...) Il revient ensuite au Parlement de se prononcer sur l’adoption d’une telle modification législative. »
Alain Juppé propose enfin de créer des pétitions auxquelles devrait impérativement répondre le gouvernement (sur le modèle de ce qui prévaut aux États–Unis). Selon le favori des sondages, il conviendrait ainsi « de mettre en place une plateforme engageant le gouvernement à répondre officiellement et publiquement à toutes les pétitions portées par plus de 100 000 signataires en 30 jours, avec une clause de répartition territoriale des signataires pour assurer une bonne représentativité ».
Administration et services publics numériques
S’agissant de l’ouverture des données publiques (Open Data), les candidats restent plutôt discrets. Bruno Le Maire et François Fillon s’engagent à poursuivre le mouvement enclenché par la récente loi Numérique, sans toutefois être très concrets.
Voici ce qu’indique le contrat présidentiel du premier :
« Il convient de compléter le portail data.gouv.fr au regard de l’ensemble des données potentielles pouvant être fournies par l’administration : les ministères (par exemple, ceux chargés de la culture ou de la ville), les collectivités territoriales, les établissements publics et certaines entreprises publiques doivent développer la mise à disposition de leurs données. Le portail data.gouv.fr pourrait également être enrichi avec des données en temps réel utiles pour améliorer la qualité de service pour les usagers, sur le modèle de ce qui existe dans d’autres pays. Ainsi, à Londres ou à Moscou, la mise en place de capteurs sur la chaussée faisant remonter en temps réel des informations sur l’état du trafic et les places de parking disponibles a permis, grâce à une application, de faire diminuer la congestion. »
Le Premier ministre de Nicolas Sarkozy se montre encore plus flou, promettant de « faire évoluer le rôle de l’État face aux flux de données auxquels il a accès. Il s’agit aujourd’hui pour un État moderne de collecter l’information, de la traiter et enfin de la mettre à disposition de tous. »
Concernant les services publics numériques au sens large, les candidats qui s’avancent demeurent assez vagues. Bruno Le Maire souhaite poursuivre la stratégie dite de l’État plateforme, tandis que François Fillon plaide pour la création d’un poste de « Haut commissaire à la transformation numérique » (rattaché directement au Premier ministre). « Le service public doit s’engager dans la « co–construction » de ses services avec de nouveaux types de partenaires rapprochés tels que les associations d’usagers ou d’entreprises mais aussi les agents de l’État » indique le programme du député de Paris.
Alain Juppé propose quant à lui de nommer un « Chief Digital Officer », ainsi que des « tasks forces » au sein des administrations :
« Ces task forces digitales auront notamment pour mission de repenser les plateformes de services publics, encore parfois trop complexes. La fracture numérique est en effet aussi liée aux usages : pour que l'innovation soit réellement au service de chaque Française et de chaque Français, ces plateformes doivent pouvoir proposer une expérience utilisateur simple et intuitive. Une autre vocation de ces task forces sera de former l'administration publique aux nouvelles technologies et aux méthodes « agiles ». »
S’agissant de l’utilisation des logiciels libres au sein de l’administration, seul Bruno Le Maire s’avance – très timidement – sur ce dossier, affirmant : « Utilisons davantage les logiciels libres dans les administrations publiques, en particulier les collectivités. » On a toutefois du mal à voir quel serait la différence par rapport à ce que prévoit la récente loi Numérique (à savoir un vague encouragement).
Alors que le scandale du fichier TES n’avait pas encore éclaté, François Fillon proposait déjà d’instaurer une « carte nationale d’identité biométrique », vraisemblablement en application de la loi qu’il avait fait passer fin 2012 (sans que les décrets d’application n’aient depuis été publiés).
Sur ce dossier, Bruno Le Maire s’était également positionné, l’intéressé souhaitant instaurer une sorte de carte Vitale biométrique qui fusionnerait à terme avec la carte d’identité :
« Cette carte regroupera toutes les informations et les accès de chaque Français à son état civil et à ses prestations sociales. L’objectif : permettre au titulaire de percevoir ses prestations sociales de façon sécurisée et d’actualiser plus fréquemment sa situation. À titre d’illustration, cette carte permettrait de contrôler l’utilisation de l’Allocation de Rentrée Scolaire, en offrant aux bénéficiaires la possibilité d’acheter, sur Internet, des fournitures spécifiques et référencées sur une période donnée. Cette nouvelle carte remplacera progressivement la carte Vitale, la carte d’identité et contiendra l’accès et la mise à jour de l’ensemble des prestations sociales. »
Sur un terrain proche, le programme d’Alain Juppé prévoit le remplacement du Compte personnel d’activité (CPA), cet espace personnel en ligne censé prendre son envol début 2017, par un « compte social personnel unique » :
« Il faut constituer un système bien plus ambitieux que le compte personnel d'activité, en créant un « compte social personnel unique » rassemblant, pour chaque personne, l'actualité et l'historique de toutes les prestations, avec leur montant, ainsi que les droits à formation professionnelle et les services dont elle peut bénéficier pour l'aider à améliorer la gestion de son parcours professionnel. »
Dernier sujet en lien avec cette thématique : le vote électronique. François Fillon est le seul candidat à vouloir que les Français puissent voter par Internet « pour chaque consultation ». D’après lui, « il est paradoxal qu’en 2015, le vote se fasse encore par dépouillement manuel ». Contacté pour davantage de précision sur ce dossier, l’entourage du candidat n’a pas pu nous en apprendre davantage. « Ce sera une direction d'évolution mise en œuvre par le futur ministre de l'Intérieur », nous a–t–on simplement indiqué.
De leur côté, Alain Juppé et Bruno Le Maire proposent de généraliser le vote par Internet pour les seuls Français de l’étranger (cette possibilité ne leur ait actuellement offerte que pour certains scrutins, à l’exception notamment de l’élection présidentielle).