La CJUE ouvre le droit de prêt au livre numérique, sous conditions

Livre, virgule
Droit 5 min
La CJUE ouvre le droit de prêt au livre numérique, sous conditions
Crédits : Sergey Nivens/iStock/ThinkStock

Le livre électronique peut-il, comme un livre papier, faire l’objet d’un prêt en bibliothèque ? La justice européenne a répondu par l’affirmative, du moins sous certaines conditions.

La VOB représente, au Pays-Bas, les intérêts de l’ensemble des bibliothèques publiques. Elle a contesté, jusque devant la Cour de justice de l’Union européenne, l’interdiction pour ces institutions d’organiser un régime de prêt d’ebook différent des livres traditionnels.

Selon la directive portant sur le droit de prêt (2006/115), les États membres peuvent déroger au droit exclusif des auteurs afin de permettre le prêt public de leurs œuvres dans les bibliothèques. S’ils optent pour une telle exception, ce ne peut être qu’à la condition que les créateurs « obtiennent une rémunération au titre de ce prêt » (article 6).

Aux Pays-Bas, cette somme forfaitaire est versée à la Stichting, fondation chargée par le ministre de la Justice de la perception des rémunérations au titre du prêt. Les flux sont ensuite redistribués, via des sociétés de gestion collective, aux titulaires de droits. Et c’est la Stichting Onderhandelingen Leenvergoedingen (ou StOL) qui établit le montant de cette rémunération.

Le prêt du livre réservé au seul livre papier ? 

Voila pour la théorie... qui a été bousculée par le développement des livres numériques, ces ouvrages embryonnaires en 2006 pour ne pas dire inexistants. La question soulevée aux portes de la CJUE était donc simple : est-ce que le prêt d’ebook peut relever d’un tel régime, qui vient entailler le monopole des titulaires de droits ?

Selon la StOL, pas de doute, c’est non.  Elle a d’ailleurs été suivie par le gouvernement qui, dans le cadre d’un projet de loi, a programmé un régime à part, ne relevant donc pas de cette exception. Dans ce pays, le prêt d’ebook repose ainsi sur des accords de licence passés avec les titulaires de droits. Ce qui n’est évidemment pas la même chose qu’une vraie exception.

Pour justifier ce pont d’or aux licences, les partisans de ce régime soulignent que le prêt d’ebook est trop particulier. Et pour cause, il empile les copies, l’une sur le serveur de l'institution, l’autre sur l’appareil de l’utilisateur, après téléchargement.  Bref, on est loin du prêt classique. La VOB prône au contraire une assimilation puisque, dans le dossier néerlandais, la copie finale est « chronodatée » : un DRM la rend inutilisable après l’écoulement d’une période déterminée. De plus, aucun autre utilisateur ne peut télécharger cette reproduction sur les serveurs de la bibliothèque durant ce laps de temps.

L’ebook peut relever du droit de prêt

Dans son arrêt, la CJUE a d’abord considéré que dans le droit européen, la notion de prêt inclut aussi bien les objets tangibles que ceux intangibles. Rien, pas même les travaux préparatoires, ne permet d’exclure les copies numériques du champ de la directive de 2006.

Mais est-ce que l’ebook peut relever de l’article 6 de ce texte, celui qui consacre l’exception de droit de prêt ? C’est là encore une réponse positive : le prêt d’ebook dans une bibliothèque, tel que considéré, a « des caractéristiques comparables, en substance, à celles des prêts d’ouvrages imprimés ».

Et les juges d’expliquer pourquoi : « la limitation des possibilités simultanées de téléchargement à une seule copie implique que la capacité de prêt de la bibliothèque concernée ne dépasse pas celle qui serait la sienne en ce qui concerne un ouvrage imprimé » et « ce prêt n’est effectué que pour un temps limité ».

Seules concessions, la CJUE a considéré que le droit de l’Union ne s’opposait pas à ce que les États soumettent le droit de prêt des ebooks en bibliothèque « à la condition que la copie de livre sous forme numérique mise à disposition par la bibliothèque publique ait été mise en circulation par une première vente ou un premier autre transfert de propriété de cette copie dans l’Union par le titulaire du droit de distribution au public ou avec son consentement ». Selon les juges, cette condition est susceptible en effet de réduire « l’atteinte aux intérêts légitimes des auteurs ». 

Très logiquement, la justice européenne a aussi estimé que le prêt d’ebooks ne pouvait en aucun cas être une sorte de lessiveuse juridique : les copies prêtées dans les bibliothèques ne peuvent en aucun cas être des sources illicites puisque admettre le contraire reviendrait à « tolérer, voire à encourager, la circulation d’œuvres contrefaites ou piratées ». Cette solution a déjà été imposée dans le cadre de la copie privée.   

L’inquiétude des éditeurs européens

Dans un communiqué, la Fédération des éditeurs européens (FEE) fustige cette décision. Selon ce lobby, le droit européen impose « la nécessité de distinguer les biens et services physiques et numériques, et de les traiter différemment ». Pourquoi ? Car « le ”prêt” d’un livre numérique est très différent du prêt d’un livre imprimé, car en effet, le « prêt » numérique signifie une copie. Une copie numérique peut par exemple être « empruntée » par un nombre indéterminé d’utilisateurs, tandis qu’une copie physique peut seulement être empruntée et lue par une personne à la fois, et est sujette à détérioration après un certain nombre de prêts ».

Dans leur esprit, l’expérience d’emprunt d’un ebook « est bien plus proche de celle d’un achat d’un livre que dans le cas des livres imprimés ».  La FEE promet en conséquence de démultiplier d’efforts pour faire en sorte que les conditions posées par la CJUE « soient respectées », afin que « l’impact négatif de cette décision ne soit pas exacerbé, mettant en péril la capacité des éditeurs européens à continuer à publier des livres variés et de grande qualité ».

En particulier, « tous les efforts doivent être entrepris pour faire en sorte que les mesures techniques appropriées soient mises en place pour protéger les éditeurs contre le danger d’un marché érodé du livre numérique suite à des prêts numériques injustifiés ».

Demain, la CJUE rendra un autre arrêt important en cette matière. Il s’agira de savoir si la directive sur le droit d’auteur s’oppose, ou non, une réglementation nationale sur la reproduction numérique des livres indisponibles dans le commerce.

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