« Faux départ ! » s'écrie l'Autorité de la concurrence au sujet des prises de contrôle de SFR, puis de Virgin Mobile par Altice et SFR Group. Les deux entreprises ne contestent pas les faits et se sont vues infliger solidairement une amende record de 80 millions d'euros.
En 2014, le groupe Altice s'est lancé dans deux importants rachats : celui de SFR notifié à l'Autorité de la concurrence en juin 2014 et celui du groupe Omea Telecom, qui commercialisait les offres de Virgin Mobile, signalé en septembre de la même année. En 2015, l'Autorité de la concurrence s'interrogeait sur les conditions des prises de contrôle et perquisitionnait les locaux de SFR, à la recherche d'indices sur la mise en place de pratiques commerciales communes entre les entreprises, avant même que leurs rachats ne soient finalisés.
Le couperet est tombé
L'Autorité de la concurrence a rendu son verdict aujourd'hui même et a décidé de sanctionner solidairement Altice et SFR Group à hauteur de 80 millions d'euros pour « avoir réalisé de manière anticipée deux opérations notifiées en 2014 ». Il s'agit d'une amende record au niveau européen pour ce type de pratique anti-concurrentielle, la précédente marque ayant été établie par le fournisseur de gaz belge Electrabel en 2009, avec une sanction de 20 millions d'euros infligée par la Commission européenne.
Dans les faits, les deux entreprises s'en sortent relativement bien, puisque l'amende aurait pu être nettement plus douloureuse. Dans ce cas de figure, le plafond est fixé par la loi française à 5 % du chiffre d'affaire de l'entité concernée, soit ici un peu plus de 500 millions d'euros. Mais l'autorité explique que « le montant de la sanction tient compte du fait qu'[Altice et SFR Group] n’ont pas contesté la réalité des pratiques en cause ni leur qualification juridique ».
Altice et SFR, un mariage consommé trop tôt
L'autorité, qui n'a pas encore publié le détail de sa décision a déjà communiqué publiquement certains des faits reprochés à Altice. Dans le cas de son mariage avec SFR, finalisé en novembre 2014, plusieurs manquements ont été observés. Par exemple, les modalités de participation de SFR collectivités à un appel d'offre pour le développement d'un réseau d'initiative publique (RIP) en Seine-et-Marne ont été « soumises à l’accord du plus haut dirigeant du groupe Altice ».
Autre faux départ, en octobre 2014, la renégociation de l'accord de mutualisation des réseaux entre SFR et Bouygues Telecom « a également été validée au plus haut niveau » chez Altice. Patrick Drahi est également directement cité dans une autre entorse : le 4 juillet, SFR a suspendu une offre promotionnelle deux semaines après une intervention du président d'Altice à ce sujet, alors qu'elle devait durer jusqu'au 25 août.
L'autorité pointe également du doigt « le renforcement des liens économiques entre SFR et Numericable », notamment l'arrivée d'offres de la marque au carré rouge sur le réseau câblé de Numericable. Un changement considéré comme « important dans la stratégie très haut débit de SFR, qui était engagé jusqu’alors dans le développement de sa propre infrastructure ».
Selon elle, « plusieurs mois de préparation intensive » ont été nécessaires pour adapter box, portails, interfaces, et systèmes d'information entre les deux entreprises, sans parler du raccordement des boutiques SFR au réseau câble. Or les deux marques sont parvenues à lancer des offres câble chez SFR dès le 18 novembre 2014. Le gendarme de la concurrence avait donné son feu vert pour le rapprochement moins de trois semaines plus tôt.
Il est enfin question d'échanges impliquant « les plus hauts dirigeants des deux groupes » contenant des informations « revêtant un caractère confidentiel », sur les performances commerciales de SFR ainsi que ses prévisions pour les mois à venir, toujours avant le feu vert de l'autorité.
Altice a placé ses pions en avance chez Omea Telecom
Dans le cas d'Omea Telecom, l'Autorité de la concurrence a aussi noté des interventions précoces d'Altice dans la gestion opérationnelle de l'entreprise, ainsi que des échanges d'informations stratégiques. Il était notamment question de la mise en place « d'un mécanisme de remontée d’information hebdomadaire permettant [à Altice] de suivre étroitement les performances économiques d’Omea Telecom ».
Autre point gênant, le directeur général d'Omea Telecom a exercé de nouvelles fonctions au sein du groupe SFR-Numericable avant même que le rachat ne soit finalisé, lui permettant ainsi d'accéder à des informations que le gendarme qualifie de « commercialement sensibles ».
Altice et SFR courbent l'échine
Dans leurs communiqués respectifs (PDF), Altice et SFR accusent réception de la décision de l'Autorité de la concurrence mais assurent que « les pratiques dénoncées, visant à rendre opérationnelle la nouvelle entité le plus vite possible après la finalisation de la transaction, ont été effectuées en toute bonne foi, au milieu d'incertitudes juridiques ».
Les deux entreprises exposent également qu'elles ont choisi de ne pas contester les accusations du gendarme et d'accepter une résolution amiable, ce « afin de limiter l'exposition financière du groupe, étant donné le niveau des pénalités imposées pour ce type de violation des procédures dans le Code de Commerce ».