[Critique geek] Quand Oliver Stone cherche à nous conter Snowden, sous tous les angles

Sans trouver le bon ?
[Critique geek] Quand Oliver Stone cherche à nous conter Snowden, sous tous les angles
Crédits : Universum Film

Trois ans après les révélations d'Edward Snowden, et un peu plus d'un an après Citizenfour, Oliver Stone a décidé de nous raconter l'histoire de ce lanceur d'alerte qui a bouleversé le monde en révélant les secrets du renseignement américain.

Difficile, lorsqu'il s'agit de raconter Edward Snowden, de passer après le Citizenfour de Laura Poitras (voir notre critique). Pourtant, un peu plus d'un an après le documentaire, Oliver Stone livre à son tour un portrait de ce lanceur d'alerte, ancien contractuel de la NSA, qui révélait au monde en juin 2013 l'ampleur de la surveillance de masse mise en œuvre par son pays.

Une meta-œuvre de fiction qui se prend parfois pour un documentaire

Dès les premières minutes, nous sommes prévenus : il s'agit ici d'une œuvre de fiction basée sur des faits réels. Elle s'inspire notamment sur The Snowden Files : The Inside Story of the World’s Most Wanted Man, du journaliste Luke Harding et Time of the Octopus d'Anatoly Kucherena, avocat russe de Snowden. L'avantage principal est de nous permettre de découvrir le Snowden qui n'a pas été filmé, celui d'avant les révélations.

Il n'ira par contre guère plus loin chronologiquement et n'apportera pas grand-chose sur le fond, pour ceux qui ont déjà suivi l'affaire. Cette forme a aussi quelques désavantages, comme le fait de devoir condenser et romancer quelque peu les choses, afin de livrer des scènes choc tout en décortiquant l'évolution d'un homme, le temps d'un film. Celui-ci reste néanmoins assez long : 135 minutes.

Et à y regarder de plus près, cette œuvre est en réalité composée de plusieurs petits films qui ont un peu de mal à faire corps les uns par rapport aux autres, comme si Stone n'avait jamais réussi à se décider sur le ton qu'il voulait donner. Les dernières minutes sont d'ailleurs un marqueur assez net de cela.

Ainsi, l'on assiste tour à tour à l'analyse du destin de Snowden, de son engagement dans l'armée à son évolution dans le monde du renseignement, à son histoire personnelle avec Lindsay Mills, à une version revisitée du documentaire Citizenfour avec quelques scènes des coulisses en bonus... puis à un morceau de documentaire engagé sur la politique américaine en matière de surveillance et l'impact des révélations.

Autant dire que cela fait beaucoup.

Des déceptions et des choix

Mais la précision initiale cache surtout assez mal le fait qu'elle n'est qu'une déclaration d'intention : Oliver Stone est un réalisateur engagé. Ici, il veut expliquer sa vision du cheminement de Snowden, mais avant tout défendre sa cause et réhabiliter le lanceur d'alerte. Ce qui donne un résultat assez déséquilibré, qui ne sert pas forcément le propos.

L'objectif semble ainsi surtout de montrer au monde, et notamment aux américains qui seront sans doute un peu plus difficiles à convaincre, que l'on est bien face à un patriote. D'une personne normale, bien que très compétente dans son domaine, avec ses problèmes de couple, ses difficultés sociales et ses choix.

Ses choix suite à une incapacité de faire partie des forces spéciales, lorsqu'il est en désaccord avec ce que l'on lui demande de faire en mission, face à la maladie (il est épileptique). Mais lorsqu'il a décidé de tout révéler, il ne l'a fait que dans une volonté de faire ce qui est juste. Sa décision finale de divulguer des milliers de documents sur les programmes de surveillance n'est ainsi pas un coup de tête, mais bien le résultat d'une somme de déceptions, tant du fait des actions du temps de l'administration Bush que sous la présidence de Barack Obama.

Le choix d'un homme face à ceux d'un système qui avait dérivé sans réussir à se réformer de l'intérieur. D'un système dont les représentants avaient décidé de mentir au monde et au Congrès américain, plutôt que de revoir leurs pratiques. Le bien, contre le mal.

Snowden Film
Crédits : Universum Film

Un homme, une histoire, peu de machines et de code

Cette « humanisation » passe notamment par la mise en avant importante de sa relation avec Lindsay Mills, qui est au cœur du film, au risque de tomber parfois dans le voyeurisme facile. Si Stone ne nous parle pas de l'enfance de Snowden, le film débutant à l'époque de l'armée, il laisse une large place à sa relation amoureuse dont il fait l'un des éléments majeurs de l'évolution du personnage principal, notamment au niveau politique. Au passage, on s'étranglera devant la traduction française qui réduit l'opposition Républicain/Démocrate à « de droite » et « de gauche » ...

On note aussi que tout ce qui touche à la technologie est mis de côté, ou presque. Sans doute une manière de ne pas faire fuir un public profane en la matière, et de s'éviter les pièges habituels du genre. On retrouve certes quelques anecdotes comme « la cape », ou quelques clins d'œil pour geeks, mais l'on ne saura par exemple rien de la façon dont Snowden entre en contact avec Greenwald puis Poitras, à une capture d'une interface de Lavabit près.

De la récupération des fichiers sur une carte SD, on ne verra qu'une multitude de fenêtres de transfert Windows apparaître à l'écran (avec un débit de 1.5 Mo/s chacun). Bref, lorsque l'on voit Snowden faire face à la technologie, c'est pour nous expliquer combien il la maitrise, comme lorsqu'il réussit à terminer en 40 minutes un exercice habituellement traité en cinq heures lors de son passage à « La colline » (aussi connue sous le nom de « La ferme », ou Camp Peary).

Snowden Film
Crédits : Universum Film

Un traitement intéressant, mais qui parait incomplet

De tels poncifs ponctuent d'ailleurs certains passages. Ainsi, on n'aura pas échappé à un échange autour de la question du fameux argument « je n'ai rien à cacher », qui tourne malheureusement assez court. Si le film évoque à de rares moment que la problématique de la surveillance, si elle existe à un niveau étatique, est aussi relativement courante à un niveau plus personnel, elle s'évite plutôt une critique des GAFA, de leur participation à cette surveillance, ou même de celle qu'ils opèrent « par nature ». 

On note néanmoins la présence d'une case à cocher sur des conditions générales lors d'une explication visuelle, et pour le coup assez bien réalisée, de la surveillance généralisée. C'est d'ailleurs l'un des points intéressants du film, qui a réussi à rendre digeste nombre des éléments des révélations de Snowden.

On appréciera aussi de voir que les outils utilisés sont « d'époque », montrant une volonté de faire attention aux détails, de la composition d'une page Facebook il y a 10 ans à la taille d'un ordinateur à cette période. On s'amusera par contre de voir que le seul vrai placement de produit récurent n'est pas signé Apple, Dell ou encore Microsoft... mais de l'EFF, sous la forme d'un logo géant (accompagné d'un petit oignon Tor) sur l'ordinateur portable utilisé par Edward Snowden, qui est assez largement mis en avant.

Un bon casting qui fait face au problème du mimétisme

Avec son casting, Oliver Stone avait décidé de frapper fort. En plus du rôle titre, tous les second rôles sont tenus par des stars du grand écran. De quoi assurer une promotion importante, mais cela ne nous a pas toujours semblé être à l'avantage du film.

Le jeu des acteurs n'est pas tellement en cause (quoi que Zachary Quinto campe un Glenn Greenwald assez improbable), mais il est difficile de se projeter dans des scènes que nous avons tous vu de nombreuses fois, et qui sont ici tournées à l'identique, comme celles de l'interview de Snowden par Greenwald, MacAskill et Poitras. Chacun essaie en effet de tout reproduire au détail près, mais cela ne prend pas.

Mention spéciale tout de même pour Nicolas Cage, qui campe ici un Hank Forrester que chacun d'entre nous aurait aimé avoir comme prof d'informatique.

Snowden Film
Crédits : Universum Film

Un film à voir, malgré tout

Au final, bien qu'un peu fouilli, l'existence même de ce film est intéressante. Car bien plus que les milliers d'articles de plusieurs dizaines de milliers de signes sur les questions de surveillance publiés depuis 2013, ou le documentaire de Laura Poitras, une œuvre de fiction signée Oliver Stone a la capacité de toucher des milllions d'individus.

Certes il est relativement romancé, ridicule parfois, et manque de recul, mais il aura l'avantage de présenter l'histoire de cet homme qui a irrémédiablement changé nos vies, de manière assez complète. On apprécie qu'il arrive à expliquer concrètement et de manière assez visuelle les problématiques autour de la question de la surveillance de masse, et comment elle sert le plus souvent des intérêts économiques plus que de sécurité. Que ce soit à travers les missions de Snowden, ou la mise à l'écran de ses phases de paranoïa (notamment sur un plan personnel).

De quoi nous faire réflechir, au moins le temps que ce film soit sur le devant de la scène. Car de cette histoire, il reste à découvrir l'essentiel, puisqu'elle est encore à écrire. Après que sa « mise au monde » par les journalistes du Guardian et sa genèse aient été contées, il nous faudra apprendre et analyser a manière dont le pouvoir a exactement réagit suite à ces révélations, sans doute d'ici quelques années. Reste l'avenir de l'homme et ce qu'il l'attend si un jour il décide de revenir aux États-Unis. Mais à la vue de l'élection américaine, il n'est pas vraiment sûr que cela soit pour tout de suite...

Surveillance de masse : 3 ans après, quel bilan ?

On peut se demander si la déception de Snowden face à l'élection d'Obama ne trouve pas un écho plus proche de nous, notamment en France. Alors que le mandat de François Hollande s'achève, cela nous pousse aussi à nous interroger sur notre propre réaction face aux choix d'un pouvoir « de gauche », comme diraient les traducteurs de Snowden, sur les questions numériques, et notamment celles de la surveillance ou l'unification de fichiers centralisés tels que TES.

L'occcasion de nous demander si, finalement, trois ans après ses premières révélations, les choses ont réellement changé. Et s'il n'est pas temps pour chacun d'entre nous d'agir, à notre niveau et à notre manière.

À l'heure où nous écrivons ces lignes, Snowden a droit à une note de 4,2 chez Allociné6,8 chez Sens Critique et 7,4 chez IMDb. De son côté, Citizenfour est disponible en DVD.

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