La cour d’appel de Paris a condamné voilà quelques jours les prévenus du dossier eMule Paradise au paiement de plus lourds dommages et intérêts. Une affaire vieille de dix ans qui agace, c’est peu de le dire, Jean-Philippe Hugot, avocat du principal mis en cause.
« C’est un résultat très décevant » regrette le conseil de Vincent Valade. Saisie sur le seul chapitre de l’indemnisation, « la cour a multiplié le montant des dommages et intérêts décidé en première instance, tout en reconnaissant que les méthodes de calcul n’étaient pas satisfaisantes ».
Le principal prévenu devra ainsi indemniser à hauteur de 400 000 euros les parties civiles, soit essentiellement les ayants droit du cinéma. « C’est délirant ! » poursuit son avocat qui compare la somme au million infligé à Jérôme Kerviel face aux milliards d’euros en jeu. Là, la justice a certes tenu compte du rôle de la Société Générale « mais là aussi nous pouvons poser la question de l’inaction des parties civiles qui ont laissé faire durant tant d’années !»
L’affaire eMule Paradise, un des gros sites de téléchargement illégal à l’époque, remonte à 2005 et 2006, date à laquelle le site fut fermé sur intervention des autorités. En mai 2015, au pénal, Vincent Valade avait alors été condamné avec d’autres personnes à 14 mois de prison avec sursis et 40 000 euros de dommages et intérêts. Sa Porsche Cayenne fut notamment saisie dans la foulée.
Comment expliquer de tels dommages et intérêts ?
Sur la question des dommages et intérêts décidés en appel, rappelons que depuis la loi sur la contrefaçon du 11 mars 2014, la justice a l’obligation de prendre distinctement plusieurs critères pour déterminer la hauteur du préjudice.
Il s'agit des conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral des parties civiles, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées. Mieux, à titre alternatif, la juridiction peut, sur demande de la partie lésée, « allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire » qui doit être nécessairement supérieure « au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ». De plus, cette somme « n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».
En première instance, les parties civiles avaient ainsi réclamé près de 8 millions d’euros d’indemnités, calculés à partir d’une estimation du nombre de téléchargements illicites effectués grâce à ce site (6,1 millions de fichiers échangés entre 2005 et 2006).
Déjà un pourvoi en cassation
« À l’époque des faits se posaient surtout des questions juridiques légitimes sur l’existence ou non de la contrefaçons sur ce type de sites. La cour d’appel de Montpellier était même intervenue pour savoir si ces pratiques relevaient de la copie privée » oppose encore l’avocat. « C’est d’une sévérité totalement injustifiée d’autant que mon client a été déjà redressé par le fisc et s’est vu notamment saisir 100 000 euros ». Fait notable, une régie a été jugée complice des faits, soit l’une des premières décisions de ce type où est impliqué un acteur de la publicité en ligne. Nous y reviendrons une fois l’arrêt disponible (seul le délibéré l’est, pour l’instant).
L'affaire n'est d'ailleurs pas close puisque le cabinet Hugot a déposé vendredi dernier un pourvoi en cassation. Dans l’artillerie en préparation, la question de l’originalité des œuvres suscite de multiples critiques. Elle devrait être l’un des arguments soulevés à ce stade. En principe, seul le caractère original d’un contenu justifie sa protection sur l’autel du droit d’auteur. Inversement, une œuvre non originale est privée d’une telle armure. Seulement, une différence notable oppose les tribunaux. « Les juridictions civiles sont très pointilleuses mais au pénal, les vidéogrammes sont considérés comme des œuvres complexes où cette question ne se poserait pas. Ce n’est pas satisfaisant ».
Jean-Philippe Hugot rappelle qu’« aucune des personnes impliquées n’a été depuis reprise le doigt dans le pot de confiture. Il s’agit de primo délinquants. Et Vincent Valade n’avait que dix-huit ans au moment des faits. »