Le Conseil constitutionnel vient de censurer l’article du Code de la sécurité intérieure qui autorise la surveillance des communications hertziennes sans aucun encadrement. Une décision rendue suite à une question prioritaire posée par La Quadrature du Net, French Data Network, la Fédération des fournisseurs d'accès à Internet associatifs et igwan.net.
Cette scorie de la loi de 1991 sur le secret des correspondances autorisait les services du renseignement à faire l’économie de tout l’encadrement prévu par les autres textes. Une disposition très généreuse selon laquelle « les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre, ni à celles de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale ».
En clair, les services n’avaient pas à se soumettre à une autorisation préalable du Premier ministre ni à glaner l’avis de la Commission nationale du contrôle des techniques du renseignement. De même, il n’existait aucun droit au recours chez le citoyen qui s’estimerait illégalement espionné. Comme déjà expliqué dans nos colonnes, la disposition contestée est très vaste puisqu’elle permet aussi de contourner l’inévitable intervention du magistrat dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Surveillance des données individualisables. Quid de celles qui ne le sont pas ?
Pour le Conseil constitutionnel, la plume du législateur avait de quoi hérisser les textes fondamentaux et spécialement le droit au respect de la vie privée : « Dès lors qu'elles permettent aux pouvoirs publics de prendre des mesures de surveillance et de contrôle de toute transmission empruntant la voie hertzienne, sans exclure que puissent être interceptées des communications ou recueillies des données individualisables, les dispositions contestées portent atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances ».
Cette petite phrase peut inquiéter puisqu’elle laisse entendre a contrario que le CC aurait été beaucoup moins regardant face à un dispositif d’espionnage glanant des données non individualisables. Mais d’autres arguments limitent la portée d’une telle brèche.
Une finalité et une surveillance mal bornées
Le même Conseil a estimé certes conforme le fait que ces opérations soient fléchées sur la seules fins de défense des intérêts nationaux, soit un champ très vaste. Il a par contre censuré l’absence de verrous de cette finalité. En effet, ces termes « n'interdisent pas que ces mesures puissent être utilisées à des fins plus larges que la seule mise en œuvre de ces exigences ».
Enfin, « les dispositions contestées ne définissent pas la nature des mesures de surveillance et de contrôle que les pouvoirs publics sont autorisés à prendre. Elles ne soumettent le recours à ces mesures à aucune condition de fond ni de procédure et n'encadrent leur mise en œuvre d'aucune garantie ».
Bref, trois brèches béantes. cela fait un peu beaucoup. Du coup, « faute de garanties appropriées, les dispositions contestées portent une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances résultant de l'article 2 de la Déclaration de 1789 ». Conclusion, et sans que le juge ait examiné d’autres griefs qui pourront servir à nouveau ultérieurement, ce fameux article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure est « déclaré contraire à la Constitution ».
Une annulation reportée fin 2017, une réserve d’interprétation dans l’interlude
Suivant les sollicitations du gouvernement, les sages de la rue Montpensier ont accepté de déporter dans le temps les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité. Une latitude qui permettra au gouvernement et au législateur d’adopter de nouvelles dispositions. Pourquoi ? Car « l'abrogation immédiate de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure aurait pour effet de priver les pouvoirs publics de toute possibilité de surveillance des transmissions empruntant la voie hertzienne. Elle entraînerait des conséquences manifestement excessives ».
Selon lui, cela désarmerait donc les services de la possibilité de suivre ce qui se passe dans les airs. Or, cela n’est pas exact puisque la loi sur le renseignement et les codes de procédures autorisent un grand nombre d’opérations de surveillance de communications empruntant déjà la voie des airs. On comprend mal du coup le moteur de cette motivation.
Le report – généralement de six mois - a été fixé cette fois bien au-delà, au 31 décembre 2017, une année marquée évidemment par l’élection présidentielle. Durant l’interlude, tout ne sera pas permis puisque le CC utilise le levier de la réserve d’interprétation qui s’impose à tous, même aux pouvoirs publics.
Jusqu’à ce terme, dit-il, les dispositions dans le couloir de la mort « ne sauraient être interprétées comme pouvant servir de fondement à des mesures d'interception de correspondances, de recueil de données de connexion ou de captation de données informatiques soumises à l'autorisation prévue au titre II (surveillance interne, NDLR) ou au chapitre IV du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure (surveillance internationale, NDLR). Pendant le même délai, les dispositions de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure ne sauraient être mises en œuvre sans que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement soit régulièrement informée sur le champ et la nature des mesures prises en application de cet article ».
Une grille de lecture laisse entendre que le Conseil ignore la partie « judiciaire » de l’article contesté, mais fait intéressant, sur le renseignement administratif, il replace la CNCTR dans le spectre de l’hertzien. Les juges demandent à cette instance très sollicitée de jouer son rôle, d’être informée, bref de contrôler. De même, il précise que les techniques du renseignement prévues par le Code doivent primer sur cette disposition décapitée dans quelques mois.
Cette décision est éminemment importante puisqu’elle prépare le cadre de la future loi sur la surveillance des communications hertziennes qui devra être adoptée au plus tard avant la fin de l’année prochaine.
Cette censure tombe un peu mal pour Bernard Cazeneuve. La semaine dernière, lors de la conférence du Conseil national des barreaux où nous sommes intervenus, le ministre de l’Intérieur assurait devant les professionnels du droit que l’ensemble des textes sécuritaires récemment adoptés respectaient les dispositions fondamentales.