L’amendement des trois députés socialistes a été adopté en Commission des finances hier en fin de journée. Mieux : un sous-amendement présenté par les députés Rabault et Hammadi a acté une affectation des taxes sur la vidéo physique et en ligne à hauteur de 70 millions d’euros au profit du CNC. Au-delà de ce plafond, l’excédent sera reversé au budget général. Pour être définitive, cette ponction devra encore être sacralisée par les parlementaires en séance.
Ce sont nos confrères des Échos qui ont révélé les grandes lignes de cet amendement sur la rampe : une taxe « YouTube » déposée par des députés socialistes dans le cadre du projet de loi de finances. Nous diffusions une copie de cet amendement, mais également de sa version alternative affectée au CNC.
Ce texte rédigé en façade par Karine Berger, Bruno Le Roux et Pierre-Alain Muet vise à taxer la publicité des vidéos en ligne. Selon le résumé de nos confrères, il instaure une taxe à 2% de toutes les recettes publicitaires et de parrainage perçues par « tout opérateur (...) qui propose en France un service qui donne ou permet l’accès, à titre onéreux ou gratuit, à des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles ou autres contenus audiovisuels. »
Nous avons pu nous procurer ledit amendement, mais aussi sa version antérieure. Ce texte cosigné Karine Berger, celle qui remercie notamment Pascal Rogard dans son dernier livre, voulait initialement affecter la douloureuse au seul Centre national du cinéma. Seulement, les rigueurs des lois de finances et spécialement l’article 40 de la Constitution l’ont obligé à prévoir un plan B.
Version CNC
Que dit très exactement ce plan B, ou plutôt l’amendement N°I-CF425 ? En substance, il vise à injecter dans le Code général des impôts cette disposition :
Version de repli
Deux taxes pour le prix d’une
La « taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels » vient modifier un article particulier du CGI, celui instituant une taxe sur les ventes et locations en France de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public. L'amendement insère concrètement non une, mais deux nouvelles taxes.
L’une sur « la mise à disposition du public en France de services donnant accès à titre onéreux à des œuvres cinématographiques ou audiovisuelles, sur demande individuelle formulée par un procédé de communication électronique ». L’autre sur la « mise à disposition du public en France de services donnant ou permettant l’accès à titre gratuit à des contenus audiovisuels, sur demande individuelle formulée par un procédé de communication électronique ». En clair, l’une sur les sites gratuits comme YouTube ou Dailymotion, l’autre sur les services payants comme Netflix.
Pour éviter d’avaler trop de Web, les trois parlementaires excluent généreusement les sites où les contenus audiovisuels sont secondaires. Soulagement des sites de presse, de Facebook ou de Twitter. Même sort pour les sites « dont l’objet principal est de fournir des informations relatives aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles et à leur diffusion auprès du public, et d’en assurer la promotion, au moyen notamment d’extraits ou de bandes-annonces ». Cette fois c’est Allociné qui peut souffler.
Le texte est généreusement calibré pour frapper tout le monde, même les acteurs installés au-delà de nos frontières : ceux-là seront réputés avoir un contenu mis à disposition du public français dès lors qu’ils visent des personnes établies, ayant leur domicile ou leur résidence habituelle en France. Et les entreprises qui mettent ces contenus à disposition de ce public seront alors considérés comme « redevables ».
Une base imposable qui ne frappe pas seulement la publicité
La taxe aura pour base imposable ou bien le prix acquitté par l’acheteur, ou le cas échéant, les sommes versées par les annonceurs et les parrains « pour la diffusion de leurs messages publicitaires et de parrainage ». Ce n’est donc pas seulement une taxe sur la publicité, mais également sur les abonnements ou les contenus audiovisuels payants.
Bons princes, ces trois mousquetaires de l’exception culturelle prévoient un abattement forfaitaire de 4 % voire 66 % « pour les services donnant ou permettant l’accès à des contenus audiovisuels créés par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échanges au sein de communautés d’intérêts ». Et puisque ces contenus ne sont pas toujours monétisés, on appréciera la générosité toute relative de ce geste. Ajoutons que pour les seuls services gratuits comme Dailymotion, l’amendement prévoit aussi un abattement de 100 000 euros sur la base d’imposition.
Outre ces abattements, l’assiette ne sera pas absolue. Seront exclues par exemple les opérations publicitaires sur les services de télévision de rattrapage, du moins ceux déjà soumis « à la taxe prévue aux articles L. 115 6 à L. 115 13 du Code du cinéma et de l’image animée ». De même, pour éviter un effet sandwich, il n’y aura pas de ponction sur les taxes équivalentes déjà versées dans un autre État membre.
2% voire 10 % de taxe, le fisc informé chaque année
Le taux, disions-nous, est de 2 % en principe. Mais il sera même de 10 % pour les opérations qui « concernent des œuvres ou documents cinématographiques ou audiovisuels à caractère pornographique ou d’incitation à la violence ». C’est un décret qui viendrait définir la douloureuse classification que devront effectuer les redevables. Autant dire qu’une chaste définition accentuera mécaniquement la surface du taux fort.
Pour les resquilleurs, il est proposé notamment une amende de 10 % des sommes non déclarées. Et pour soigner le tout, les régisseurs de messages publicitaires et de parrainages devront fournir chaque année à chaque redevable, mais aussi à l’administration fiscale, « un état récapitulatif des sommes qu’ils ont encaissées au cours de l’année civile précédente ». Ainsi informé, Bercy n’aura plus qu’à claquer des doigts pour faire tomber les billets.
S’il est finalement voté, cet amendement est programmé pour entrer en application au plus tard six mois après la date de réception par le gouvernement de la réponse de la Commission européenne. L’institution bruxelloise devra en effet nécessairement être notifiée de cette règle franco-française qui vient culturellement réguler la société de l’information.
Très certainement, le sujet sera abordé la semaine prochaine aux Rencontres cinématographiques de Dijon, où d'ailleurs interviendra Karine Berger.