Ce matin, le Conseil constitutionnel a audiencé la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la surveillante des communications hertziennes. Synthèse.
C’est un article issu de la loi de 1991 sur le secret des correspondances et repris par la loi Renseignement qui a été trainé devant le Conseil constitutionnel ce matin. À la manœuvre, les Exégètes, à savoir la Quadrature du Net, French Data Network, la Fédération FDN et l’association Igwan.net.
Et à l’index ? L’article L.811-5 du Code de la sécurité intérieur, au terme duquel « les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre, ni à celles de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale ».
Par cette disposition, le législateur et le gouvernement ont écarté de tout encadrement la surveillance des communications hertziennes, aussi bien au regard du livre VIII du Code de la sécurité intérieure que de la sous-section du Code de procédure pénale relative aux interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques.
Plus pratiquement, dès lors que les pouvoirs publics veulent assurer « la défense des intérêts nationaux », les services échappent à toutes les tracasseries administratives normalement inévitables. Ainsi, par exemple, nul passage devant la Commission de contrôle des techniques du renseignement (CNCTR), nulle règle sur la conservation des données, nulle possibilité de saisir la justice comme le prévoit désormais l’esquivé livre VIII du code, etc.
Un nouveau cas d'incompétence négative, selon Me Spinosi
« Il ne faut pas être grand clerc pour découvrir le défaut constitutionnel » a asséné, un brin moqueur Me Patrice Spinosi devant les neuf membres du Conseil constitutionnel. Celui-ci flaire un cas flagrant d’incompétence négative, soit le fait pour le législateur de ne pas avoir consommé l’ensemble de ses prérogatives dévolues par la Constitution, spécialement l’arbitrage entre vie privée et intérêts de l’État.
Les cas d’incompétence négative pullulent dans la jurisprudence, notamment ces deux précédents, à savoir la censure de la surveillance internationale, mal cadrée dans la loi renseignement, et plus récemment, celle du sort des données saisies après une perquisition numérique administrative, qui étaient alors dans les mains du seul exécutif. « Mutatis Mutandis, notre affaire doit connaitre la même issue ! »
Avec cette #QPCHertz, hashtag accompagnant le sillage de cette procédure sur Twitter, « ce sont plusieurs milliards de données qui sont susceptibles d’être concernées » jauge l’avocat qui réclame une censure immédiate.
Quand le gouvernement se fait législateur
Contrairement à l'étape précédente devant le Conseil d'État, où il ne retenait que des arguments de procédure, cette fois le gouvernement est sorti du bois. Non sans peine, le secrétariat général a tenté de minimiser la portée des critiques émises par les Exégètes.
Cette disposition ne concernerait ainsi que la surveillance et le contrôle des transmissions hertziennes non couvertes par la loi. Nulle question de soustraire l’ensemble des correspondances empruntant la voie hertzienne à un quelconque encadrement.
Selon une grille de lecture inspirée par des travaux parlementaires et d’anciens rapports de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), cet article ne viserait que les fréquences non individualisables, non localisables, non quantifiables. Et ne vaudrait donc que pour les transmissions réalisées totalement ou essentiellement par voie hertzienne, jamais - c’est juré - celles empruntant la voie des airs à titre accessoire comme le téléphone, le Wi-Fi, la 3G ou encore le Bluetooth.
Dans la vraie vie, cela toucherait donc aux transmissions radio des sous-marins, des aéronefs, des intérêts militaires ou des fréquences de la police et des secours. Bref, tout un panel de transmissions « utilisées par des acteurs institutionnels comme l’armée, non des particuliers ». Mieux, selon l’avocat du gouvernement, le texte serait « étroitement circonscrit », « très faiblement intrusif », laissant intact l’équilibre des libertés et droits fondamentaux.
Et pour tenter d’éviter une possible censure, il avance que cette soustraction au régime général du renseignement ne signifierait en rien absence de contrôle. Le texte n’a-t-il pas une finalité précise, à savoir la défense des intérêts nationaux ? La frontière entre cette exception et le droit commun n’est-elle pas soumise à interprétation de la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement ? Enfin, les abus éventuels ne peuvent-ils pas être sanctionnés par le juge via le Code pénal ?
« Un cache misère artificiel »
« Un cache misère artificiel d’un trou législatif béant ! » a réagi Me Spinosi. « Vous rajoutez des choses qui ne sont pas dans la loi. Le secrétariat général du gouvernement ne nous dit pas la réalité du texte ! » Et pour cause, les filtres imaginés autrefois par la CNCIS, ou aujourd’hui par le gouvernement, ne se retrouvent pas dans le Code de la sécurité intérieure.
La lettre de cet article n’évoque en rien de quelconques restrictions, mais laisse un vaste champ décisionnel aux services pour surfer librement sur les ondes, les oreilles dressées. D’ailleurs, cela a été rappelé devant les neufs Sages, l’ancêtre de cette disposition avait déjà été utilisé par des agents du renseignement pour prendre connaissance des communications passées par un journaliste du Monde. « Il y a bien une absence de tout contrôle véritable de ces opérations de surveillance ! »
Si à titre principal, l'exécutif a sollicité le rejet de cette QPC, il a suggéré qu’une éventuelle censure soit déportée dans le temps pour permettre la rédaction d’une nouvelle loi. Questionné par un membre du Conseil, son avocat a proposé une improbable réserve d’interprétation selon laquelle l’article en cause ne viserait que les communications non individualisables, non identifiées et non quantifiables.
Le Conseil constitutionnel rendra sa décision le 21 octobre à 10 heures.