La campagne Kickstarter de CommitStrip touche à sa fin. Lancée pour financer le second recueil du blog BD, elle compte déjà plus de 3 000 contributeurs. Une logistique importante, pour une équipe qui veut étendre son univers dans de nouveaux formats.
Les webcomics ont toujours la cote. Le blog BD quotidien consacré à la vie des développeurs, CommitStrip, a vu sa campagne Kickstarter dépasser de trois fois son objectif en deux jours, à la mi-septembre. Se terminant dans quelques jours, elle doit financer un second recueil des meilleures planches de la série, en éditions française et anglaise. La première campagne sur Ulule, lancée en 2013 pour les Français, avait aussi largement dépassé son objectif affiché.
Les planches publiées sur le blog sont dessinées par Étienne Issartial, qui travaille à plein temps dessus depuis un an, et scénarisées par Thomas Guenoux, co-fondateur de l'agence KRDS. Le second recueil reprend là où le premier a commencé. Il s'agit principalement d'une sélection de 80 planches sur les 600 publiées ces trois dernières années. Il signe également l'internationalisation de l'audience (de 200 à 250 000 visiteurs mensuels), qui lit presque aux deux tiers le blog en anglais, soit la situation inverse de 2013.
« Le livre n'est pas un remake intrinsèque de 2013. C'est un recueil des trois dernières années, avec des planches inédites, et une longue histoire en cinq pages confiée à des codeurs d'entreprises connues » détaille Thomas Guenoux. « On arrive à financer le blog grâce à un peu de publicité, des planches sponsorisées et des prestations à côté, mais [la campagne Kickstarter] est aussi une occasion pour les gens de contribuer » nous explique encore ce dernier.
Si les livres sont de premières sorties du pur cadre du blog BD, d'autres pourraient suivre à l'avenir, en élargissant le contenu et en amenant son univers vers d'autres formats.
Des anecdotes et une activité encore jeune
« On s'attendait à peut-être arriver à 25 000 ou 30 000 euros. On avait un vrai doute sur l'intérêt du projet pour notre audience à l'étranger » face à une base française solide, notamment via la participation à de nombreux événements, explique CommitStrip. L'équipe a engrangé 124 000 euros à cinq jours de la fin de la campagne et s'attend à terminer à 130 000 ou 140 000 euros. Dans l'absolu, le blog « est encore un petit business, mais qui permet à un dessinateur d'en vivre à plein temps, ce qui est assez remarquable ».
À la base, le site devait être la contribution de Guenoux et Issartial au milieu du développement, d'une manière plus originale qu'une conférence ou un énième blog sérieux sur le sujet. Il est donc devenu une activité à plein temps pour l'un depuis l'an dernier, et une bonne publicité pour KRDS, d'où sont tirées la plupart des anecdotes mises en dessin.
Pour sa campagne sur Kickstarter, CommitStrip a rapidement été mis en avant par la plateforme américaine. Les objectifs étendus (stretch goals) ont aussi été atteints. De quoi notamment déclencher la réalisation d'un Daily Coder, un journal fictif affiché à la fin de certaines planches. « Concrètement, ce seront de vrais articles écrits en partie par nous, en partie par la communauté. Des organisateurs de conférences et des orateurs nous ont proposé des articles sympas » à intégrer, explique encore l'équipe.
La logistique d'envoi de plusieurs milliers de livres
Dans quelques semaines, ils devront préparer et livrer au moins 3 500 livres, contre 1 500 pour la première campagne (dont 700 envoyés et le reste gardé pour la boutique du site). Un changement d'échelle, mais pas vraiment de logistique, estime Thomas Guenoux. « Cela fait deux mois qu'on travaille dessus et que tous les budgets sont chiffrés, avec les devis de la Poste, des manutentionnaires pour les colis... » affirme-t-il.
Les prestataires sont connus, la demande dans l'échelle que s'est fixée l'équipe. « Cela aurait été une autre histoire avec 10 000 exemplaires » estime d'ailleurs Guenoux. Le contenu, lui, reste encore à finaliser pour la mi-octobre, avec un envoi prévu un mois plus tard.
Le poster bonus a été le dernier objectif étendu (stretch goal) de la campagne, pour qu'elle reste viable. Sa livraison aussi se fait avec quelques concessions. « On a décidé de proposer un poster plié et non roulé. Si tu l'achètes, tu as envie de l'avoir roulé, mais comme c'est un bonus, on peut se permettre de l'avoir plié et donc de réduire les frais d'envoi » détaille l'équipe, qui a également prévu un budget de perte à l'expédition. Des actions loin d'être surprenantes, mais qui se sont bien nourries de l'expérience de 2013.
Des inspirations et des envies d'extension
Sur la bande dessinée elle-même, les inspirations sont connues et plutôt venues d'outre-Atlantique. « Il y a XKCD et les autres. XKCD, c'est quelque chose de vraiment très fort qui revient souvent dans les commentaires, avec des parallèles avec ce que nous publions. En 15 ans, il a évidemment traité beaucoup de sujets, parfois de la même manière que nous » explique Thomas Guenoux. L'autre grande inspiration, en dehors des BD « geeks », est The Oatmeal, l'un des webcomics les plus lus aux États-Unis. « Il a accompli un travail énorme sur la gestion de communauté, sur les campagnes de financement, sur les formats... » explique encore l'entrepreneur.
Pourtant, sur le format BD lui-même, il n'y a pas vraiment besoin de réinventer la roue selon l'équipe. « Même si l'accent est mis sur la vidéo courte, les planches restent encore très efficaces dans les flux des réseaux sociaux. C'est un très bon format pour notre époque, même si ce n'est pas quelque chose de neuf » estiment-ils.
Cela n'empêche pas le blog d'envisager son évolution dans les prochaines années. La première serait d'amener des contenus autres que de la bande dessinée sur le site, comme des billets d'humeur de développeurs, « pas forcément connus ». En clair, de faire de CommitStrip un média collaboratif.
À plus long terme, Thomas Guenoux aimerait s'attaquer à la formation au numérique et au code dès l'enfance, sous la bannière du site. « En tant que CommitStrip, je suis extrêmement sollicité sur les questions de recrutement. Plusieurs fois par semaine, des entreprises m'interrogent dessus, sachant qu'il y a une pénurie de développeurs partout, et encore plus de bons développeurs » explique-t-il, même si le projet reste encore peu défini.
Du côté créatif, les pistes sont aussi nombreuses. En dehors d'un éventuel nouveau recueil dans quelques années, c'est l'animation, voire de séries (web ou TV), qui intéresse l'équipe. Un chemin déjà pris par des webcomics américains, comme Cyanide and Happiness. Cinq minutes d'animation destinées à la conférence DockerCon l'an dernier leur ont mis le pied à l'étrier.
« En fait, l'idée est de décliner la marque et l'univers au maximum en fait » explique encore Guenoux, qui compterait plutôt s'adresser à Amazon ou Netflix qu'à un financement public ou une chaine française pour une éventuelle série. « Nous apporterions des scénarios et des droits d'image, eux du financement pour l'animation » pense l'équipe, pour qui cet horizon reste encore bien lointain.