Vous n’avez guère suivi les débats autour du projet de loi Numérique, qui vient tout juste d’être définitivement adopté par le Parlement ? Voici un panorama de quinze mesures emblématiques.
Élan en faveur de l’Open Data. D'ici deux ans, les principales administrations devront automatiquement mettre en ligne différents documents publics en leur possession, et notamment les données « dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental ». L’ouverture de nombreux autres fichiers sera également encouragée, en principe dans des standards ouverts (permettant une réexploitation bien plus aisée sur le plan technique) : codes sources de logiciels, données des délégataires de services publics, décisions de justice, données de consommation en matière de gaz et d’électricité, etc.
Amendes de la CNIL. De 150 000 euros, le montant maximum des amendes pouvant être infligées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés passe à trois millions d’euros. Il ne s’agit cependant que d’une phase de transition avant l’entrée en vigueur du règlement européen sur les données personnelles. À partir du 25 mai 2018, l’autorité administrative indépendante pourra effectivement aller jusqu’à 20 millions d’euros (ou, pour les entreprises, 4 % de leur chiffre d’affaires annuel mondial).
Revenge porn. La loi Numérique permettra de combler les lacunes actuelles du droit et de sanctionner plus facilement les internautes qui jettent en pâture sur le Net des images intimes de leurs ex-partenaires. La peine encourue sera portée au passage à deux ans de prison et 60 000 euros d’amende.
État et logiciels libres. Les administrations devront « encourag[er] » l'utilisation des « logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation » de leurs systèmes informatiques. Un terme dont la portée juridique semble cependant quasi-nulle...
Liberté de panorama. Les auteurs et ayants droit ne pourront plus s’opposer à ce que des particuliers prennent des photos « d’œuvres architecturales et de sculptures placées en permanence sur la voie publique » (Tour Eiffel, Pyramide du Louvre...). Seul hic, cette nouvelle exception au droit d’auteur devra exclure « tout usage à caractère commercial », ce qui fait dire à certains que cette réforme risque d’être tout simplement inapplicable sur Internet – et notamment sur les réseaux sociaux, où règnent de nombreuses publicités.
Traduction vidéo en langue des signes. D’ici cinq ans au plus tard, les administrations et entreprises chargées d’une mission de service public devront mettre à la disposition des personnes sourdes et malentendantes, au titre de leur accueil téléphonique, un service de traduction simultanée qui sera vraisemblablement accessible via logiciel de chat vidéo. Les plus grandes entreprises seront également contraintes de suivre ce mouvement, sous deux ans.
Droit à l’oubli pour les mineurs. Il sera dorénavant possible de réclamer la suppression de photos ou de vidéos mises en ligne avant que l’on ait atteint l’âge de 18 ans. Les sites sollicités pourront toutefois s’y opposer pour des motifs liés notamment au droit à l’information (articles de presse).

Maintien de la connexion à Internet. Sur le modèle de ce qui prévaut aujourd’hui pour l’eau, le téléphone où l’électricité, les départements devront accorder une aide à « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières » pour payer ses factures d’Internet. Tant que les pouvoirs publics n’auront pas statué sur la demande d’aide, les opérateurs subissant des impayés ne pourront pas couper la ligne de l’abonné. Ils seront en revanche autorisés à en restreindre l’usage « sous réserve de préserver un accès fonctionnel aux services de communication au public en ligne et aux services de courrier électronique ».
Loyauté des plateformes. Les moteurs de recherches tels que Google et Bing devront fournir « une information loyale, claire et transparente » à leurs utilisateurs, notamment quant à leurs « modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus ». L’ARCEP, le gendarme des télécoms, procédera à des évaluations et pourra épingler publiquement les mauvais élèves.
Reconnaissance de l'e-sport. La loi donne un statut aux joueurs professionnels de jeux vidéo, inspiré de celui des sportifs de haut niveau (notamment au cas où s’agirait de mineurs). Les conditions d’organisation des compétitions de jeux vidéo sont d’autre part définies. Elles seront en pratique soumises à une autorisation administrative – probablement du préfet.
Mort numérique. En cas de décès d’un internaute, ses héritiers ne pourront en principe avoir accès à ses données qu’en vue du partage de la succession et de l’éventuelle clôture de ses comptes (Facebook, Gmail, etc.). Ils seront néanmoins habilités à récupérer ses « biens numériques » et « données s’apparentant à des souvenirs de famille » – de type photos et échanges de mails.
Victimes d'infractions à la loi Informatique et Libertés. La gardienne des données personnelles pourra ordonner aux responsables de manquements à la loi Informatique et Libertés qu’ils « informent individuellement » de leur condamnation (et à leur frais) chacune des personnes concernées par leurs infractions. Cela signifie que vous pourriez prochainement être averti qu’un site s’est malencontreusement fait dérober l’adresse mail et le mot de passe que vous lui aviez confié...
Airbnb. Certaines villes pourront demander à leurs résidents louant leur logement sur un site de mise en relation (tel qu’Airbnb) de s’enregistrer via Internet. Les plateformes seront surtout tenues de s’assurer que leurs utilisateurs disposent des autorisations nécessaires, et notamment celle de leur propriétaire s’ils sont eux-mêmes locataires. Au-delà de 120 jours de location par an, un blocage devra être imposé.
Droit de récupération de ses données. À compter du 25 mai 2018, les internautes devront pouvoir télécharger en quelques clics l’ensemble des données qu’ils ont mises en ligne sur des services tels que Facebook, Deezer, Flickr, YouTube... L’objectif : qu’ils puissent plus facilement changer de fournisseur de service.
Neutralité du Net. La loi Numérique transpose le principe de neutralité du Net, tel qu’adopté en fin d’année dernière par l'Union européenne. Cela laisse ainsi une certaine latitude à plusieurs pratiques à la frontière de la non-discrimination des contenus, comme le « zero rating » (l'exemption d'un service du décompte de données sur mobile), la gestion de trafic ou les services spécialisés. L’ARCEP veillera au grain sur ce dossier, à partir des lignes directrices établies par les régulateurs de télécoms européens.
Il ne reste maintenant plus qu'à attendre la publication du texte au Journal officiel, en principe sous quinze jours maximum. S'ouvrira alors le marathon des décrets d'application, la plupart de ces mesures phares ayant besoin d'être précisées par voie réglementaire.
Pour plus d'explications, vous pouvez retrouver nos analyses des principaux volets de la future « loi Lemaire » :