À moins d'avoir été déconnecté ces derniers jours, vous n'êtes pas sans savoir que Le Point a publié un article sur le jeu vidéo d'un tel niveau que les mots nous manquent. Titré « Jeux vidéo : permis de tuer », ce papier nous explique notamment que les jeux vidéo désorientent la jeunesse et poussent certains à commettre l'irréparable (meurtres, terrorisme, etc.). L'auteure invite aussi François Hollande à taxer les jeux vidéo, mais au regard des tarifs pratiqués en France par rapport aux pays étrangers, nous ne préférons même pas commenter une telle idée.
Les jeux vidéo génèrent des tueurs, la preuve ci-dessus.
Jeux vidéo : des dizaines d'années de polémiques
Suite à la publication de cet article, les réactions n'ont pas manqué. Nous vous conseillons notamment de lire la réponse de Vincent Matalon de France TV Info (Jeux vidéo : permis de troller), ainsi que l'excellent détournement de Bleugafoto, ou encore celles de Hashtable, Slate, et de 20 Minutes.
Bien entendu, à moins d'être né hier, vous avez l'habitude de lire des inepties sur les conséquences des jeux vidéo. Récemment, lors de l'affaire Merah, Laure Manaudou et Natacha Polony s'étaient parfaitement illustrées dans cet exercice de pointer du doigt les jeux vidéo sans aucune étude préalable (lire notre édito du mois de juillet).
Si l'on remonte un peu moins loin, des jeux comme GTA, Postal ou encore Carmageddon ont généré leurs lots de polémiques. Quelques années plus tôt encore, les premiers FPS ont eux aussi été vivement critiqués. Et en allant plus loin, les jeux de bastons de la fin des années 80 et du début des années 90, notamment le fameux Mortal Kombat, ont aussi généré des controverses, tout comme les jeux sexuels, de Leisure Suit Larry aux pires jeux japonais parfois très tendancieux. Sans oublier bien sûr les jeux de guerre où le but est de tuer un peuple bien défini ou encore les gens d'une certaine religion.
Carmageddon, jeu sorti en 1997, a fait couler beaucoup d'encre à l'époque.
La polémique comme moyen de promotion
Le but de ces jeux est, outre de jouer (il ne s'agit que de pixels faut-il le rappeler), est aussi de créer une certaine polémique, afin d'obtenir une belle publicité gratuite. L'astuce est utilisée dans bien des médias, du cinéma aux livres, en passant par la peinture : choquer, créer des débats, est l'assurance de se faire connaître à peu de frais. Le seul risque étant d'atteindre l'interdiction, à l'instar d'Orange Mécanique de Kubrick.
Mais avant l'essor des jeux vidéo ou encore d'Internet, un bouc-émissaire était bien nécessaire pour expliquer les déviances de certains. Évidemment. Le cinéma a ainsi eu sa part, avec bien sûr Orange Mécanique, DogVille, Fight Club, Scream, Irréversible, Massacre à la tronçonneuse, Henry, portrait d'un serial killer, Lolita, ou les films ultras réalistes de type Cannibal Holocaust. Et même Taxi a subi son flot de critiques.
Outre le cinéma, la musique a souvent été accusée de tous les maux. Les anciens amateurs de rock, de métal ou encore de rap ne le savent que trop bien. Et des artistes comme Serge Gainsbourg n'ont pas été non plus épargnés par les critiques. Et que dire des dessins animés, notamment japonais, accusés de pervertir l'esprit des jeunes durant les années 80 et 90 ?
Socrate, ce pervertisseur de jeunesse
Tous les exemples ci-dessus (cinéma, musique, etc.) fonctionnent pour l'après Seconde Guerre mondiale, mais le concept de « perversion de la jeunesse » a toujours existé. Aujourd'hui, ce sont les jeux vidéo, internet et parfois la musique et le cinéma. Hier, par exemple quelques siècles avant Jésus Christ, un certain Socrate a été condamné à mort, notamment pour avoir perverti la jeunesse.
Plus proche de nous, le roi français Louis XVI accusait Jean-Jacques Rousseau, Denis Diderot et Voltaire d'être coupables de tous les maux. Extrait d'une lettre du roi adressée à Lamoignon de Malesherbes : « J'aime et j'estime les hommes, mon cher Malesherbes, qui, par des ouvrages utiles, prouvent qu'ils font un sage emploi de leurs lumières ; mais je n'encouragerai jamais, par aucun bienfait particulier, les productions qui tendent à la démoralisation générale. Voltaire, Rousseau, Diderot et leurs pareils qui, un instant, ont obtenu mon admiration, que j'ai su priser depuis, ont perverti la jeunesse qui lit avec ivresse, et la classe la plus nombreuse des hommes qui lisent sans réflexion. »
Montage trouvé sur Nioutaik.
Le coupable idéal pour éviter les véritables sujets
Peu importe l'époque, peu importe les lieux, pour expliquer l'inexplicable, ou tout du moins ce que nous ne maitrisons pas, ce que nous ne comprenons pas, il faut un bouc émissaire. Qu'il soit philosophe, écrivain, chanteur, réalisateur, concepteur de jeux vidéo ou même économiste, tant qu'il s'exprime et peut toucher la population, surtout la plus jeune, il est de facto un coupable idéal.
Ces personnes sont avant tout des cibles faciles, dès lors qu'elles permettent d'éviter d'aborder de véritables problèmes : la pauvreté financière et intellectuelle de certains faute d'éducation suffisante et d'un environnement économique adéquat, l'incompétence de soi-disant spécialistes, l'abandon d'une certaine jeunesse, leur manque de modèles et de repères, leur radicalisation idéologique et/ou religieuse, les contenus télévisuels affligeants, la médiocrité de certains pseudo-intellectuels, etc. la liste est longue. Non, pointer du doigt Internet et les jeux vidéo est bien plus facile, après tout, pourquoi réfléchir aux questions complexes du monde ?
Aujourd'hui, la quasi-intégralité des jeunes joue aux jeux vidéo. Si l'un d'entre eux a un accès de folie, les chances qu'il soit joueur sont particulièrement élevées. Si par malheur il se contente de jouer à Mario Kart et aux Sims, il écoutera bien du Black Metal ou sera bien un amateur de mangas. Et s'il venait à éviter toutes ces œuvres de perversion, l'argument génétique sera alors naturellement utilisé.
Croire que jouer à des jeux de guerre suffit à former un tueur parfait, c’est penser que voir Urgence et Grey’s Atanomy permet de devenir un excellent chirurgien, que lire Sherlock Holmes de Arthur Conan Doyle permet d’être un fin détective, que feuilleter les œuvres des frères Bogdanoff vous transforme en scientifiques et que Farmville et Mario ont sauvé les métiers d’agriculteurs et de plombiers. Par contre, lire des torchons peut pousser certains à boycotter les journaux.