Le fait de publier un lien renvoyant vers un contenu illicite est lui-même constitutif de contrefaçon ? À cette éminente question, la Cour de justice de l’Union européenne vient de répondre que non, sous deux importantes réserves : que le lien litigieux ait été diffusé sans but lucratif et que son auteur n’ait pas eu connaissance de son illicéité.
C’est suite à une saisine de la Cour de cassation des Pays-Bas que la justice européenne a rendu son arrêt de ce jour. Au cœur de ce dossier, un vrai jeu du chat et de la souris. Une dizaine de photos d’une présentatrice hollandaise furent hébergées sur FileFactory, puis « linkées » sur Geenstijl.nl, important site néerlandais. Le renvoi vers ces images, destinées à être publiées dans l’édition nationale de Playboy, avait rapidement provoqué la colère de la revue de charme. Sauf que même après avoir réussi à obtenir leur retrait de FileFactory, de nouveaux liens furent établis par Geenstijl.nl, cette fois via ImageShack.us notamment...
D’où la question : publier des liens vers ces images signalées comme manifestement illicites constituait-il un nouvel « acte de communication » d’une œuvre au public au sens de la directive européenne relative au droit d’auteur – dès lors soumis à l’autorisation obligatoire (et préalable) des ayants droit ? Pour la CJUE, la réponse est oui.
« Il est constant que GS Media [propriétaire du site Geenstijl.nl, ndlr] a fourni les hyperliens vers les fichiers contenant les photos à des fins lucratives et que Sanoma [éditeur de Playboy, ndlr] n’avait pas autorisé la publication de ces photos sur Internet », résument les services de la Cour. De la présentation des faits opérée par les juridictions néerlandaises, les magistrats en ont conclu que « GS Media était consciente du caractère illégal de cette publication et qu’elle ne saurait donc renverser la présomption que le placement de ces liens est intervenu en pleine connaissance du caractère illégal de cette publication ».
L’affaire sera donc jugée aux Pays-Bas en considération de ces conclusions qui ne sont vraiment pas de bon augure pour GS Media. La CJUE a surtout profité de cette affaire pour affiner sa jurisprudence, qui devrait impacter de nombreux autres dossiers (ayant par exemple trait au partage de liens vers des films ou séries piratés).
Les juges posent leurs conditions
« Afin d’établir si le fait de placer, sur un site Internet, des liens hypertexte vers des œuvres protégées, librement disponibles sur un autre site Internet sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur », constitue une « communication au public » au sens de la directive européenne sur le droit d’auteur, il convient selon l’arrêt de la CJUE « de déterminer si ces liens sont fournis sans but lucratif par une personne qui ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement pas connaître le caractère illégal de la publication de ces œuvres sur cet autre site Internet ou si, au contraire, lesdits liens sont fournis dans un tel but, hypothèse dans laquelle cette connaissance doit être présumée ».
Autrement dit, un site de liens qui se serait vu réclamer le retrait de liens renvoyant vers des fichiers piratés hébergés par un tiers (1fichier, Uptobox...) pourrait être poursuivi pour contrefaçon. « Il en est de même si ce lien permet aux utilisateurs de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée afin d’en restreindre l’accès par le public à ses seuls abonnés » commentent les services de la CJUE. Pire : dès lors qu'un site a un « but lucratif », tel les organes de presse par exemple, les juges devront considérer qu’il appartenait à ses responsables de s’assurer que les liens publiés ne permettaient pas d'accéder à des contenus illicites.
Nous reviendrons plus longuement sur les implications de cet arrêt dans un prochain article.