La Cour de justice de l’Union européenne vient de considérer qu’une vente liée PC et OS n’est pas en soi une pratique commerciale déloyale, du moins sous certaines conditions. Elle estime par ailleurs que le prix des éléments de cette offre n’a pas à être ventilé.
Cette affaire remonte à la préhistoire. En novembre 2008, Vincent Deroo-Blanquart achète pour 549 euros un portable Sony Vaio rempli de logiciels préinstallés, dont un système d’exploitation Windows Vista édition Home Premium. Ne souhaitant acquérir que le matériel, il demande le remboursement de cette couche logicielle qu’il évalue à 450 euros. En novembre 2013, la cour d'appel de Versailles rejette sa demande en ayant sur ses genoux la directive du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales (les « PCD »).
Ce texte dresse la liste des pratiques qui sont systématiquement considérées comme déloyales en toutes circonstances. Problème : la vente liée n’est pas citée. Tout n’est cependant pas perdu pour les consommateurs puisqu’une telle opération peut être interdite si elle répond à certaines caractéristiques appréciées par les tribunaux. Ce sont celles qui « altèrent le comportement économique des consommateurs et qui sont contraires aux exigences de la diligence professionnelle, comme notamment les pratiques commerciales trompeuses et les pratiques commerciales agressives ».
Et justement, la cour d’appel a considéré que la demande de ce consommateur ne pouvait prospérer, car il pouvait toujours aller voir ailleurs, « le marché offrant une variété d’ordinateurs et de logiciels dont la combinaison permettait d’assurer la liberté de son choix ». Pour l’intéressé, au contraire, subordonner la vente d’un bien à l’achat concomitant d’un autre bien, ici un pack de logiciels, est sans nul doute une PCD, notamment parce que Sony ne propose pas ce modèle nu. De plus, il y a un petit piège dans le contrat de licence utilisateur final Windows. Le fameux « CLUF » rappelle bien lors du premier démarrage qu’« en utilisant le logiciel, vous acceptez ces termes. Si vous ne les acceptez pas, n’utilisez pas le logiciel et contactez le fabricant ou l’installateur afin de connaître leurs modalités de retour des marchandises pour obtenir un remboursement ou un avoir ». L’acheteur non professionnel n’a donc pas de choix : ou il achète, ou il se fait rembourser la totalité. Autre signe d’une incompatibilité avec le droit européen : les prix de ces composants ne sont pas ventilés. Impossible donc d’en avoir donc le détail !
Plutôt que de trancher immédiatement, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin d’avoir la réponse à trois questions fondamentales. Nous les exposons accompagnées des réponses de la Cour de Luxembourg.
De la liberté de choix
Les deux premières questions étaient simples, quoique lourdes de conséquences :
Peut-on accepter que le fabricant « ne laisse pas d’autre choix au consommateur que celui d’accepter ces logiciels ou d’obtenir la révocation de la vente ? ». De même, faut-il considérer comme PCD « l’offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, lorsque le consommateur se trouve dans l’impossibilité de se procurer auprès du même fabricant un ordinateur non équipé de logiciels ? »
Pour la CJUE, cela revient finalement de savoir « si un professionnel (…) contrevient aux exigences de la diligence professionnelle ». Un vice vérifié en cas de « manquement aux pratiques de marché honnêtes ou au principe général de bonne foi dans son domaine d’activité, en l’occurrence la production de matériel informatique destiné au grand public, à la lumière des attentes légitimes dʼun consommateur moyen ».
Ceci posé, la Cour va donc confronter les faits au texte de la directive. Elle pose et même assène que « la vente par Sony d’ordinateurs équipés de logiciels préinstallés répond aux attentes, telles qu’elles se dégagent de l’analyse du marché concerné, dʼune part importante des consommateurs qui préfèrent l’acquisition d’un ordinateur ainsi équipé et d’utilisation immédiate à l’acquisition séparée d’un ordinateur et de logiciels ». Une thèse qu’ont toujours défendue les professionnels impliqués.
Particulièrement, dans la situation en cours, elle ajoute que l’intéressé « a été dûment informé par l’intermédiaire du revendeur de Sony de l’existence des logiciels préinstallés sur cet ordinateur et des caractéristiques précises de chacun de ces logiciels ». Mieux, « après l’achat, lors de la première utilisation dudit ordinateur, Sony a offert à M. Deroo-Blanquart la possibilité, ou bien, de souscrire au Contrat de Licence Utilisateur Final, afin de pouvoir utiliser lesdits logiciels, ou bien d’obtenir la révocation de la vente ».
Pas de doute : selon elle, un tel degré d’information peut satisfaire aux exigences de loyautés.
L’information du consommateur, une importance fondamentale
Ce contexte (l’information correcte du consommateur, une offre répondant aux attentes de nombreux consommateurs, la possibilité de se faire rembourser l’intégralité) est bien susceptible « de répondre aux exigences des pratiques de marché honnêtes ou du principe général de bonne foi » et conduit à repousser l’hypothèse d’une PCD.
Autre angle lié à cette analyse : est-ce que malgré tout cette vente couplée « est susceptible de provoquer une altération substantielle du comportement économique du consommateur moyen par rapport au produit », et donc de « compromettre sensiblement son aptitude à prendre une décision en connaissance de cause et de l’amener par conséquent à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement » ? Là encore, c’est l’information préalable du consommateur qui est le pivot. Une étape qualifiée d’« importance fondamentale » par les juges.
Il revient ainsi aux législations nationales le soin d’éplucher les faits de chaque affaire, se demander si l’aptitude du consommateur n’a pas été compromise, ou pour être plus précis, s’il a été correctement informé, avant achat, que le PC n’était pas disponible sans logiciels préinstallés, « et qu’il était, de ce fait, en principe libre de choisir un autre modèle d’ordinateur, d’une autre marque, pourvu de caractéristiques techniques comparables, vendu sans logiciels ou associé à d’autres logiciels ».
La décision devrait donc impliquer une forte mise à jour des pratiques, du moins chez ceux qui auraient tendance à vendre des PC comme des petits pains sans fournir ces éclairages fondamentaux. Si ces vices sont vérifiés, alors oui, une telle pratique pourra être « contraire aux exigences de la diligence professionnelle et [altèrera] ou [sera] susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen par rapport à ce produit ».
De la ventilation des prix
La dernière question posée par la Cour de cassation visait à se demander si le droit européen considère comme pratique commerciale trompeuse le fait de vendre conjointement un ordinateur et des logiciels sans préciser le coût de chacun de ces éléments. En d’autres termes, le fait de ne pas ventiler le prix est-il interdit ?
Poursuivant son analyse contextuelle, la CJUE rappelle que c’est toujours le cas lorsqu’est omis « une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause ». Et c’est encore vrai lorsqu’est omise l’indication du prix TTC. Mais pour elle, ce degré d’information ne doit pas aller plus loin sous le règne du droit européen. Seul doit être communiqué le prix global, non celui de chacun des éléments, d’autant que l’ordinateur était vendu qu’équipé des logiciels préinstallés.
Elle considère ainsi que « l’absence d’indication du prix de chacun de ces logiciels n’est ni de nature à empêcher le consommateur de prendre une décision commerciale en connaissance de cause ni susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ». Bref, il n’y a aucun problème ni aucun besoin.
Le dossier va repartir devant les juridictions nationales qui devront reprendre les éléments factuels, sous l’aiguillon de cette grille de lecture. Pour Microsoft, on devine le soulagement puisque cette décision met un terme à des années de procédures. Précisons cependant que ces conclusions pourraient se répandre dans d'autres secteurs où les problématiques se posent aussi, comme celui des tablettes ou de la téléphonie mobile.