Le projet de réforme du droit d’auteur a été dévoilé depuis quelques jours. Portée par la Commission européenne, cette directive met à jour plusieurs normes dans l’optique du marché unique du numérique. Une belle occasion pour y injecter une savante dose de filtrage.
Comment susciter, accompagner, développer un tel marché au profit des consommateurs, tout en ménageant les susceptibilités locales et spécialement l’attachement des sociétés de gestion collective à leur « fructueuse exception culturelle » ? C’est ce délicat équilibre qu’entend atteindre l’institution bruxelloise avec cette proposition de directive sur le droit d’auteur (dévoilée via le blog The IPKat notamment).
Le texte, long de 32 pages, contient plusieurs dispositions relatives au text et data mining (TDM), à la situation des musées et des bibliothèques, la disponibilité des œuvres sur la VOD, etc. Nous y reviendrons, mais retenons avant tout l’absence de liberté de panorama et la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse pour une durée de 20 ans à partir de la date de publication. Cette disposition prévue à l’article 11 du texte n’est pas limitée aux seuls moteurs de recherches comme cela pu être institué en France au profit des photographes. Elle devrait ainsi justifier le paiement de larges rémunérations au profit des ayants droit par toute la société de l’information, du fait de la simple mise à disposition et de la reproduction de leurs contenus.
Cibler les hébergeurs dans une directive sur le droit d’auteur
Cette directive sur le droit d’auteur sera surtout l’occasion d’asséner un tour de vis sur les hébergeurs, du moins ceux qui stockent et mettent à disposition une « large quantité » d’œuvres, en les incitant légalement à négocier avec les ayants droit.
« L’industrie musicale n’a pas véritablement obtenu ce qu’elle voulait », a commenté voilà peu Julia Reda , en ayant en main l’étude d’impact de la réforme en cours. Pour l’eurodéputée issue du Parti Pirate, « à l’origine, [elle] demandait que YouTube soit tenu directement responsable de tout ce que ses millions d’utilisateurs mettent en ligne. Cela aurait donné à l’industrie une excellente position de négociation pour demander plus d’argent — mais la Commission a rejeté cette idée ».
Quelle est donc l’option choisie ? Par le biais de ces fameuses discussions avec les sociétés de gestion collective, les intermédiaires devront nécessairement prendre des « mesures appropriées et proportionnées » pour garantir ces accords, mais aussi empêcher la mise à disposition sur leur service de tous les contenus non couverts par ces discussions. Comment ? En mettant notamment en œuvre des technologies d’identification et de filtrage des contenus de type ContentID cher à YouTube.
« Grande ironie », juge encore Julia Reda. « YouTube, la cible de ces actions, a déjà mis en œuvre ces idées de son plein gré, et ce depuis des années. La réponse de la Commission aux plaintes au sujet de YouTube est donc… de forcer tous les prestataires de services à agir comme YouTube. À qui cela est-il censé bénéficier, on se le demande ». En fait, le mécanisme va plus loin puisqu’il impose à YouTube and Co de contrôler l’ensemble des flux et de potentiellement renifler, filtrer, et pourquoi pas bloquer les œuvres non couvertes par les fameux accords.
Des effets dévastateurs sur les startups européennes ?
L’eurodéputée anticipe aussi « des effets dévastateurs sur les startups européennes ». Un exemple, un seul : SoundCloud. « Basé en Union européenne, aimé par beaucoup de jeunes artistes qui tentent d’être repérés : [si ce site] avait dû se conformer à ces obligations onéreuses lors son lancement, il aurait probablement perdu face à un compétiteur hors de l’UE qui n’aurait pas eu l’obligation de s’y conformer ».
Elle rappelle au passage les multiples bugs qui frappent régulièrement les systèmes actuels. « ContentID supprime régulièrement des vidéos de fan (comme les enregistrements d’événements, des lip dubs, des commentaires, des films maison, etc.) qui contiennent des petits morceaux de contenus sous droit d’auteur, quand bien même ce genre d’usage serait couvert par les exceptions aux droits d’auteurs et droits voisins ».
Rétorquons que les utilisateurs auront droit à un recours sur l’application de ces mesures, mais cela supposera aussi que ce droit soit effectif. Face à un courrier très musclé, tous accepteront-ils de se lancer dans une bataille juridique ?
Certes, cette obligation teintée d’une dose de droit souple ne concernera que les seuls services abritant une large quantité de contenus, donc pas les futures graines européennes de SoundCloud, YouTube et autres. Mais ce critère permet déjà d’entrevoir de nouveaux foyers de contestations devant les tribunaux…
L'art de revenir sur la responsabilité des intermédiaires techniques
On le comprend assez facilement : avec l’aiguille de ces accords encadrés par le haut, les sociétés de gestion collective pourront bien espérer crever l’abcès d’une autre directive, celle sur la société de l’information.
Explications. Depuis 2001, ce texte ne conditionne la responsabilité des intermédiaires techniques qu’à la connaissance effective de l’information illicite et si, alerté, ils n’ont pas effectué un prompt nettoyage. Et jusqu’à présent, seule une juridiction ou une autorité administrative avait la possibilité d'exiger d’un hébergeur « qu'il mette un terme à une violation ou qu'il prévienne une violation » (article 14 de la directive de 2001).
Apprécions l’art de la Commission européenne pour faire bouger les lignes en toute discrétion : le point 39 de sa nouvelle proposition nous dit que ces obligations d’identification et de filtrage ne concerneront pas les intermédiaires placés sous le règne de la directive de 2001 sur la société de l’information. En somme : les hébergeurs ne sont pas touchés, sauf s'ils jouent un « rôle actif ». Un critère classique.
Mais Bruxelles profite de l'occasion pour citer deux exemples de « rôle actif » : lorsque l’acteur « optimise » la présentation des contenus uploadés et lorsqu'il en fait une promotion quelconque. Ces précisions ne sont en rien gratuites. Elles vont permettre d’inscrire dans le marbre quelques décisions très favorables aux ayants droit, afin de faire sortir une foule de services en ligne 2.0 du régime du texte de 2001 : non YouTube ne sera plus hébergeur lorsqu'il optimisera les contenus, ou en assurera une promotion sur sa homepage...
En guise de cerise, les hébergeurs impliqués devront aussi tenir informés les ayants droit du déploiement et des effets de ces mesures. Dans ce cadre, les États membres auront eux à faciliter la coopération entre ces acteurs, notamment sur l’usage de technologies appropriées et proportionnées.
Cette proposition de directive sera dévoilée officiellement le 21 septembre, pour une mise en œuvre au printemps 2019.