La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) va-t-elle offrir une rampe de lancement aux magnétoscopes en ligne ? Sur le terrain de la copie privée, une affaire née en Italie lui en donne en tout cas une belle occasion.
Une entreprise peut-elle être interdite de fournir un service de copie privée en ligne sans l’autorisation des ayants droit, même en payant au besoin une compensation forfaitaire ? Voilà en substance la problématique qui s’ouvre devant la Cour de Luxembourg. Ce dossier technique, adressé par la justice italienne, est lourd de conséquences dans tous les États membres.
La copie privée dans le cloud, très encadrée en France
En France, au hasard, la toute récente loi sur la Création n’a entrouvert la brèche de la copie privée dans le « cloud » qu’aux acteurs dument autorisés par les titulaires de droit, pas au-delà. Et encore, cela ne concerne que les services de télévision et de radio, pas plus. Cette disposition franco-française taillée pour Molotov.tv, le service cofondé par Pierre Lescure, ne modifie en rien la position des acteurs comme Wizzgo qui restent enfermés dans les carcans législatifs.
Rappelons en effet qu’en 2008, à la demande de TF1 et M6, ce magnétoscope en ligne avait été condamné à près de 500 000 euros de dommages et intérêts pour contrefaçon. Son délit ? La mise en ligne d’un service de copie privée dans le cloud, justement. Exception faite de la loi Création, la Cour de cassation estime classiquement qu’il doit y avoir identité entre celui qui réalise la copie et celui qui en profite. Or, dans le cloud, il y a techniquement dissociation puisque c’est le prestataire qui effectue la duplication au profit du particulier.
Quelle liberté pour les États membres ?
Selon le sens de la décision attendue dans plusieurs mois par la CJUE, c’est tout un marché qui pourrait s’ouvrir en Europe. On peut donc s’attendre à un joli vent de panique chez les titulaires de droits. Tous ne voient en effet pas d’un bon œil l’avènement d’une copie privée en ligne, craignant une perte d’emprise sur leurs droits exclusifs (replay, VOD, etc.) et potentiellement une hausse du piratage, en cas de mise en partage des casiers personnels.
Mais quel peut être le sens de la décision de la CJUE ? Au détour de plusieurs arrêts récents, la justice européenne a reconnu la liberté – mais non l’obligation – pour les États membres d’instaurer une redevance copie privée à la charge des personnes « qui disposent des équipements, appareils et supports de reproduction [et qui] mettent ceux-ci à la disposition de personnes privées ou rendent à ces dernières un service de reproduction ». En clair, le droit européen ne s’opposerait pas à la dissociation qui agace tant la Cour de cassation. En toute logique, donc, un État membre devrait pouvoir interdire ces services de copie en ligne, puisque l’exception de copie privée est optionnelle.
Voilà les deux questions préjudicielles posées par la justice italienne :
- Une disposition nationale qui interdit à un entrepreneur commercial de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur au moyen d’un système informatique en nuage, en intervenant activement dans l’enregistrement, sans autorisation du titulaire du droit, est-elle conforme au droit de l’Union, notamment à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information 1 (ainsi qu’à la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information 2 , et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur et au traité fondateur) ?
- Une disposition nationale qui permet à un entrepreneur commercial de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur au moyen d’un système informatique en nuage, en intervenant activement dans l’enregistrement, sans autorisation du titulaire du droit, en contrepartie d’une compensation forfaitaire rémunérant le titulaire du droit, ce qui revient en substance à un régime de licence obligatoire, est-elle conforme au droit de l’Union, notamment à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (ainsi qu’à la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur et au traité fondateur) ?