La réunion sur la Copie privée organisée hier matin à la Commission des affaires culturelles était attendue (Vidéo). Des litiges qui se démultiplient du fait d’un système mal ficelé, des démissions en bloc au sein de la commission où les ayants droit sont désormais en majorité absolue, un agenda serré puisque la loi du 20 décembre 2011 lui a laissé un an pour dépoussiérer ses barèmes, sous peine de sèche annulation.
Patrick Bloche
Dès les premières secondes, le président de la Commission, Patrick Bloche donnait le ton : « La rémunération pour copie privée ne doit pas être considérée comme la réparation d’un préjudice ». L’affirmation est belle, mais est contredite d’abord à Bruxelles où la directive sur le droit d’auteur et le droit voisin de 2001 parle bien d’une compensation équitable. Ensuite, à Luxembourg, la CJUE nous dit cette « compensation équitable doit être regardée comme la contrepartie du préjudice subi » (considérant 40, arrêt Padawan). Bloche est même contesté par le ministère de la Culture où la Commission copie privée pose que : « compenser financièrement le préjudice subi par les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins (…) tel est l’objectif du système de la rémunération pour copie privée ».
Dans la discussion, chacun campera sur ses positions. Les deux ayants droit (Pascal Rogard de la SACD et Laurent PetitGirard, de la SACEM) défendront l’exception culturelle française face aux importateurs et derrières des grosses entreprises qui ne payent par leur impôt en France et veulent la mort de la copie privée. Bernard Heger (Simavelec, industrie de l’électronique) rappellera que la redevance copie privée indemnise un préjudice qui doit être évalué sereinement, et donc surtout pas par ceux qui perçoivent ces sommes. Quant à Édouard Barreiro (UFC Que Choisir), celui-ci défendra les intérêts des consommateurs en remettant à l’heure les pendules économiques de ce drôle de marché.
Pas un salaire, mais une indemnisation
« Cette compensation équitable n’est pas un salaire, nous ne sommes pas dans une négociation salariale ! Elle n’est pas plus en relation avec un niveau d’exception culturelle [ou] une politique de l’emploi » assènera Bernard Heger, avant d’ajouter « un préjudice c’est du rationnel, c’est du mesurable, c’est de l’objectif ». Et donc ni de l'irrationnel, ni du doigt mouillé et encore moins du subjectif taillé selon les estomacs. En 2011, les ayants droit ont perçu 193 millions d’euros, les industriels l’estiment entre 50 à 60 millions d’euros, l’Espagne à 5 millions d’euros. Le représentant des industriels aimerait aussi qu’un organisme indépendant détermine désormais ce préjudice, loin des intérêts en présence.
Heger reprochera le méli-mélo de la commission copie privée où face à 6 industriels et 6 consommateurs, les 12 ayants droit sont en situation de force pour négocier les montants qu’ils perçoivent sur les supports vierges: « mais quand sur votre voiture vous avez un préjudice, ce n’est pas vous qui le définissez. Il n’y a pas de négociation, un expert indépendant le détermine. ». Le délégué général du Simavelec constatera les bugs en série, fruits de ces travaux : les décisions 7, 8, 9, 10 et 11 de la Commission copie privée ont toutes été annulées au Conseil d’État.
Bernard Heger (Simavelec)
Heger rafraichira à ce titre l’un des nombreux épisodes de cette série : en juillet 2008, le Conseil d’Etat annule des barèmes copie privée, car ceux-ci étaient gonflés par la prise en compte du piratage. Les ayants droit se devaient de supprimer les sources illicites et revoir leur tarif qu’on attendait mécaniquement à la baisse. Mais, magie ! Leur nouveau barème a été fixé à des montants identiques « au centime près ! ». Comment ? Ils sont sortis de leur chapeau un autre paramètre, le taux de compression qui a permis à ces bénéficiaires de conserver intacte la manne. (voir l’interview de Thierry Desmuront, de la SACEM)
Les sources illicites ne sont pas les seules accusées par Bernard Heger. « Quand un radiologiste achète les données de ses patients, ce n’est pas de la copie privée ! Il faut retirer tous ces achats des calculs ». Pendant des années les pros ont dû payer sans rien dire. Aujourd’hui, après un nouvel arrêt du Conseil d’État et une loi, on sait la situation : les professionnels peuvent se faire théoriquement rembourser ces sommes indues. En pratique, cette possibilité est bloquée par la combinaison d’un formalisme impossible et d’un bug comptable.
La Sacem justifie la rémunération pour copie privée
Laurent PetitGirard (Sacem) ne rentrera pas dans ces détails. Il se fera davantage l’étendard « des plus fragiles » : « quiconque bénéficie d’une façon directe ou indirecte du droit d’auteur doit participer au financement de la création. C’est absolument normal et essentiel ». Le président du Conseil d’administration de la Sacem accentuera son attention sur le 25% culturels, cette part de la copie privée qui doit être conservée par les SPRD pour être réinvestie dans le spectacle vivant (mais aussi les frais de lobbying, de défense juridique, etc.), soit 50 millions d’euros par an. Cette portion de préjudice qui n’est pas reversée aux victimes, mais conservée et réinvestie par les SPRD est menacée actuellement devant la CJUE. Si elle saute, il n’est pas sûr que le ministère de la Culture puisse venir compenser, craint PetitGirard.
Laurent Petitgirard (Sacem)
Celui-ci regrette que cette copie privée soit « avant tout ressentie comme une baisse des marges bénéficiaires de grands importateurs ou industriels, et pas suffisamment comme un élément essentiel d’apports de contributions ». Le chef d’orchestre préfère flatter l’effet vertueux du dispositif : plus les industriels vendront des produits plus la diversité sera dense et plus les consommateurs achèteront des produits.
DRM, Blu-Ray, streaming et copie privée ?
Édouard Barreiro (UFC Que Choisir) réexpliquera pourquoi l’association refuse de réintégrer cette commission : « les ayants droit font passer toutes les décisions qu’ils souhaitent », avec des préjudices, des barèmes, des calculs qui évoluent en fonction de leur appétit. Le directeur des études de l’association en est certain : « Toutes les copies ne peuvent être assimilées à un préjudice ». Et d’ailleurs des consommateurs payent souvent pour une possibilité de copie qui n’existe pas du fait de la démultiplication des DRM, le streaming, la location, etc. Il y a d’ailleurs des secteurs qui touchent la copie privée alors qu’« il n’existe aucun contenu copiable ». C’est celui de l’audiovisuel : DRM et Blu-Ray sont protégés contre la copie. Quant à la télévision, les pratiques ont surtout tendance à se raréfier.
Edouard Barreiro (UFC Que Choisir)
En réponse à Petitgirard, Édouard Barreiro considère que ce n’est pas aux ayants droit de décider de la politique culturelle du pays avec ces 25 % qu’ils peuvent investir comme ils veulent, ou presque. Il se souvient du coup des propos du numéro un de la SACEM, Jean Noel Tronc, qui avait expliqué à Dijon que ces sommes permettaient aussi aux ayants droit de sensibiliser les parlementaires à leurs intérêts…(vidéo) « Il faut que le préjudice soit déterminé dans un organisme totalement indépendant et que ces 25 % soient assumés par le budget de la Culture », et donc fiscalisés.
Une commission paritaire selon Pascal Rogard
Pascal Rogard (SACD) débutera ses propos par quelques affirmations : la copie privée est une rémunération « pas une taxe ». Et les fameux « industriels » sont surtout des importateurs ou des distributeurs travaillant pour des géants qui ne payent pas leurs impôts en France. Il témoignera aussi d’un certain agacement puisque ce n’est pas la première fois que des membres de la commission Copie privée quitte cette instance. « On a des gens qui rentrent, qui sortent, qui rentrent, qui sortent… ». Selon lui « la commission est paritaire » avec d’un côté ceux qui la payent (6 consommateurs et 6 industriels) et ceux qui en bénéficient (les 12 ayants droit).
Pour répondre à ceux qui critiquent les montants français (les plus élevés en Europe), Pascal Rogard relativise : « on compare des niveaux de vie qui n’ont rien à voir entre les pays, les usages de copie privée n’ont rien à voir et il y a des systèmes différents ». Enfin, « le conseil d’État n’a jamais annulé une seule décision de la commission copie privée parce que ces barèmes étaient excessifs ». Le directeur général de la SACD consent simplement « un problème juridique » car « nous avions tenu compte des copies illicites dans les copies indemnisées, maintenant c’est terminé. » Un problème « juridique » aux retombées en or puisqu’il a permis aux ayants droit d’augmenter leurs entrées d’argent frais durant des années sur le dos des acquéreurs.
Pascal Rogard (SACD)
2000 personnes morales exonérées, sur 4,5 millions
Sur la question des professionnels justement, Rogard dira que les ayants droit ont à ce jour signé quelque 2000 conventions d’exonération avec des entreprises et des associations (ces exonérations sont antérieures à la loi de 2011).
Le chiffre des 2000 exonérations pourra séduire les députés, sauf ceux qui se souviennent qu’en France on compte 3,5 millions d'entreprises et 1 million d'associations, qui, elles, doivent toutes payer ce qu’elles ne doivent pas payer. Et les rares qui tentent de se faire rembourser, ne le sont pas.
En effet, pour se faire rembourser, les non-particuliers doivent fournir une facture qui chiffre le montant de la copie privée du support fraichement acheté. Or, cette information n’apparaît jamais lors de l’achat sauf cas rarissime et sur demande. En outre, un bug de TVA, décelé depuis un an, bloque les rares remboursements qui ont pu être réclamés par ces entités. Rogard : « Il y a actuellement 60 000 euros à rembourser (en fait 70 000, NDLR), pour lesquels il y a eu des demandes de remboursements, qui effectivement ne peuvent pas être remboursés puisque l’État ne nous a pas dit quel pouvait être le taux de TVA applicable. Mais je vous redonne le chiffre, c’est 60 000 euros. On n’est quand même pas dans un sujet qui peut intéresser longtemps la représentation nationale. »
La représentation nationale pourra cependant revenir sur l’étude d’impact de la loi sur la Copie privée. Selon la fourchette donnée, entre 292 millions et 438 millions d’euros ont été prélevés sur le dos des professionnels, alors que la directive européenne l'interdit depuis 2002. L’argument est d’ailleurs en train de faire mouche dans une procédure lancée par Imation devant le TGI de Paris.
Une parité qui fait un bide
La séance des questions avec les parlementaires a été nettement plus riche que les précédents débats sur le sujet dans l’hémicycle. L’argument de Rogard assurant que la commission copie privée est paritaire fera un bide chez de nombreux députés. Ceux-ci savent que les intérêts des industriels ne sont pas ceux des consommateurs et qu’en face, les bénéficiaires parlent eux d’un seul bloc.
Christian Kert (UMP) : « la commission copie privée fonctionne visiblement mal ou disons, pour être correct, difficilement. On peut pointer que les ayants droit y sont majoritaires ce qui biaise par définition le processus de négociation (…) et on peut souligner le nombre impressionnant d’arrêts du Conseil d’État venant annuler les décisions de la commission depuis 2006 ». Kert demandera à la Commission d’auditionner la ministre de la Culture et le ministre du Budget « qui reste silencieux sur le sujet malgré les difficultés ». Le groupe UMP veut d’ailleurs ainsi savoir si le PS compte proposer un projet de loi pour faire face à la crise, ou bien a contrario continuer comme si tout allait pour le mieux.
Isabelle Attard (écologiste), plus mordante encore, taclera les montants perçus, le manque de transparence, le déséquilibre au sein de cette commission où des ayants droit fixent leur barème. « Si les décisions 7 à 11 ont été annulées, peut-être faut-il passer à un autre modèle », en tout cas pas par ce moyen qu’elle juge « inéquitable ». À Pascal Rogard : « vous dites que les professionnels peuvent signer des conventions s’ils veulent être exonérés de cette RCP. Attendez, les professionnels vous leur demandez aussi de signer une convention pour ne pas payer la TVA ? Non, ils ne payent pas la TVA, c’est d’office pour les professionnels ! » Se faire exonérer pour ne pas payer ce qu’on n’a pas à payer, c’est aussi ça le charme de la copie privée.
Le discours sur la parité chanté par Rogard ne prendra pas plus chez Marcel Rogemont (PS) : « les ayants droit ne sont pas majoritaires, ils représentent 50% plus 6 représentants associatifs, et 6 représentants des industriels. » Le député de la majorité se demande d’ailleurs s’il ne serait pas judicieux de rapatrier les décisions copie privée dans un environnement gouvernemental. La CCP serait toujours là, mais uniquement pour donner des avis préalables.
Le député UMP Lionel Tardy a lui repris une série de problématiques soulevées dans une précédente actualité : outre la situation des professionnels qui payent à tort et ne sont pas remboursés, il demande un détail des manifestations financées avec les 25% de la copie privée, il veut encore savoir par quel secret les nouveaux barèmes votés à la suite de la loi du 20 décembre 2011 augmentent alors qu’ils doivent purger les sources illicites et celles réalisées par les professionnels.
Une offensive générale contre la copie privée ?
Pascal Rogard préfèrera dénoncer une « offensive généralisée sur le plan européen des grandes multinationales qui fabriquent ces appareils (…) pour détruire le système de la copie privée (…) En Allemagne (…) il y a 80 contentieux sur la rémunération pour copie privée, c’est dans tous les pays d’Europe ». Quelle belle société ce serait si on ne pouvait pas faire de recours, lui opposera Bernard Heger. Celui qui représente l’industrie de l’électronique apprécie peu cette mise en cause : « ceux qui détruisent le système, c’est ceux qui confondent copie privée avec piratage ! » (…) on copie de moins en moins, les barèmes augmentent. Ça, c’est la destruction (…) Allez à la FNAC acheter 10 DVD. Pour le même prix, vous en avez 100 en Allemagne. »
Édouard Barreiro ne sera pas plus satisfait du joli conte opposant les méchants fabricants étrangers qui ne payent pas d’impôt en France et les gentils ayants droit français, appauvris, qui protègent l’exception culturelle française. « Les maisons de disques qui se sont bien débrouillées ont perdu en chiffre d’affaires, mais leur rentabilité a explosé. Ils gagnent beaucoup plus d’argent qu’avant ! Pourquoi ? Car ce sont ces gens-là qui s’appuient sur Apple, Amazon, Google, qui vendent très chèrement des licences, qui vendent leur âme à ces fameux importateurs, et demain, on va nous expliquer que ces entreprises-là ne veulent pas défendre le pluralisme, la Culture française ? Mais c’est normal, ce sont des boites américaines, elles doivent vendre des iPod ! Comment voulez-vous qu’elle valorise Hervé Villard ? Non, elles vont défendre Rihanna, c’est logique. On a des entreprises qui viennent se plaindre des grandes boites américaines et qui passent leur temps à leur vendre leur catalogue. Et en France, on a des acteurs français qui meurent, comme Jiwa ».
Le responsable des études de l’UFC citera aussi Deezer qui ne gagne pas un sou « car la grande industrie préfère donner de l’argent aux grands acteurs ». L’intéressé insistera quelques instants plus tard : « vous signez avec ces géants-là, vous nourrissez le monstre que vous combattez ! À un moment il faut être un peu cohérent ». D’ailleurs le même jour de cette audition, la SACD faisait partir un communiqué pour annoncer qu’elle signait un accord avec YouTube…
De toute façon, la fiscalité est un non-sujet sur la copie privée, puisque ce n’est pas en l’état une taxe : « quand on arrive à parler de fiscalité sur des sujets qui n’ont strictement rien à voir, c’est qu’on a vraiment plus d’arguments. »
L'erreur de la DADVSI
Rogard se plaindra aussi d’une erreur législative. « L’erreur qui a été faite c’est en 2006 (vote de la loi DADVSI, ndlr). À l’époque le gouvernement n’a pas voulu tenir compte des évolutions du numérique, et dans cette loi on n’a pas redonné un coup de jeune à la rémunération pour copie privée pour tenir du fait que l’univers du numérique ce n’est pas tout à fait pareil de l’univers analogique ». La directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information de 2001 dit aussi que seul le particulier doit payer cette RCP. En France, ce n’est qu’après l'arrêt Padawan de la CJUE en 2010 et un arrêt du Conseil d‘État en 2011 que les ayants droit ont compris qu'il fallait « tenir compte » de cette grille de lecture...
L'UFC et la transparence de la commission copie privée
A la fin des débats, Rogard s’en prendra aussi à l’UFC Que Choisir, autrefois membre de la Commission copie privée. «Ceux qui rentrent et qui sortent de la Commission ne sont pas sérieux. L’UFC Que Choisir a fait partie de la Commission copie privée, pendant deux ans, ils ne sont pas venus ! Que pensez-vous de quelqu’un auquel le gouvernement donne une mission et qui ne vient pas ? » Il se souvient alors qu’ « Eric Besson et Christine Albanel ont pris une décision : les gens qui ne viennent pas, au bout de trois fois, on les sort. On a sorti Que Choisir, on a fait entrer une organisation de consommateur ! »
La commission copie privée aurait-elle la catapulte sélective ? Depuis la fin 2011, l’Aproged, une des associations de consommateurs a été absente de la CCP. Pendant une année, les ayants droit ont donc été en majorité absolue en son sein pour élaborer les nouveaux barèmes, sans que le président de la Commission copie privée n’y voie que du feu. Ce n’est que récemment qu’un arrêté a remplacé cette association défaillante. Cela tombe au mieux, les nouveaux tarifs (essentiellement à la hausse) ont été négociés et sont à deux doigts d’être votés maintenant.
À cette mise en cause, Édouard Barreiro a mis son point final : oui l’association siégeait, mais à un moment donné, puisque les votes des ayants droit passaient du fait de leur surnombre, elle n’est plus venue. Le responsable des études de l’UFC apporte un fait intéressant. Il rappelle qu’il avait été interlocuteur de la reformation de la composition de la commission copie privée. « On m’a demandé si je voulais siéger, j’ai dit oui à condition qu’on s’engage à mettre des barèmes transparents, etc. Quelques semaines après, la DGCCRF me dit que le PV est publié, vous êtes dans la Commission. Au moment où il est rendu public, je n’étais plus dedans. (…) Personne ne voulait nous voir dans cette commission, car ils savaient très bien ce qu’on allait demander : la transparence. »