Questionné par un sénateur, Bernard Cazeneuve s’oppose à la création d’une agence européenne du renseignement. Plus exactement, il estime que trop de contraintes stratégiques et juridiques empêchent l’avènement d’un tel pôle de coordination.
« Il n'y a pas de renseignement harmonisé sur le plan européen » regrette ainsi Alain Houper, sénateur LR de Côte-d’Or. Or selon lui, « il est plus que nécessaire de combattre ensemble, main dans la main, les foyers du radicalisme ».
Du traité de l'Union à des impératifs stratégiques
C'est peu de le dire, mais l’idée qui revient régulièrement sur la scène n’a pas les faveurs de la place Beauvau. Hier, Bernard Cazeneuve a ainsi rappelé au parlementaire que ce sujet était de compétence gouvernementale, l’Union européenne n’ayant pas de compétence en matière de sécurité intérieure. La faute à l'article 4.2 du traité de l’Union européenne qui prévient en effet que « l'Union respecte (…) les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ».
Dans la pratique, ajoute-t-il, « ni l'Union européenne, ni ses agences ne seraient concrètement en mesure de s'astreindre aux nombreuses et très spécifiques contraintes atypiques régissant la réalité quotidienne des services de renseignement ». La mutualisation de ces services est en réalité impossible : « protection des sources, maitrise de la stratégie d'un service à l'égard d'un partenaire, y compris non européen, primauté de l'autorité du ministre de tutelle sur ses services de renseignement, propriété du renseignement, hétérogénéité des cadres légaux qui témoigne de traditions nationales particulières, exigences d'habilitation… ». Chacun de ces points empêche l'éclosion d'une telle agence européenne qui permettrait d'harmoniser le travail des services.
Des coopérations bilatérales
Toutefois, il faut relativiser. Cette situation n’interdit pas la mutualisation des connaissances, nouée au titre de la seule compétence gouvernementale. « Depuis de nombreuses années, la DGSI, en renseignement, coopère étroitement avec ses partenaires européens » rappelle en ce sens le ministre. Autre exemple, « le GAT (Groupe anti-terroriste) rassemble les services de renseignement intérieurs des 28 pays de l'UE, de la Suisse et de la Norvège ». De même encore, le Système d'Information Schengen (SIS) permet d’effectuer un signalement « systématique et réciproque » des individus jugés dangereux.
D’autres coopérations bilatérales ont mis sur pieds notamment entre la France et le Belgique sur le terrain judiciaire cette fois. « Un fonctionnaire de chaque direction centrale de la police judiciaire sera prochainement affecté au sein de la direction homologue de l'autre pays. L'équipe commune d'enquête franco-belge, mise en place à la suite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, a prouvé toute sa pertinence et obtient déjà de très bons résultats, les deux gouvernements souhaitant ainsi généraliser ce dispositif ».
Malgré cela, l’avènement d’une telle agence n’est pas vraiment souhaité par l’Intérieur. « D'un intérêt communautaire partagé, le renseignement – notamment antiterroriste - doit être évidemment, mais intelligemment mutualisé. Cependant, dédié à la protection des intérêts fondamentaux de chaque État, il ne peut être géré au niveau communautaire ».