Depuis novembre 2015, les prorogations successives de l’état d’urgence ont conduit la France à demander systématiquement à déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme. Déjà trois déclarations ont été adressées au Conseil. Bientôt quatre.
L’extension de l’état d’urgence, à coup de lois d’exception votées depuis les attentats de novembre 2015, a été accompagnée systématiquement d’une demande de dérogation adressée au Secrétaire général du Conseil de l’Europe. Dans ces courriers, elle lui indique à chaque fois qu’elle risque de devoir déroger à la Convention européenne des droits de l’Homme. En temps normal, celle-ci prévoit en effet une série de garanties susceptibles d’être bafouées et donc de générer autant d’actions en justice.
Cette procédure, doublée auprès des Nations Unies, est elle-même prévue par l’article 15 de la Convention de sauvegarde, lequel permet de mettre entre parenthèses le respect dû à la vie privée, à la liberté de circulation, etc. Bref, aux différentes garanties dans l’hypothèse d’une guerre voire comme ici, « d’un autre danger public menaçant la vie de la nation ».
Elle avait été initiée par la France dès la première période d’état d’urgence (voir ce courrier de la représentation permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe en date du 24 novembre 2015). Seulement, comme nous le souligne le juriste Nicolas Herviau sur Twitter, « une nouvelle déclaration doit être notifiée à chaque renouvellement ». Et c’est effectivement ce qui s’est passé.
Déjà trois déclarations depuis novembre 2015
Une telle annonce avait été adressée au Conseil pas plus tard que le 25 février 2016 dernier, au motif que « la menace terroriste, caractérisant « un péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public », qui a justifié la déclaration initiale et la première prorogation de l'état d'urgence, demeure à un niveau très alarmant ainsi que le démontre l'actualité nationale et internationale ». Paris justifiait ainsi de la prorogation de 3 mois inscrite dans la loi du 19 février 2016 par le fait que « le bilan des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence depuis le 14 novembre dernier a confirmé la nécessité de ces mesures pour prévenir de nouveaux attentats et désorganiser les filières terroristes ».
La deuxième déclaration de dérogation
Le 25 mai, une « Note Verbale de la Représentation Permanente de la France » calquait encore l’argumentaire, mettant toujours en avant la persistance d’une menace terroriste « d’intensité élevée », laquelle « se conjugue avec deux grands événements sportifs, le championnat d’Europe de football (EURO 2016) qui va se dérouler du 10 juin au 10 juillet 2016 et le Tour de France cycliste organisé du 3 au 24 juillet 2016 ».
La troisième déclaration de dérogation
Deux mois avant le massacre de Nice, la France prévenait néanmoins que la nouvelle loi de prorogation excluait les perquisitions, notamment informatiques. « En effet, cette mesure, qui a été très utile après les attentats du 13 novembre 2015, afin de corroborer ou lever des doutes sur des individus suivis par les services de renseignement, ne présente plus le même intérêt aujourd’hui, la plupart des lieux identifiés ayant déjà fait l’objet des investigations nécessaires ».
Une quatrième déclaration de dérogation attendue cette semaine
La période couverte par cette dérogation s’étend jusqu’au 26 juillet. Cette semaine, donc, la France devrait sans surprise demander une nouvelle application de l’article 15, sachant qu’elle devra soigner son argumentaire. D’une part, l’état d’urgence a été prorogé cette fois de 6 longs mois, non plus deux ou trois comme précédemment. De plus, les pouvoirs des autorités administratives sont montés d’un cran avec la dernière mouture.
Outre le retour des perquisitions informatiques, le texte consacre à nouveau la possibilité de saisir ces données. Une nécessité qui fait suite à la censure constitutionnelle de février dernier qui a étrillé le manque de garanties dans ces copies. Enfin et surtout, le législateur a assoupli la possibilité pour les services de réaliser un suivi en temps réel de toute personne en liaison même lointaine avec une menace terroriste. Une possibilité non corrélée par l’état d’urgence, qui survivra donc bien au-delà de janvier 2017.
Une procédure sous conditions
Cette procédure devant le Conseil de l’Europe n’est pas sans condition, ni donc sans risque juridictionnel puisqu’elle n’est possible que dans la « stricte mesure où la situation l’exige » dixit l'article 15. De même, les mesures prises ne doivent pas être « en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international ». Enfin, il n’y a aucune dérogation possible aux articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture) 4 paragraphe 1 (ni esclavage ni servitude) et 7 (pas de peine sans loi) de la CEDH.
S’agissant de ce principe de nécessité et de proportionnalité, rappelons que si le terrorisme justifie l’état d’urgence, l’état d’urgence peut frapper autre chose que le terrorisme. Les textes permettent d’appliquer ces mesures exceptionnelles (perquisitions informatiques, assignations à résidence, etc.) à l’encontre « de toute personne (…) à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ».