Molotov vient de mettre en ligne sa version Linux, exploitant AppImage. Le service propose ainsi une solution intéressante pour l'accès multiplateforme, et commence à mettre en lumière tout ce qui ne va pas dans la stratégie des chaînes et des FAI en France.
Molotov est désormais disponible depuis une semaine. Et si le service n'a toujours pas réactivé son service de « Bookmarks » permettant d'enregistrer des programmes à venir, l'équipe continue de faire évoluer ses applications.
Molotov passe sous Linux sans peine
Hier, elle a ainsi annoncé l'arrivée d'une version bêta sous Linux. Comme nous l'avions évoqué lors de notre analyse du service, cela a été facilité par la conception même de l'application Molotov qui se base sur le Framework Electron et des technologies Web. De quoi permettre une diffusion multiplateforme et une expérience unifiée.
Ainsi, l'application est proposée sous la forme d'un package comprenant Chromium et le plugin Widevine CDM pour la gestion des DRM. Sous Linux, il existe néanmoins une problématique que l'on ne retrouve pas forcément sous OS X (macOS) ou Windows : le besoin de s'adapter à chaque distribution.
Oyez, amis sur Linux! une 1ère version de Molotov est disponible en beta https://t.co/3FM2vefxDp #feedbackplease pic.twitter.com/DQPeZlf3i8
— Molotov (@MolotovTV) 19 juillet 2016
Un fichier unique via AppImage
Pour éviter cela, l'équipe de Molotov a eu la très bonne idée de se baser sur AppImage (ex-Klik et PortableLinuxApps), qui a justement été pensé pour proposer une sorte de fichier exécutable « portable », indépendant de la distribution utilisée. Une approche qui n'est pas sans faire penser à ce que tente de faire Canonical avec ses Snaps.
Mais ici, aucune installation n'est nécessaire, pas plus qu'un accès « root », et aucune validation spécifique n'est mise en place. Un fichier AppImage peut très bien être lancé dans un environnement de type Live CD. Il contient tous les éléments nécessaires dans une sorte d'image qui est « montée » afin de permettre de lancement de l'application.
Comme un .APK sous Android, le fichier se télécharge depuis un serveur et peut ensuite être lancé (sous réserve qu'il soit rendu exécutable). Des éléments qui incitent certains à voir AppImage comme une manière de diffuser facilement des fichiers malicieux, le récent cas de Pokemon Go nous a montré qu'une distribution qui n'était pas un minimum contrôlée ou qui ne proposait pas d'éléments de sécurité pouvait poser problème.
De plus, ces applications ne sont pas lancées par défaut dans une « sandbox », ce qui est néanmoins possible via Firejail. Pour éviter tout problème, on ne peut qu'inciter Molotov à diffuser son fichier accompagné d'un hash et éventuellement une signature, qui pourraient permettre de vérifier son authenticité, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Des problèmes à régler sous certaines distributions
Quoi qu'il en soit, l'utilisation d'AppImage ne garantit pas forcément un fonctionnement sans encombre sur n'importe quelle distribution. Oubliez par exemple un fonctionnement sur Raspbian et un Raspberry Pi par exemple. Nous avons néanmoins pu faire fonctionner le fichier sans encombre sous Ubuntu, et certains mentionnent que cela est aussi fonctionnel sous Debian.
De notre côté, nous avons testé hier soir sur une machine utilisant Fedora 24, et nous avons eu droit à un message d'erreur. Molotov ne proposant ni FAQ ni support détaillé sur ses différents clients pour le moment, il faudra sans doute attendre une mise à jour pour que cela soit corrigé.
Bien entendu, si vous rencontrez d'autres problèmes ou trouvez des solutions, n'hésitez pas à le faire savoir au sein de nos commentaires.
./Molotov-0.9.2.AppImage
/tmp/.mount_KvvSnH
$XDG_DATA_DIRS is missing.
Please run /tmp/.mount_KvvSnH/AppRun from within an AppImage.
Les services de vidéo sous Linux : une plaie
Reste qu'avec cette annonce, Molotov se permet de proposer une solution intéressante qui n'avait été exploitée par aucun de ses concurrents. En effet, la lecture de contenu vidéo protégé sous Linux est un problème depuis des années, et il peine à être corrigé.
Le fait de passer par une application permet à Molotov de proposer une solution simple. Celle-ci intégrant Chromium et la gestion des DRM, un adepte de Firefox n'aura ainsi pas à changer ses habitudes. Néanmoins, on apprécierait tout de même que le service soit aussi accessible simplement via son site web, au moins de manière complémentaire à cette application.
Mais même sans cela, Molotov apparaîtra dans les bons élèves. Son service permet en effet de disposer de n'importe quel flux TV sans publicité complémentaire, là où ses concurrents en abusent fortement, sans forcément assurer un service sous Linux.
Arte et France Télévisions restent néanmoins de bons élèves, puisque selon nos tests, leurs services fonctionnent aussi bien sous Firefox, que Chromium et Linux. Le premier ne semble pas ajouter de publicité à ses flux.
MyTF1 fonctionne parfaitement sous Chrome et Chromium, multipliant les périodes de plus de 100 secondes de publicité à chaque lancement d'un programme. Sous Firefox, nous avions le plus souvent droit à un écran noir avant la fin de la publicité, nous empêchant de regarder le programme.
6Play, malgré sa refonte récente, reste le vrai mauvais élève. En effet, le service est incapable de diffuser une série ou une émission sous Chromium, Chrome ou Firefox. On nous invite en effet à télécharger une version mise à jour de Flash. Et ce, alors que la publicité est diffusée sans aucun souci par paquets de plus de 100 secondes.
Le groupe Canal et ses différents services (MyCanal/CanalPlay) nécessitent Chrome afin d'exploiter leur lecteur HTML5 open source, tout comme Netflix. Du côté de chez OCS, malgré de nombreuses promesses, HTML5 ne vient toujours pas à la rescousse des adeptes de Linux, le service préférant afficher un message évoquant la fin du support de Silverlight par Chrome.
Notez que du côté des FAI, si ce sont surtout les applications pour smartphones et tablettes qui ont la cote en général, Free est l'un des rares à proposer de lire les flux des principales chaînes en direct (hors celles des groupes M6 et TF1) via VLC à travers une playlist.
Android grand oublié de Molotov
À peine disponible, Molotov est donc déjà proposé sous Linux, OS X, Windows ainsi que sur iOS et tvOS. Outre l'absence d'une version web, reste donc une plateforme absente de cette liste : Android.
Pour rappel, Molotov a accordé une exclusivité à Apple et a bénéficié d'une mise en avant lors de la dernière WWDC. Android et Android TV devraient donc arriver dans un second temps, apparemment à la rentrée. Et c'est sans doute là que le service pourra montrer tout son potentiel.
Comme toujours, des fichiers APK sont déjà disponibles, mais nous ne pouvons que vous inciter à la plus grande prudence et à faire attention à l'endroit d'où vous récupérez de tels fichiers.
Une nouvelle ère pour les box ?
Car outre la dernière Apple TV, l'intégration aux appareils Android TV permettra enfin de voir ces appareils pour ce qu'ils sont censés être : une nouvelle génération de box. Alors que les chaînes et FAI peinent à proposer de réelles innovations sur celles qu'ils fournissent à leurs clients, se limitant souvent à des plateformes matérielles anémiques pour 2016 (voir le cas des Bbox Miami, Cube S, Freebox Mini 4K ou de la Nouvelle Livebox) et des écosystèmes logiciels fermés (lorsqu'il ne s'agit pas d'Android TV), on va désormais disposer d'une réelle alternative.
Les clients pourront ainsi utiliser n'importe quel appareil sous Android TV ou tvOS et installer les applications et jeux de leurs choix à travers un large catalogue, ainsi que Molotov pour accéder à l'ensemble des programmes TV en complément d'AirPlay/Chromecast. Chose qui n'était pas possible avant l'arrivée du service français puisque les chaînes refusaient de développer des applications pour ces plateformes.
Ainsi, en s'évertuant depuis des années à bloquer ces solutions, sans jamais prendre la peine de travailler à des plateformes ouvertes alternatives françaises (ou européennes) viables, les éditeurs et FAI ont une fois de plus montré que la vision « Minitel » qui était la leur ne pouvait être que dévastatrice à long terme. Il est d'ailleurs assez ironique que ce soit finalement une société française, créée en partie par d'anciens de la télévision, qui permette de le mettre en valeur.
Surtout une nouvelle contrainte pour les chaînes et les FAI
Pour autant, cette « révolution » devrait se faire lentement. Si les box évoluent peu et restent une manière d'enfermer les clients dans un environnement où une partie des revenus revient à ceux qui les proposent, elles sont rentrées dans les mœurs. Le grand public n'ira pas demain s'équiper en masse d'une Apple TV 4e génération ou d'une Shield Android TV afin de la remplacer en utilisant Molotov.
De plus, il n'existe que peu d'offres d'accès internet sans box TV et sans option TV à un tarif très compétitif, notamment parce que les box participent clairement à tirer vers le haut les revenus (ARPU) des acteurs du secteur. Si cela venait à changer, c'est sans doute une partie de l'équilibre des tarifs des forfaits qui sera chamboulé.
De son côté, Molotov doit encore faire face à ses propres défis, et notamment le blocage de son option de « Bookmark » qui reste pour le moment indisponible. La faculté de réaliser des copies privées, qui se cache derrière l’anglicisme, est vue d’un très mauvais œil par les chaînes qui craignent pour la pérennité de leur modèle.
Plutôt que de passer en force, comme le lui autorise la toute récente loi Création, Molotov a préféré baisser la garde et d’opter pour une négociation de dernière minute avec les mastodontes du petit écran. Il en est de même pour le replay de certaines chaînes qui ne voient pas d'un bon œil l'arrivée d'acteurs sur des plateformes qu'elles essaient elles-mêmes de monétiser à coup d'envahissement publicitaire (voir le cas de MyCanal avec TF1 et M6).
La route sera donc sans doute encore longue, mais le ver est dans le fruit. Il sera sans doute difficile de revenir en arrière, à moins que chaînes comme fournisseurs d'accès finissent par comprendre que l'expérience du client reste un élément essentiel. Et ce n'est ni en lui mettant des bâtons dans les roues, ni en ne lui proposant que des boxs dépassées, qu'ils vont réussir à préserver leurs revenus dans les années à venir.