Le groupe de travail lancé l’année dernière par les députés socialistes au sujet notamment des « amendements citoyens », que les électeurs pourraient proposer via Internet, semble plus que jamais dans l’impasse. Certains élus espèrent désormais que le débat autour des nouvelles formes de participation à la vie publique (consultations en ligne...) ait lieu à l’occasion de la prochaine campagne présidentielle.
« Si l'amendement citoyen avait existé, regrette aujourd’hui le député Olivier Faure, il aurait été assez facile d'organiser un débat entre les parlementaires et les opposants au projet de loi El Khomri. Les manifestants auraient cherché à créer un rapport de force dans la rue et dans les signatures sur leurs amendements, qui auraient été discutés de la même façon que ceux des parlementaires. Ça aurait été une excellente façon pour eux de trouver un débouché – en sachant évidemment que ça ne garantit pas la victoire sur tous les sujets. » La secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire, avait-elle aussi émis des regrets similaires au mois de mars, affirmant qu’une consultation en ligne sur la loi Travail aurait pu améliorer le dialogue social...
Mais consultations en ligne et « amendements citoyens » sont relativement différents. S’il est question de faire appel aux idées des internautes dans un cas comme dans l’autre, les modalités de recueil de ces contributions et les suites qui y sont accordées diffèrent assez profondément.
Dans le cadre par exemple de la consultation en ligne organisée sur l’avant-projet de loi Numérique, certaines propositions largement soutenues n’ont finalement pas été débattues par le Parlement, alors que d’autres, très faiblement suivies, ont trouvé un écho favorable auprès du gouvernement et des assemblées (voir notre décryptage). De plus, Bercy a certes pris le soin de répondre à plusieurs dizaines de participants, mais ces retours n’étaient pas toujours des plus convaincants – sans parler des internautes n’ayant eu aucune réponse.
Avec les amendements citoyens, les parlementaires seraient obligatoirement tenus de débattre des amendements soumis par des électeurs, via une plateforme prévue à cet effet, à partir du moment où ceux-ci atteindraient un certain nombre de soutiens (un seuil de 45 000 personnes avait par exemple été évoqué). Bien entendu, rien ne garantirait que ceux-ci soient adoptés – bien au contraire – mais les élus et le gouvernement se verraient contraints de prendre position. Un compte rendu vidéo et écrit serait par la suite envoyé à toutes les personnes ayant « voté » pour un amendement citoyen.
« C’est vraiment au point mort » déplore une députée
Cette piste des amendements citoyens, mise en avant l’année dernière par Olivier Faure, avait suscité un certain engouement, au point qu’un groupe de travail fut mis en place, après la rentrée de septembre, par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, afin de se pencher – entre autres – sur cette proposition. Une feuille de route assez ambitieuse fut alors fixée, avec en ligne de mire de possibles expérimentations lors de la session parlementaire 2015-2016. Mais aujourd’hui, force est de constater qu’aucun exercice de ce type n’a été proposé aux citoyens...

« Où on en est ? En réalité... Nulle part » soupire Olivier Faure. « C’est vraiment au point mort », confirme la députée Colette Capdevielle. Quelques auditions ont bien été organisées fin 2015, mais celles-ci se seraient raréfiées au fil du temps. La nomination de Dominique Raimbourg, président de ce groupe de travail, à la présidence de la commission des lois (en février dernier, en remplacement de Jean-Jacques Urvoas, devenu ministre de la Justice) n’a apparemment pas aidé...
L’entourage de l’élu socialiste dément pourtant catégoriquement : « Le groupe de travail n’est pas au point mort ! » Plusieurs auditions auraient d’ailleurs eu lieu le mois dernier, notamment des associations Regards Citoyens et Démocratie Ouverte, ou bien encore de l’historien Nicolas Roussellier. « Un premier rendu de ces travaux aura pour débouché un « cahier de la présidentielle » du PS qui portera sur les questions de démocratie et qui sera élaboré cet été, promet-on au cabinet de Dominique Raimbourg. Le groupe pourra continuer ses travaux à la rentrée. »
Un remède pour « oxygéner la vie parlementaire »
« Le groupe de travail a une vocation plus large [que les seuls amendements citoyens], concède Olivier Faure. Beaucoup sont dans l'idée de la consultation, dans la première phase, avant le dépôt des amendements, ce que fait déjà le gouvernement aujourd'hui. Mais pour moi, ça ne va pas assez loin... Ce n'est pas seulement la consultation, c'est aussi la capacité à imposer un débat : c'est ça que je trouve intéressant, de la même façon qu'il existe déjà un droit de pétition dans un certain nombre de parlements, comme au Royaume-Uni par exemple. Ça permet d'obliger à un moment donné les parlementaires à se positionner par rapport à un sujet qu'ils n'avaient pas forcément envisagé eux mêmes ou qu'ils voulaient éviter parce qu'ils le considéraient comme subalterne, anecdotique, tabou, tout ce qu'on veut... » Et le député de citer en exemple la délicate question de la transparence de la vie publique, arrivée au Parlement après le scandale de l’affaire Cahuzac.
Mais comment expliquer que cette piste suscite des réticences ? « Il y a des résistances qui sont liées au fait que pour nombre de parlementaires, le privilège du député ou du sénateur, c'est à la fois le choix de ses amendements, mais aussi le vote des amendements, analyse Olivier Faure. La crainte d'être un peu forcé par la société civile sur tel ou tel sujet pousse quelques parlementaires à considérer que c'est un amoindrissement de la démocratie représentative. Ce qui est en partie vrai. Mais pour moi, le fait de représenter les électeurs repose dans la décision. Ce qui nous est demandé, c'est d'avoir la capacité à juger du bien-fondé de telle ou telle option qui est ouverte par le gouvernement ou certains parlementaires. »
D’après l’élu, « c'est tout le drame du Parlement que d'être devenu un théâtre d'ombres où les débats ne sortent jamais de l'hémicycle et où personne ne s'intéresse à nous, sauf cas très particulier ». Olivier Faure estime que les amendements citoyens permettraient ainsi de rendre les débats parlementaires plus attractifs, tout en les enrichissant de différentes contributions. « Ce n'est pas une prime à la démagogie, se défend-il néanmoins. C'est à nous de répondre à la démagogie, et c'est une façon de lutter contre elle, parce que la démagogie s'exprime de toute façon sur les réseaux sociaux, sauf que personne n'y répond. »
Les regards tournés vers la présidentielle
2017 approchant à très grands pas, le député Faure s’en remet désormais à la campagne qui s’annonce. Il espère en ce sens que les amendements citoyens figureront dans les « cahiers de la présidentielle » élaborés par le PS afin de servir de sorte de boîte à outils au futur candidat socialiste. Ce dernier, lorsqu’il aura été désigné à l’issue de la primaire PS, sera toutefois libre de reprendre – ou non – cette proposition à son compte...
En a-t-il parlé à François Hollande, dont la candidature apparaît de plus en plus probable ? « Je ne lui en ai jamais parlé, donc je ne sais pas ce qu'il est prêt à faire. Mais je lui conseillerais » répond Olivier Faure.
En attendant, l’Assemblée nationale pourrait débattre durant l’automne de la proposition de loi organique du député Patrice Martin-Lalande (Les Républicains), qui veut rendre obligatoire l’organisation de consultations en ligne de citoyens sur l’ensemble des textes de loi examinés par le Parlement. Tout en disant qu’il ne voit « pas d’inconvénients » à ce qu’une telle réforme soit mise en place, Olivier Faure prévient : « Le risque, c'est d'avoir rapidement un essoufflement. C'est quelque chose d'être consulté et une autre chose que d'avoir la capacité à imposer un débat. Je me méfie de cette idée, parce qu'elle peut sonner le glas, pour de longues années, de toute participation plus claire et plus nette. Je ne voudrais pas qu'on considère que le fait de consulter est une bonne solution. »