Après le sénateur Roger Karoutchi, c’est au tour de la députée Marine Brenier (Les Républicains), suivie par une soixantaine de parlementaires, de déposer une proposition de loi autorisant les forces de l’ordre à recourir à des logiciels capables de reconnaître – en temps réel – le visage de certaines personnes à partir des images retransmises par des caméras de vidéosurveillance.
Le texte de l’élue – qui a récemment pris le siège de Christian Estrosi à l’Assemblée nationale – est identique à celui déposé fin juin au Sénat sous la plume de Roger Karoutchi. L’opposition annonce ainsi la couleur : elle a bien l’intention de faire débattre cette proposition de loi dès que possible, pourquoi pas simultanément dans les deux chambres, afin de gagner du temps. L’agenda parlementaire risque néanmoins d’être très chargé d'ici la prochaine présidentielle...
Et il ne faut pas oublier que le Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, a déjà exprimé ses craintes de « risques d’atteinte aux libertés publiques » – dans la lignée du point de vue de la CNIL sur les systèmes de reconnaissance faciale : « Si cette technologie n’en est qu’à ses balbutiements, il importe de comprendre que son caractère intrusif est croissant puisque la liberté d’aller et venir anonymement pourrait être remise en cause. »
Détection automatique des « fichés S »
Anticipant les levées de boucliers, la proposition de loi « Karoutchi-Brenier » s’efforce néanmoins de déminer le terrain. Il est ainsi envisagé de recourir à des logiciels de reconnaissance faciale pour repérer les seules « personnes faisant l'objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État » – les fameux « fichés S », à partir de leurs éventuels clichés anthropométriques (vue de face, de profil, etc.) contenus dans le fichier automatisé des empreintes digitales.
L’objectif affiché ? « Constituer une base de données fiable, qui sera ensuite reliée à un système de vidéo-protection et exploitée par les forces de police et gendarmerie ». On en devine l’intérêt : plus besoin pour les agents scrutant leurs écrans de conserver sous le coude les photos de personnes à rechercher, le système les avertirait directement dès qu’un fiché S serait pris en grippe par une caméra.
« En aucun cas, assure Marine Brenier, il ne s’agit de collecter et interpréter les données biométriques de la « quasi-totalité de la population française » (...). Aucune personne ne figurant pas dans ces fichiers ne pourra être identifiée ou localisée au moyen de ce dispositif. » Les auteurs de cette proposition de loi ne peuvent toutefois feindre que pour repérer un individu dans un océan de visages, les logiciels de reconnaissance faciale devront nécessairement scruter l’ensemble des personnes entrant dans le champ des caméras...
Autorisation préalable du Premier ministre et contrôle de la CNCTR
Même si ce texte était adopté en l’état, il reviendrait ensuite au Premier ministre d’autoriser le déploiement de tels dispositifs, pour « les seuls besoins de la prévention du terrorisme ». Matignon devrait respecter au passage « le principe de proportionnalité » et préciser le « champ technique de la mise en œuvre » du traitement correspondant.
Pour chapeauter le tout, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, instaurée par la récente loi sur le renseignement, serait amenée à donner son avis – purement consultatif – sur l’autorisation du chef du gouvernement. L’institution disposerait en outre « d'un accès permanent, complet et direct à ce traitement ainsi qu'aux informations et données recueillies ». Dernière précaution : le décret en Conseil d’État destiné à mettre en musique ces dispositions devrait être pris après avis de la CNIL (même si celui-ci reste lui aussi consultatif, dans la mesure où l’exécutif n’est pas tenu de le suivre).
Marine Brenier le promet : « Dans ces conditions d’utilisation, le dispositif de reconnaissance faciale permettra d’optimiser la lutte contre le terrorisme sans toutefois porter atteinte aux libertés publiques. »
Son initiative arrive en tout cas à point nommé pour son mentor Christian Estrosi, le maire de Nice, qui avait commencé au mois d’avril à expérimenter de tels algorithmes sans autorisation (voir ce reportage). Restera maintenant à voir si la majorité socialiste à l’Assemblée nationale, qui a déjà rejeté en mai dernier cette proposition – sous une forme moins édulcorée –, maintiendra son opposition dans les mois à venir. Ce à condition bien entendu que Marine Brenier et la soixantaine d’élus LR et centristes ayant co-signé son texte arrivent à trouver un créneau pour qu’il soit examiné, ce qui n’est pas encore acquis.