François Pillet, Sénateur (LR) du Cher et Thani Mohamed Soilihi, Sénateur (PS) de Mayotte ont présenté hier les conclusions de leur mission d’information sur la liberté de la presse à l’épreuve d’Internet. Ils proposent à cette occasion diverses pistes pour mieux réguler cet univers, certaines pour le moins musclées.
Hier au Sénat, les deux sénateurs ont dressé un bilan pour le moins maussade du texte de 1881. « Une loi qui n’est à l’évidence plus adaptée » assène François Pillet. Internet ? « Un outil magnifique qui peut permettre aussi d’odieuses atteintes aux libertés ». Et toujours selon les deux sénateurs, s'il y a bien des condamnations prononcées par la justice, « au regard du nombre de pages publiées, c’est epsilon ! »
Ainsi, « en 2015, à chaque minute, quatre millions de recherches étaient effectuées sur Google, 2,5 millions de contenus échangés sur Facebook, 27 000 tweets postés, 347 200 photos partagées sur Whatsapp, 227 000 sur Instagram. La situation est complètement différente de ce qu’on avait en 1881 », où, effectivement, Internet n’existait pas, même dans les romans d’anticipation les plus délirants…
Cette loi du XIXe siècle serait ainsi dépassée dans leur esprit, car toute taillée pour la presse papier, par définition plus éphémère que les pages internet où d’anciennes infractions restent accessibles, mêmes des années plus tard. « L’autre problème sur Internet, est qu’il n’y a pas que des professionnels ». Là où certains y verraient un sacré avantage, une profusion de connaissance décorrélée du statut social, une belle tour de Babel foisonnante de richesses et de partage, les sénateurs préfèrent épingler « ceux qui se prennent pour les détenteurs de la vérité, ceux qui peuvent être des ingénieurs autoproclamés, ceux qui n’ont jamais eu les capacités de devenir journaliste et qui néanmoins interviennent sur Internet ».
Au fil de leurs 18 propositions, ils veulent ainsi maintenir un équilibre subtil entre la liberté d’expression et la traque contre les abus, puisqu’évidemment « internet ne peut être une zone de non-droit ». Mais quelles sont ces propositions pour réparer les atteintes aux personnes ? Retenons quatre d’entre elles.
Instaurer une réparation civile
« Celui qui a causé un préjudice hors de toute infraction pénale doit pouvoir être amené à le réparer ». Dans un document préparatoire distribué à l’occasion de la rencontre, ils apportent plus de détails : « l’action civile en matière de presse (diffamation, injure, ndlr) est actuellement soumise à de nombreuses contraintes par la jurisprudence qui offre une immunité de facto aux auteurs de fautes pourtant manifestes, et prive ainsi les victimes d’un droit naturel à réparation ». Dans leur optique, il serait donc temps de fonder ce droit à réparation sur le droit commun de la responsabilité.
Revoir le droit de réponse en ligne
« Sur Internet, il n’y a pas de droit de réponse » a regretté François Pillet lors de la présentation presse à laquelle nous participions. Avec tout le profond respect que nous vouons à la liberté d’expression des sénateurs, l’affirmation est un peu cavalière. La jurisprudence est aujourd’hui fournie en la matière, d’autant qu’un décret datant de 2007 concerne justement ce sujet (« décret relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne » ). De fait, les deux compères aimeraient surtout étendre les délais dans lesquels ce droit de réponse peut être formulé...
Modifier la prescription des délits de presse à la spécificité d’Internet
Justement. Ils veulent aussi allonger le délai de prescription de trois mois à un an pour la diffamation, l’injure et la provocation à la discrimination commises sur Internet. Cette extension avait déjà été actée en 2014 pour des délits de ce type commis en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap. Il s’agirait en conséquence de généraliser ce délai.
Le plus lourd arrive. Ils proposent aussi de revoir le point de départ de ce délai, en le reportant « au dernier jour de diffusion d’un message », et donc lors de son retrait. L’auteur d’un contenu diffamatoire posté en 1999 sur un site pourrait donc être attaqué en 2016 dès lors que ledit contenu reste diffusé en ligne. S'il est retiré en 2017, il pourra toujours être pousuivi en 2018, merci le délai de prescription d'un an. Une manière élégante d’organiser un délit tendant à devenir imprescriptible. « Internet fait des dégâts » arguent les sénateurs. « Quand on déverse des flots d’informations totalement erronées, comment on fait pour rectifier le tir ? »
Pour eux, donc, « à partir du moment où ça se répète, par le système du référencement, tous les jours l’infraction se produit. On a tendance à penser que l’infraction ne peut pas se prescrire à compter du jour où il y a eu la première information sur Internet. Il s’agit d’une infraction continue et tant que le message est sur Internet, la prescription ne peut être interrompue ».
Leur idée n’est pas novatrice. La Cour d’appel de Paris avait déjà tenté une telle incursion imaginative dans un arrêt du 15 décembre 1999, mais elle fut rappelée à l’ordre par la Cour de cassation. Au début des années 2000, les parlementaires tentèrent de corriger le tir à l’occasion du projet de loi sur l’économie numérique, mais le Conseil constitutionnel censura la démarche en raison d’une atteinte trop profonde au principe d’égalité. Et pour cause, une telle législation conduit « à ce qu'un message exclusivement accessible sur un site Internet pendant cinq ans serait exposé pendant cinq ans et trois mois à l'action publique ou civile, alors que le même message publié par écrit (...) ne serait exposé à ces actions que pendant trois mois » (extrait des commentaires aux Cahiers du CC).
Revoir la responsabilité en cascade
La loi de 1881 organise une forme de hiérarchie dans la responsabilité des personnes pouvant être poursuivies pour une infraction menée en ligne (directeur de la publication, ou à défaut, l’auteur ou à défaut, le producteur, etc.).
Selon la mission diligentée par la commission des lois, cette responsabilité « appliquée à Internet présente des déficiences, dans la mesure où les contraintes techniques posées par Internet liées à l’anonymat des auteurs, comme à la porosité des fonctions exercées par les acteurs rendent en réalité très difficile la mise en œuvre d’un tel mécanisme ».
La responsabilité en cascade devrait selon eux être donc limitée aux seuls contenus professionnels, non ceux postés par de simples particuliers, lesquels pourraient être plus facilement éligibles à la sanction. Une démarche qui rappelle la proposition de loi de Jean-Louis Masson qui, en 2010, voulait assimiler l’éditeur non professionnel au directeur de la publication…
Cette mission concentre en son sein de nombreuses pistes qui n’ont pu prospérer lors des précédents véhicules législatifs (voir encore sur la prescription, cette récente tentative avortée). « On veut donner des axes de réflexions » assurent les deux parlementaires qui ambitionnent néanmoins de voir leur rapport devenir un joli vivier législatif pour l’avenir. Sans prescription.
